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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/420

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si elle arrivait, nous causerait bien des regrets et lui coûterait à elle bien des larmes[1].

Il est neuf heures, nous avons fait un piquet à tourner, où, par parenthèse, j’ai essuyé un coup unique : quatorze d’as, quatorze de rois, sixième majeure, repic et capot en dernier. Notre commissionnaire est de retour. Tous ont reçu des nouvelles, excepté moi. Pas un mot ni de Grimm ni de Sophie. Il est impossible que vous ne m’ayez pas écrit. Il faut ou que mon domestique m’ait trompé et ne soit pas allé à Charenton, ou que le directeur des postes ait refusé mes lettres au commissionnaire, ou qu’il n’ait pas eu de quoi les retirer. Je fais toutes les suppositions qui peuvent me tranquilliser. J’accuse tout, hors vous.

On écrit de Lisbonne à notre voisin M. de Sussy que le roi de Portugal a proposé aux Jésuites de se séculariser ; que cinquante ont accepté ; que cent cinquante, dont on ignore la distinction, ont été mis sur un bâtiment, on ne sait pour quel endroit, et que quatre, encore détenus dans les prisons, seront suppliciés[2]. Saviez-vous cela ? Mais que les Jésuites tuent impunément ou non des rois, qu’eux et les rois deviennent ce qu’ils voudront, et que j’entende parler de mon amie. Où est-elle ? que fait-elle ? Si mes lettres n’ont pas le même sort que les siennes, elle en aura reçu avant-hier deux à la fois ; elle aura aussi celle-ci demain au soir, et peut-être… Mais je n’ose plus

  1. C’est au moment du départ de Saint-Lambert que Mme d’Houdetot fit ce huitain exquis :


    L’amant que j’adore,
    Prêt à me quitter,
    D’un moment encore
    Voudrait profiter.
    Félicité vaine
    Qu’on ne peut saisir,
    Trop près de la peine,
    Pour être un plaisir.

  2. À la suite de l’attentat du 3 septembre 1758 contre Joseph Ier, roi de Portugal, onze accusés furent condamnés à mort, mais les PP. Malagrida, Alexandre et de Matos ne furent pas compris dans l’exécution de ce jugement. Le 3 septembre 1759, anniversaire de l’attentat, les Jésuites furent expulsés de Portugal et leurs biens confisqués. On en déporta 600 (et non 150) en Italie. Alexandre et de Matos restèrent en prison. Malagrida ne fut supplicié que le 20 septembre 1761.