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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/451

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passer, lorsque vous aurez le temps de vous asseoir dans votre solitude, et d’y souhaiter des nouvelles du monde que vous avez quitté. Je vous en recueillerai de toutes couleurs ; j’y ajouterai toutes nos bagatelles courantes, et j’espère vous donner auprès de vos oisifs circonvoisins toute l’importance que vous ambitionnez. Je vous dirai, par exemple, en attendant, qu’il y a ici un enfant de cinq ans au plus qu’on promène de maison en maison, d’Académie en Académie, qui entend passablement le grec et le latin, qui sait beaucoup de mathématiques, qui parle sa langue à merveille et qui a une force de jugement peu commune : vous en jugerez par sa réponse à M. l’évêque du Puy. Il lui fut présenté à table. Le prélat, après quelques moments d’entretien, prit une pêche et lui dit : « Mon bel enfant, vous voyez bien cette pêche, je vous la donnerai si vous me dites où est Dieu. — Et moi, monseigneur, lui répondit l’enfant, je vous en promets douze plus belles, si vous pouvez me dire où il n’est pas. » Je serais désolé que ce prodige m’appartînt ; cela sera, à l’âge de quinze ans, mort ou stupide.

D’Alembert a prononcé, à la clôture de l’Académie française, un discours sur la poésie, fort blâmé des uns, fort loué des autres[1]. On m’a dit que l’Iliade et l’Énéide y étaient traitées d’ouvrages ennuyeux et insipides, et la Jérusalem délivrée et la Henriade préconisées comme les deux seuls poëmes épiques qu’on pût lire de suite. Cela me rappelle ce froid géomètre qui, las d’entendre vanter Racine, qu’il ne connaissait que de réputation, se résolut enfin à le lire. À la fin de la première scène de Psyché[2] : « Eh bien, dit-il, qu’est-ce que cela prouve ? »

Il paraît une Épitre de Satan et de Voltaire[3]. Je ne vous en dis rien ; vous la verrez et les autres brochures du jour. Si le

  1. Ce discours, prononcé à l’Académie à l’occasion du prix pour 1760, est recueilli dans les Œuvres de d’Alembert, sous le titre de Réflexions sur la poésie.
  2. Diderot a voulu citer une tragédie quelconque de Racine, et c’est par un lapsus calami qu’il a écrit le titre de la tragédie-ballet de Corneille, Molière et Quinault. (T.)
  3. Épître du Diable à M. de V…, par M. le marquis D… Avignon et Lille, 1760, in-8. Diderot, dans sa lettre xxxvii, attribue cette Épître à M. de Rességuier ; Barbier et Quérard la mettent sur le compte de C. M. Giraud, médecin. On publia : Réponse de M. de Voltaire aux Épîtres du Diable, 1762, in-8. Cette Réponse n’est pas de Voltaire.