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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/76

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Je ne discuterai point si ces livres dangereux le sont autant qu’on le crie, si le mensonge, le sophisme, n’est pas tôt ou tard reconnu et méprisé, si la vérité qui ne s’étouffe jamais, se répandant peu à peu, gagnant par des progrès presque insensibles sur le préjugé qu’elle trouve établi, et ne devenant générale qu’après un laps de temps surprenant, peut jamais avoir quelque danger réel. Mais je vois que la proscription, plus elle est sévère, plus elle hausse le prix du livre, plus elle excite la curiosité de le lire, plus il est acheté, plus il est lu.

Et combien la condamnation n’en a-t-elle pas fait connaître que leur médiocrité condamnait à l’oubli ? Combien de fois le libraire et l’auteur d’un ouvrage privilégié, s’ils l’avaient osé, n’auraient-ils pas dit aux magistrats de la grande police : « Messieurs, de grâce, un petit arrêt qui me condamne à être lacéré et brûlé au bas de votre grand escalier ? » Quand on crie la sentence d’un livre, les ouvriers de l’imprimerie disent : « Bon, encore une édition ! »

Quoi que vous fassiez, vous n’empêcherez jamais le niveau de s’établir entre le besoin que nous avons d’ouvrages dangereux ou non, et le nombre d’exemplaires que ce besoin exige. Ce niveau s’établira seulement un peu plus vite, si vous y mettez une digue. La seule chose à savoir, tout le reste ne signifiant rien, sous quelque aspect effrayant qu’il soit proposé, c’est si vous voulez garder votre argent ou si vous voulez le laisser sortir. Encore une fois, citez-moi un livre dangereux qui nous manque.

Je pense donc qu’il est utile pour les lettres et pour le commerce de multiplier les permissions tacites à l’infini, ne mettant à la publication et à la distribution d’un livre qu’une sorte de bienséance qui satisfasse les petits esprits. On défère un auteur, les lois le proscrivent, son arrêt se publie, il est lacéré et brûlé, et deux mois après il est exposé sur les quais. C’est un mépris des lois manifeste qui n’est pas supportable.

Qu’un livre proscrit soit dans le magasin du commerçant, qu’il le vende sans se compromettre ; mais qu’il n’ait pas l’impudence de l’exposer sur le comptoir de sa boutique, sans risquer d’être saisi.

Je pense que, si un livre est acquis par un libraire qui en a payé le manuscrit et qui l’a publié sur une permission tacite, cette permission tacite équivaut à un privilège ; le contrefacteur fait