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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/487

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jour, et mourut. Le curé ajouta : C’est un fait dont j’ai été témoin. « Mais, curé, lui dis-je, à la place du père qu’auriez-vous fait ? — Monsieur, me répondit le curé, je ne saurais me mettre à cette place ; les sentiments d’un père ne se devinent point et ne peuvent se suppléer. — Cela est vrai ; mais enfin vous auriez pris un parti d’après ce que vous êtes ; dites-nous quel il eut été ? — Volontiers. J’aurais appelé mon fils ; je lui aurais dit : Soulpse a été votre nom jusqu’à présent ; souvenez-vous bien qu’il ne l’est plus. Appelez-vous comme il vous plaira. Voilà votre légitime. Allez vous marier avec celle que vous aimez si loin d’ici que je n’entende plus parler de vous, et que Dieu vous bénisse. — Pour moi, dit Mme d’Esclavelles, qui craignait peut-être que la décision du curé ne fît impression sur son petit-fils, si j’avais été la mère de ce jeune fou, j’aurais fait comme son père, je l’aurais laissé mourir ». Et puis voilà les avis partagés, et un bruit à faire retentir les voûtes du salon, qui a duré longtemps, et qui durerait encore, si le curé n’avait rompu la dispute par une autre histoire que voici. Un jeune curé, mécontent de son état, se sauve en Angleterre, apostasie, se marie selon la loi, et a des enfants de sa femme. Au bout d’un certain temps, il regrette son pays ; il revient en France avec sa femme et ses enfants. Au bout encore d’un certain temps, il a du remords ; il revient à sa religion, prend du scrupule sur son mariage, et songe à se séparer de sa femme : il s’en ouvre à notre curé, qui trouve le cas fort embarrassant, et qui, n’osant rien prendre sur lui, le renvoie aux casuistes et aux jurisconsultes. Tous décident qu’il ne peut en sûreté de conscience rester avec sa femme. Lorsque leur séparation, à laquelle la femme s’opposait de toute sa force, allait s’entamer par voie de justice, mais un peu contre le gré du curé, l’époux tomba malade et assez dangereusement pour qu’il n’en revînt pas. Il envoie chercher le curé : « Mon ami, lui dit-il, vous connaissez mes intentions ; je touche au dernier moment ; je veux montrer du moins qu’elles étaient sincères. Je veux faire amende honorable publique, et recevoir les sacrements, et mourir à l’hôpital ; ayez la bonté de m’y faire transporter. — Je m’en garderai bien, lui dit le curé ; cette femme est innocente. Elle vous a épousé selon la loi ; elle ne connaissait rien des empêchements qui ne lui permettaient pas d’accepter votre main. Et