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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/44

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le fonds solide et courant qui lui reste, et sa ruine n’est pas absolue.

Je serais beaucoup moins étendu si je n’avais que la vérité à établir ; mais il faut que j’aille à chaque ligne au-devant des absurdités qu’on ne manque pas d’objecter ; et une des plus fortes et des plus communes, c’est, dans l’évaluation des avantages et des désavantages d’une profession, de prendre pour exemples quelques individus rares et extraordinaires, tels par exemple que feu Durand, qui parviennent à force d’industrie et de travail à porter par la multitude incroyable des échanges et des correspondances le plus léger succès à un produit énorme, et à réduire à peu de chose ce qui serait pour un autre la plus énorme perte. Peu sont capables de cette activité ; beaucoup à qui elle serait ruineuse en leur imposant une tâche plus longue que le jour n’a d’heures de travail. Aucun n’en est récompensé qu’à la longue. Est-ce de là qu’il faut partir ? Non, monsieur, non. D’où donc, me direz-vous ? de la condition générale et commune, celle d’un débutant ordinaire, qui n’est ni pauvre ni riche, ni un aigle ni un imbécile. Ah, monsieur, on a bientôt compté les libraires qui sont sortis de ce commerce avec de l’opulence ; quant à ceux qu’on ne cite point, qui ont langui dans la rue Saint-Jacques ou sur le quai, qui ont vécu à l’aumône de la communauté et dont elle a payé la bière, soit dit sans offenser les auteurs, il est prodigieux.

Or la condition générale et commune est telle que je viens de vous la représenter ; c’est celle du jeune commerçant dont la ressource, après une entreprise malheureuse, est toute en un reste de fonds solide, dans lequel il se renferme jusqu’à ce que, par des rentrées journalières, il se soit mis en état de risquer une seconde tentative. Si donc vous abolissez les privilèges, ou que par des atteintes réitérées vous les jetiez dans le discrédit, c’est fait de cette ressource ; plus d’économie dans cette sorte de commerce, plus d’espérance, plus de fonds solide, plus de crédit, plus de courage, plus d’entreprise. Arrangez les choses comme il vous plaira, ou vous transférerez sa propriété à un autre pour en jouir exclusivement, ou vous la remettrez dans la masse commune. Au premier cas, il est ruiné de fond en comble, par une spoliation absolue à laquelle je n’aperçois pas le moindre avantage pour le public ; car que nous importe que ce