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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/169

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Encore une fois, indulgence plénière sur tout ce que j’opposerai à votre critique de Pline. Si je crains de dire une sottise, par une mauvaise honte qui me retienne, la sottise restera dans ma tête ; il vaut mieux qu’elle en sorte. La présomption est ici tout entière de votre côté, et je n’aspire qu’à l’honnête et louable franchise d’un enfant qui ose n’être pas de l’avis de son maître, et lui dire :

Ah ! mon cher maître, Pline un petit radoteur ! Pardonnez-moi le mot, mais jamais l’indécence, et peut-être l’injustice d’une pareille expression, adressée à un des hommes les plus rares qui aient fait honneur à l’espèce raisonnable, ne sera supportée. Pline un petit radoteur ! Et pourquoi ? Parce qu’à travers une multitude incroyable de jugements qui montrent le tact le plus fin, le goût le plus délicat, il s’en trouve quelques-uns de répréhensibles ; passons, passons vite là-dessus[1].

Apelles peignit un Hercule pur le dos, dont on voyait le visage, ce qui est très-difficile, dit Pline[2]. Supposons que

  1. « Non pas, s’il vous plaît ; vraiment, monsieur ne demanderait pas mieux que j’eusse l’indulgence de passer vite : arrêtez-vous un moment, s’il vous plaît ; j’ai encore vos coups d’escourgée sur le cœur : il faut que justice soit faite, et nous verrons après à vous le pardonner. Je regarde ma seconde lettre et j’y trouve : Pline un petit radoteur à cet égard, c’est-à-dire à l’égard de la peinture et de la sculpture. Pourquoi supprimez-vous les derniers mots ; si vous y eussiez pris garde, vous auriez aussi trouvé dans ma quatrième lettre : Pline était un petit radoteur dans quelques-uns de ses jugements sur la peinture et sur la sculpture. Allez, je vous pardonne, mais n’y revenez plus. Quant à la qualification d’indécence qu’il vous plaît de donner à mon jugement sur Pline, vous me permettrez de vous observer que Pline est pour moi un livre que j’ai acheté de mon argent chez un libraire. Si Pline était vivant, je mériterais votre censure, que je regarde, je vous proteste, comme un épouvantail à dindons. La personne de Pline n’est rien absolument pour moi. Prenez garde, je ne confonds pas la mémoire avec la personne. Un livre, vous aurez beau faire, sera toujours à la merci du premier animal qui aura six francs dans sa poche. L’honnêteté est pour les hommes, et l’entière liberté pour les livres. Vous dites: le plat Pausanias ; je ne vous contredis pas. Ailleurs : pourquoi Plutarque n’aurait-il pas dit une sottise ? J’y donne les mains très-volontiers. Il sera donc permis au littérateur de traiter un livre du haut en bas, tandis que le statuaire n’osera dire son avis sur son métier, ni voir dans un livre qui en parle des bévues que tout le monde y voit. Oh ! parbleu ; messieurs, cela ne serait pas juste : servez-vous de vos yeux, nous en sommes fort contents ; mais laissez-nous la liberté des nôtres. »
  2. Liv. XXXV, chap. x