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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/62

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sur ces douze dont la richesse n’a presque rien de commun avec les privilèges.

4o Si vous croyez, monsieur, que ces privilèges tant enviés soient la propriété d’un seul, vous vous trompez ; il n’y en a presque point de quelque valeur qui ne soit commun à vingt ou vingt-cinq personnes, et il faut savoir quelle misère c’est quand il s’agit d’obtenir de chacun la quotité de dépense proportionnée à sa part dans les cas de réimpression. Il y en a qui, hors d’état de la fournir, abandonnent à leurs associés leur intérêt, tantôt avant, tantôt après la réimpression. Un fait, monsieur, c’est que la compagnie des associés du Racine in-quarto, après dix ans, n’a pu se liquider avec l’imprimeur. C’est pourtant du Racine que je vous parle, oui, monsieur, du Racine ! Il ne se passe presque pas une année sans qu’il se vende quelques-unes de ces parts à la chambre. Que les promoteurs des nouvelles vues s’y rendent, qu’ils s’en fassent adjudicataires et qu’ils possèdent sans rapine et sans honte un bien qu’on n’enlèverait que de force aux propriétaires et dont ils ne se verraient point dépouillés sans douleur.

Et surtout qu’on ne me parle pas de la gratification d’un citoyen qu’on revêt de la dépouille d’un autre. C’est profaner la langue de l’humanité et de la bienfaisance en la mettant sur les lèvres de la violence et de l’injustice. J’en appelle à tout homme de bien : s’il avait eu le bonheur de bien mériter de sa nation, souffrirait-il qu’on reconnût ses services d’une manière aussi atroce ?

Je ne puis m’empêcher de porter ici la parole aux demoiselles de La Fontaine et de leur faire une prédiction qui ne tardera pas à se vérifier. Elles ont imaginé sans doute, sur le mérite de l’ouvrage de leur aïeul, que le ministère les avait gratifiées d’un présent important. Je leur annonce que, malgré toute la protection possible, elles seront contrefaites en cent endroits ; qu’à moins qu’elles ne l’emportent sur le manufacturier régnicole ou étranger par quelque édition merveilleuse, et conséquemment d’un grand prix et d’un débit très étroit, qui attire l’homme de luxe ou le littérateur curieux, le libraire de Paris et celui de province s’adresseront au contrefacteur, ne fût-ce que par ressentiment ; qu’un effet précieux dépérira entre leurs mains ; qu’elles chercheront à s’en défaire ; qu’on n’en voudra