Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

recherche de ce qui reste à trouver. On ne cite des faits, on ne compare des expériences, on n’imagine des méthodes, que pour exciter le génie à s’ouvrir des routes ignorées, & à s’avancer à des découvertes nouvelles, en regardant comme le premier pas celui où les grands hommes ont terminé leur course. C’est aussi le but que nous nous sommes proposé, en alliant aux principes des Sciences & des Arts libéraux l’histoire de leur origine & de leurs progrès successifs ; & si nous l’avons atteint, de bons esprits ne s’occuperont plus à chercher ce qu’on savoit avant eux. Il sera facile dans les productions à venir sur les Sciences & sur les Arts libéraux de démêler ce que les inventeurs ont tiré de leur fonds d’avec ce qu’ils ont emprunté de leurs prédécesseurs : on apprétiera les travaux ; & ces hommes avides de réputation & dépourvûs de génie, qui publient hardiment de vieux systèmes comme des idées nouvelles, seront bientôt démasqués. Mais, pour parvenir à ces avantages, il a fallu donner à chaque matiere une étendue convenable, insister sur l’essentiel, négliger les minuties, & éviter un défaut assez commun, celui de s’appesantir sur ce qui ne demande qu’un mot, de prouver ce qu’on ne conteste point, & de commenter ce qui est clair. Nous n’avons ni épargné, ni prodigué les éclaircissemens. On jugera qu’ils étoient nécessaires par-tout où nous en avons mis, & qu’ils auroient été superflus où l’on n’en trouvera pas. Nous nous sommes encore bien gardés d’accumuler les preuves où nous avons crû qu’un seul raisonnement solide suffisoit, ne les multipliant que dans les occasions où leur force dépendoit de leur nombre & de leur concert.

Les articles qui concernent les élémens des Sciences ont été travaillés avec tout le soin possible ; ils sont en effet la base & le fondement des autres. C’est par cette raison que les élémens d’une Science ne peuvent être bien faits que par ceux qui ont été fort loin au-delà ; car ils renferment le système des principes généraux qui s’étendent aux différentes parties de la Science ; & pour connoître la maniere la plus favorable de présenter ces principes, il faut en avoir fait une application très-étendue & très-variée.

Ce sont-là toutes les précautions que nous avions à prendre. Voilà les richesses sur lesquelles nous pouvions compter : mais il nous en est survenu d’autres que notre entreprise doit, pour ainsi dire, à sa bonne fortune. Ce sont des manuscrits qui nous ont été communiqués par des Amateurs, ou fournis par des Savans, entre lesquels nous nommerons ici M. Formey, Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse. Cet illustre Académicien avoit médité un Dictionnaire tel à peu-près que le nôtre, & il nous a généreusement sacrifié la partie considérable qu’il en avoit exécutée, & dont nous ne manquerons pas de lui faire honneur. Ce sont encore des recherches, des observations, que chaque Artiste ou Savant, chargé d’une partie de notre Dictionnaire, renfermoit dans son cabinet, & qu’il a bien voulu publier par cette voie. De ce nombre seront presque tous les articles de Grammaire générale & particuliere. Nous croyons pouvoir assûrer qu’aucun Ouvrage connu ne sera ni aussi riche, ni aussi instructif que le nôtre sur les regles & les usages de la Langue Françoise, & même sur la nature, l’origine & le philosophique des Langues en général. Nous ferons donc part au Public, tant sur les Sciences que sur les Arts libéraux, de plusieurs fonds littéraires dont il n’auroit peut-être jamais eu connoissance.

Mais ce qui ne contribuera guere moins à la perfection de ces deux branches importantes, ce sont les secours obligeans que nous avons reçûs de tous côtés ; protection de la part des Grands, accueil & communication de la part de plusieurs Savans ; bibliotheques publiques, cabinets particuliers, recueils, portefeuilles, &c. tout nous a été ouvert, & par ceux qui cultivent les Lettres, & par ceux qui les aiment. Un peu d’adresse & beaucoup de dépense ont procuré ce qu’on n’a pû obtenir de la pure bienveillance ; & les récompenses ont presque toûjours calmé, ou les inquiétudes réelles, ou les allarmes simulées de ceux que nous avions à consulter.

Nous sommes principalement sensibles aux obligations que nous avons à M. l’Abbé Sallier, Garde de la Bibliotheque du Roi : il nous a permis, avec cette politesse qui lui est naturelle, & qu’animoit encore le plaisir de favoriser une grande entreprise, de choisir dans le riche fonds dont il est dépositaire, tout ce qui pouvoit répandre de la lumiere ou des agrémens sur notre Encyclopédie. On justifie, nous pourrions même dire qu’on honore le choix du Prince, quand on sait se prêter ainsi à ses vûes. Les Sciences & les Beaux-Arts ne peuvent donc trop concourir à illustrer par leurs productions le regne d’un Souverain qui les favorise. Pour nous, spectateurs de leurs progrès & leurs historiens, nous nous occuperons seulement à les transmettre à la postérité. Qu’elle dise à l’ouverture de notre Dictionnaire, tel étoit alors l’état des Sciences & des Beaux-Arts. Qu’elle ajoûte ses découvertes à celles que nous aurons enregistrées, & que l’histoire de l’esprit humain & de ses productions aille d’âge en âge jusqu’aux siecles les plus reculés. Que l’Encyclopédie devienne un sanctuaire où les connoissances des hommes soient à l’abri des tems & des révolutions, Ne serons-nous pas trop flatés d’en avoir posé les fondemens ? Quel avantage n’auroit-ce pas été pour nos peres & pour nous, si les travaux des Peuples anciens, des Égyptiens, des Chaldéens, des Grecs, des Romains, &c.