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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/412

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ble pour eux que nos langues le sont pour nous ? La connoissance sans une communication réciproque par un langage sensible & connu, ne suffit pas pour entretenir la société, ni pour exécuter une entreprise qui demande de l’union & de l’intelligence. Comment les loups concerteroient-ils ensemble des ruses de guerre dans la chasse qu’ils font aux troupeaux de moutons, s’ils ne s’entendoient pas ? Comment enfin des hirondelles ont-elles pû sans se parler former toutes ensemble le dessein de claquemurer un moineau qu’elles trouverent dans le nid d’une de leurs camarades, voyant qu’elles ne pouvoient l’en chasser ? On pourroit apporter mille autres traits semblables pour appuyer ce raisonnement. Mais ce qui ne souffre point ici de difficulté, c’est que si la nature les a faites capables d’entendre une langue étrangere, comment leur auroit-elle refusé la faculté d’entendre & de parler une langue naturelle ? car les bêtes nous parlent & nous entendent fort bien.

Quand on sait une fois que les bêtes parlent & s’entendent, la curiosité n’en est que plus avide de connoître quels sont les entretiens qu’elles peuvent avoir entre elles. Quelque difficile qu’il soit d’expliquer leur langage & d’en donner le dictionnaire, le Pere Bougeant a osé le tenter. Ce qu’on peut assurer, c’est que leur langage doit être fort borné, puisqu’il ne s’étend pas au-delà des besoins de la vie ; car la nature n’a donné aux bêtes la faculté de parler, que pour exprimer entre elles leurs desirs & leurs sentimens, afin de pouvoir satisfaire par ce moyen à leurs besoins & à tout ce qui est nécessaire pour leur conservation : or tout ce qu’elles pensent, tout ce qu’elles sentent, se réduit à la vie animale. Point d’idées abstraites par conséquent, point de raisonnemens métaphysiques, point de recherches curieuses sur tous les objets qui les environnent, point d’autre science que celle de se bien porter, de se bien conserver, d’éviter tout ce qui leur nuit, & de se procurer du bien. Ce principe une fois établi, que les connoissances, les desirs, les besoins des bêtes, & par conséquent leurs expressions sont bornées à ce qui est utile ou nécessaire pour leur conservation ou la multiplication de leur espece, il n’y a rien de plus aisé que d’entendre ce qu’elles veulent se dire. Placez-vous dans les diverses circonstances où peut être quelqu’un qui ne connoit & qui ne sait exprimer que ses besoins, & vous trouverez dans vos propres discours l’interprétation de ce qu’elles se disent. Comme la chose qui les touche le plus est le desir de multiplier leur espece, ou du moins d’en prendre les moyens, toute leur conversation roule ordinairement sur ce point. On peut dire que le Pere Bougeant a décrit avec beaucoup de vivacité leurs amours, & que le dictionnaire qu’il donne de leurs phrases tendres & voluptueuses, vaut bien celui de l’Opéra. Voilà ce qui a révolté dans un Jésuite condamné par état à ne jamais abandonner son pinceau aux mains de l’amour. La galanterie n’est pardonnable dans un ouvrage philosophique, que lorsque l’Auteur de l’ouvrage est homme du monde ; encore bien des personnes l’y trouvent-elles déplacée. En prétendant ne donner aux raisonnemens qu’un tour léger & propre à intéresser par une sorte de badinage, souvent on tombe dans le ridicule ; & toûjours on cause du scandale, si l’on est d’un état qui ne permet pas à l’imagination de se livrer à ses saillies. Il paroît qu’on a censuré trop durement notre Jésuite sur ce qu’il dit, que les bêtes sont animées par des diables. Il est aise de voir qu’il n’a jamais regardé ce système que comme une imagination bisarre & presque folle. Le titre d’amusement qu’il donne à son livre, & les plaisanteries dont il l’égaye, font assez voir qu’il ne le croyoit pas appuyé sur des fondemens assez solides pour opérer une vraie persuasion. Ce n’est pas que ce systême

