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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/212

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porte qu’un grand écrivain se connaisse mal en peinture ? Que m’importe qu’il transmette à la postérité ses faux jugements pour ceux de sa nation et des connaisseurs ? Par où cela touche-t-il à la question ? La question est de savoir si quand on a vu un Raphaël, on admire une tapisserie gothique[1].

Vous vous embarrassez dans les dates de l’histoire de la peinture avec un air de satisfaction qui me fait plaisir.

Quoi ! chez les Grecs, d’un goût si exquis, si actif, si extraordinairement nés pour les beaux-arts, si grands imitateurs de la nature qu’ils voyaient sans cesse, dans la patrie du génie, la peinture avait deux cents ans d’origine lorsque Polygnote parut, et Polygnote ne savait dessiner, rendre, composer, exprimer[2] !


Credat Judæus Apella ;
Non ego
[3].


Quoi ! Polygnote avait quatre couleurs, et selon quelques physiciens il en faut moins pour rendre tous les tons de la nature, et Polygnote n’avait point, mais point du tout de couleur ! Credat Judæus Apella, Non ego.

La peinture était déjà parfaite même en Italie, et elle se traînait encore chez les Grecs maîtres en tout des Romains ! Credat Judæus Apella, Non ego. Que mon ami me cite tant qu’il voudra des faits qui paraissent contredire, qui contredisent même ceux-ci, des autorités d’auteurs qui embrouillent l’histoire de la peinture. C’est son affaire que de les accorder. Je ne m’en mêle pas[4].

Cléophante imagina le premier de peindre avec de la brique

  1. « On ne peut pas mieux poser la question. Réponse : Si les Grecs avaient eu Raphaël, ils auraient moins admiré Polygnote. »
  2. « Je vous avais dit dans ma dixième lettre : Polygnote a pu mettre dans son tableau un grand caractère de dessin, et de la justesse dans l’idéal et les caractères des figures. On ne s’en douterait pas à la manière dont vous me faites parler ici. »
  3. Horat., lib. I, sat. v.
  4. « Votre ami ne s’amuse pas à les accorder, ces faits contradictoires ; il vous met sous les yeux les paroles de Pline, qui prétend que plus de deux cents ans avant Polygnote, il y avait en Italie des tableaux parfaits. Et votre ami se moque doucement de Pline ; parce que, sous les Tarquins, Jupiter n’étant encore que d’argile, la peinture ne devait pas être fort avancée en Italie. »