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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/161

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temps les plus éloignés : mais c’est assez ou trop sur une comparaison qui ne signifie rien.

Ce que vous avez écrit dans vos feuillets sur la sculpture est juste, et vous ne manquerez pas d’en user toutes les fois que vous aurez pour vous le bon goût et la vérité, contre vous le préjugé courant de vos contemporains. Mais, ou je n’y entends rien, ou c’est un beau et bon appel à la postérité. Ah ! ah ! vous vous enivrez aussi de mon vin[1].

Socrate et Aristide étaient deux hommes de bien, deux bons citoyens ; mais l’un s’en allait en exil, l’autre au supplice, circonstances bien propres à mettre quelque différence dans leurs discours. Le premier oublie sa propre vie pour s’occuper de l’honneur de ses contemporains. S’il insiste sur quelque chose, c’est sur l’ignominie dont ils vont se couvrir : c’est leur cause et non la sienne qu’il plaide. La préférence que vous donnez aux adieux d’Aristide sur ceux de Socrate, bien ou mal fondée, laisse mon raisonnement entier. L’induction que j’aurais tirée du propos de l’un, je l’aurais également tirée du propos de l’autre. Il ne me faut qu’un généreux exilé qui emporte l’espoir d’un meilleur jugement jusqu’aux portes de la ville. Que cette ville soit Athènes ou le monde ; que le lieu de l’exil soit l’Asie, la Thrace ou le tombeau, je n’en reste ni moins vrai, ni moins solide, ni moins pathétique.

Je vous ai demandé « si un homme bien net de l’illusion de la postérité, et bien jaloux de l’estime de ses contemporains, braverait aussi fortement les préjugés de son pays que celui qui aurait l’œil attaché sur les siècles, et qui en redouterait le jugement ». D’abord vous présentez l’invraisemblance de votre réponse. Puis, tout à coup, prenant votre parti, vous dites, au hasard de n’être pas cru, que vous êtes cet homme-là[2].

1° Je ne doute point que vous ne bravassiez plutôt le mépris

  1. « Si cela était vrai, ce que je pourrais faire de mieux serait de le boire à votre santé. Mais soyez tranquille ; vous verrez plus loin que je vous le laisse tout entier. »
  2. « Vous êtes bien honnête, bien sage, point sophiste. N’ayant aucune raison à donner vous n’en donnez point. Vous oubliez seulement que ce n’est pas une invraisemblance que je vous présente ; ce sont ces mots d’une de vos lettres, cela n’est pas vrai, que je vous rappelle ; après quoi, je tranche net sur mon compte. »