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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/376

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la chaise, et j’ai été surpris de ne rien trouver. Grimm me sait ici ; pourquoi donc ne m’a-t-il pas écrit ? Il me néglige, mon amie ; réparez sa faute. Parlez-moi de vous, parlez-moi de votre chère sœur. Si pendant mon absence il vous arrive quelquefois de retourner au petit château, que j’y sois avec vous[1]. Je rêve aussi de mon côté à perfectionner cet établissement, et je trouve qu’on y aurait besoin d’un personnage qui fût le confident de tous, et qui fit entre eux le rôle de conciliateur commun. Qu’en pensez-vous ? Tout bien considéré, j’aimerais mieux que cette fonction fut confiée à une femme qu’à un homme. Adieu, ma bonne, ma tendre amie. Je vous serre entre mes bras, et je vous réitère tous les serments que je vous ai faits. Soyez-en témoin, vous, chère sœur. Si je manque jamais à son bonheur, haïssez-moi, méprisez-moi, haïssez, méprisez tous les hommes. Sophie, je vous aime bien, et je révère votre sœur autant que je vous aime. Quand vous rejoindrai-je toutes deux ? Bientôt, bientôt.

P. S. Ne me laissez point oublier de M. de Prisye, de l’abbé Le Monnier, de M. Gaschon, si vous l’avez encore ; et présentez mon respect à Mlle Boileau. Aurez-vous encore l’inhumanité de ne pas dire un mot de l’enfant[2] ? Je la vois d’ici. Je vois aussi la mère, et cette image me touche toujours.

J’ai vu, depuis que je suis ici, tous les fermiers de mon père, et je n’en ai pas vu un seul sans les larmes aux yeux. Combien cet homme a laissé de regrets !

Vous aimeriez beaucoup ma sœur ; c’est la créature la plus originale et la plus tranchée que je connaisse ; c’est la bonté même, mais avec une physionomie particulière. Ce serait la ménagère du petit château. Je n’y veux point de chapelain. Adieu, ma Sophie ! adieu, respectable et digne sœur de ma Sophie ! Tournez un peu vos yeux de ce côté, et tendez-moi votre main.

  1. Le petit château était un séjour imaginaire de bonheur que rêvaient Diderot et sa maîtresse. On verra souvent celui-ci revenir, dans cette correspondance, à son plan de vie pour le petit château. (T.)
  2. L’enfant, malade, de Mme Le Gendre.