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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/385

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également sur tous ; nous profiterons ou nous souffrirons ensemble ; nos biens sont séparés ; chacun a le sien ; nous nous sommes associés contre les événements. Ah ! cher père ! si votre âme errait entre vos enfants, qu’elle serait contente d’eux ! Tout cela s’est fait en un quart d’heure, et d’une manière si douce, si tranquille, si honnête, que vous en auriez pleuré de joie toutes deux. Je n’ai pas voulu entendre parler du mobilier ; ma sœur et l’abbé le partageront. Mais je soupçonne qu’ils ont en lié mon lot au prorata. Tout est bien de ma part et de la leur. On a vendu des effets inutiles ; des créanciers se sont acquittés, d’autres s’acquitteront dans la suite. Il y a des rentes échues ; il y a une bourse commune qui se grossit de jour en jour ; quand elle renfermera ce qui nous est dû, on l’ouvrira, et nous partagerons après que les dernières volontés de mon père seront accomplies. Il y a beaucoup d’autres petits détails où vous reconnaîtriez le même esprit, et dont je vous entretiendrais s’ils m’étaient présents ; ils vous intéresseraient, puisque vous m’aimez. On vient de m’apporter l’acte de partage : c’est un homme d’honneur qui l’adressé. Nous le transcrirons, nous le signerons, nous nous embrasserons, et nous nous dirons adieu.

Je crains d’avance ce moment ; mon frère et ma sœur le craignent aussi. Il était fixé à lundi ; mais ils m’ont demandé quelques jours de plus ; comment les refuser ? Ils ne me reverront peut-être de longtemps. Pourvu que madame votre mère me pardonne ce délai ! Je l’espère. L’abbé voulait m’entraîner à son prieuré. Un ami qui habite les forêts en était sorti pour me voir. Je lui avais promis une visite ; mais l’abbé s’est départi de son envie, et je manquerai de parole à l’ami. Je regrette un jour qui me tient éloigné de vous. Je regrette aussi cette lettre qui m’attend à présent à Isle ; elle est entre les mains de madame votre mère ; elle y restera trop de temps. Je redoute le moment où elle me la remettra. Comment me l’offrira-t-elle ? comment la recevrai-je ? Nous serons troublés tous les deux ; elle verra mon trouble ; je devinerai le sien ; nous garderons le silence, ou, si nous parlons, je sens que je bégayerai, et je n’aime pas à bégayer. Vous croyez que j’aurais le courage de demander une plume et de l’encre pour vous écrire ? vous me connaissez bien !