ne réponde à bien des difficultés, & qu’il ne fût assez difficile de le convaincre de faux : mais cela prouve seulement qu’on peut assez bien soûtenir une opinion chimérique, pour embarrasser des personnes d’esprit, mais non pas assez bien pour les persuader. Il n’y a, dit M. de Fontenelle dans une occasion à peu près semblable, que la vérité qui persuade, même sans avoir besoin de paroître avec toutes ses preuves. Elle entre si naturellement dans l’esprit, que quand on l’apprend pour la premiere fois, il semble qu’on ne fasse que s’en souvenir. Pour moi, s’il m’est permis de dire mon sentiment, je trouve ce petit ouvrage charmant & très-agréablement tourné. Je n’y vois que deux défauts ; celui d’être l’ouvrage d’un Religieux ; & l’autre, le bisarre assortiment des plaisanteries qui y sont semées, avec des objets qui touchent à la religion, & qu’on ne peut jamais trop respecter. (X)

Ame des Plantes (Jardinage.) Les Physiciens ont toûjours été peu d’accord sur le lieu où réside l’ame des plantes ; les uns la placent dans la plante, ou dans la graine avant d’être semée ; les autres dans les pepins ou dans le noyau des fruits.

La Quintinie veut qu’elle consiste dans le milieu des arbres qui est le siége de la vie, & dans des racines saines qu’une chaleur convenable & l’humidité de la seve font agir. Malpighi veut que les principaux organes des plantes soient les fibres ligneuses, les trachées, les utricules placées dans la tige des arbres. D’autres disent que l’ame des plantes n’est autre chose que les parties subtiles de la terre, lesquelles poussées par la chaleur, passent à travers les pores des plantes, où étant ramassées, elles forment la substance qui les nourrit. Voyez Trachée.

Aujourd’hui en faisant revivre le sentiment de Théophraste, de Pline, & de Columelle, on soûtient que l’ame des végétaux réside dans la moelle qui s’étend dans toutes les branches & les bourgeons. Cette moelle qui est une espece d’ame, & qui se trouve dans le centre du tronc & des branches d’un arbre, se remarque plus aisément dans les plantes ligneuses, telles que le sureau, le figuier, & la vigne, que dans les herbacées ; cependant par analogie, ces dernieres n’en doivent pas être dépourvûes. Voyez Ligneux, Herbacée, &c.

Cette ame n’est regardée dans les plantes que comme vegetative ; & quoiqué Redi la croye sensitive, on ne l’admet qu’à l’égard des animaux : on restraint à l’homme, comme à l’être le plus parfait, les trois qualités de l’ame, savoir de végétative, de sensitive, & de raisonnable. (K)

Ame de Saturne, anima Saturni, selon quelques Alchimistes, est la partie du plomb la plus parfaite, qui tend à la perfection des métaux parfaits ; laquelle partie est selon quelques-uns, la partie teignante. (M)

Ame, terme d’Architecture & de Dessein ; c’est l’ébauche de quelques ornemens, qui se fait sur une armature de fer, avec mortier composé de chaux & de ciment, pour être couverte & terminée de stuc ; on la nomme aussi noyau. Ame est aussi une armature de quelque figure que ce soit, recouverte de carton. On dit aussi qu’un dessein a de l’ame, pour dire que son exquisse est touchée d’art, avec feu & légereté.

Ame, (Stuccateur.) On appelle ainsi la premiere forme que l’on donne aux figures de stuc, lorsqu’on les ébauche grossierement avec du plâtre, ou bien avec de la chaux & du sable ou du tuileau cassé, avant que de les couvrir de stuc, pour les finir ; c’est ce que Vitruve, Liv. VII. chap. 1. appelle nucleus, ou noyan. Voyez la figure 12 Planche de stuc, On nomme aussi ame ou noyau, les figures de terre ou