Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/109

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Votre postérité est une loterie que je ne verrai jamais tirer. Je n’y mets point… Vous y mettez malgré vous ; et votre billet est bon, et vous ne sauriez l’ignorer. Je vois seulement que vous dédaignez une portion de votre lot. Avez-vous raison ?

Si vous aviez exécuté pour Londres, ou votre statue de l’Amitié, ou celle de Saint Ambroise, ou celle qui étend un pan de sa robe sur des fleurs d’hiver, l’admiration des Français ne vous garantirait-elle pas l’admiration générale des Anglais ? Ne jouiriez-vous pas de leur suffrage avant que de l’avoir obtenu, et ne seriez-vous pas injuste envers les Français et les Anglais, si le succès de votre ouvrage était douteux pour vous ? Eh bien ! Londres où vous avez envoyé un chef-d’œuvre dont vous ne recevez pas de nouvelles, c’est la postérité.

Appellerons-nous postérité deux ou trois siècles ? Il nous faut une pérennité bien et dûment constatée. Encore une fois, elle l’est. La lumière peut changer de contrée, mais elle ne peut plus s’éteindre.

Et les tyrans et les prêtres, et tous ceux qui ont quelque intérêt à tenir les hommes dans l’abrutissement, en frémissent de rage.

C’est un rêve que votre postérité… Ce n’est point un rêve ; ou les espérances fondées sur le mérite de nos productions, ou la comparaison de ces productions avec celles des anciens, ou l’éloge égal que nos contemporains font des unes et des autres, ou les lumières et le bon goût de ces contemporains, ou les lumières et le bon goût des autres artistes, vos envieux et vos rivaux, ou la constance de la nature que vous avez imitée, ou tout ce qui peut aujourd’hui garantir à un habile homme le succès et la durée de son nom et de son ouvrage, sont aussi des rêves.

Entassez suppositions sur suppositions ; accumulez guerres sur guerres ; à des troubles interminables faites succéder des troubles interminables ; jetez sur l’univers un esprit de vertige général, et je vous donne cent mille ans pour perdre les ouvrages et le nom de Voltaire : vous ne réussirez qu’à en altérer la prononciation.

Et puis, qu’a de commun le nom que je porte avec la sensation délicieuse que j’éprouve à penser que mon Iphigénie fera pleurer à jamais les hommes ? les hommes, entendez-vous,