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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/632

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été tendu ; de sorte qu’il y a trois côtés de la toile qui sont attachés : le quatrieme est libre ; il est terminé par le premier fil qui a été tiré ; & ce fil, qui est le premier du premier rang, c’est-à-dire, de la chaîne, sert d’attache à tous ceux qui traversent en croix les fils du premier rang, & qui forment la trame. Tous ces fils étant nouvellement filés, sont encore glutineux, & se collent les uns aux autres dans tous les endroits où ils se croisent, ce qui rend la toile assez ferme : d’ailleurs, à mesure que l’araignée passe un fil sur un autre, elle les serre tous deux avec ses mammelons pour les coller ensemble ; de plus, elle triple & quadruple les fils qui bordent la toile, pour la rendre plus forte dans cet endroit, qui est le plus exposé à se déchirer.

Une araignée ne peut faire que deux ou trois toiles dans sa vie, supposé même que la premiere n’ait pas été trop grande ; après cela elle ne peut plus fournir de matiere glutineuse ; alors si elle manque de toile pour arrêter sa proie, elle meurt de faim : dans ce cas, il faut qu’elle s’empare par force de la toile d’une autre araignée, ou qu’elle en trouve une qui soit vacante : ce qui arrive ; car les jeunes araignées abandonnent leurs premieres toiles pour en faire de nouvelles.

Les araignées de la seconde espece sont celles des jardins : elles ont quatre grands yeux placés en quarré au milieu du front, & deux plus petits sur chaque côte de la tête. La plûpart de ces araignées sont de couleur de feuille morte ; il y en a de tachetées de blanc & de gris ; d’autres qui sont toutes blanches ; d’autres enfin de différentes teintes de verd : celles-ci sont plus petites que les blanches ; les grises sont les plus grosses de toutes : en général les femelles de cette espece ont le ventre plus gros que celles des autres especes, & les mâles sont fort menus. Ces araignées sont à l’épreuve de l’esprit-de-vin, de l’eau-forte, & de l’huile de vitriol : mais l’huile de térébenthine les tue dans un instant : on peut s’en servir pour détruire leur nichée, où il s’en trouve quelquefois une centaine.

Il est plus difficile aux araignées des jardins de faire leur toile, qu’aux araignées domestiques : celles-ci vont aisément dans tous les endroits où elles veulent l’attacher ; les autres travaillant, pour ainsi dire, en l’air, trouvent plus difficilement des points d’appui, & elles sont obligées de prendre bien des précautions, & d’employer beaucoup d’industrie pour y arriver. Elles choisissent un tems calme, & elles se posent dans un lieu avancé ; là elles se tiennent sur six pattes seulement, & avec les deux pattes de derriere elles tirent peu-à-peu de leur filiere un fil de la longueur de deux ou trois aunes ou plus, qu’elles laissent conduire au hasard : dès que ce fil touche à quelque chose, il s’y colle ; l’araignée le tire de tems en tems pour savoir s’il est attaché quelque part ; & lorsqu’elle sent qu’il résiste, elle applique sur l’endroit où elle est l’extrémité du fil qui tient à son corps, ensuite elle va le long de ce premier fil jusqu’à l’autre bout qui s’est attaché par hasard, & elle le double dans toute sa longueur par un second fil ; elle le triple, & même elle le quadruple s’il est fort long, afin de le rendre plus fort ; ensuite elle s’arrête à peu près au milieu de ce premier fil, & de-là elle tire de son corps comme la premiere fois un nouveau fil qu’elle laisse flotter au hasard ; il s’attache par le bout quelque part comme le premier ; l’araignée colle l’autre bout au milieu du premier fil ; elle triple ou quadruple ce second fil ; après quoi elle revient se placer à l’endroit où il est attaché au premier : c’est à peu près un centre, auquel aboutissent déjà trois rayons : elle continue de jetter d’autres fils, jusqu’à ce qu’il y en ait un assez grand nombre pour que leurs extrémités ne se trouvent pas

fort loin les unes des autres ; alors elle tend des fils de travers qui forment la circonférence, & auxquels elle attache encore de nouveaux rayons qu’elle tire du centre : enfin tous les rayons étant tendus, elle revient au centre, & y attache un nouveau fil qu’elle conduit en spirale sur tous les rayons, depuis le centre jusqu’à la circonférence. L’ouvrage étant fini, elle se niche au centre de la toile, dans une petite cellule où elle tient sa tête en bas & le ventre en haut, peut-être parce que cette partie, qui est fort grosse, incommoderoit l’araignée dans une autre situation ; peut-être aussi cache-t-elle ses yeux qui sont sans paupiere, pour éviter la trop grande lumiere qui pourroit les blesser. Pendant la nuit, & lorsqu’il arrive des pluies & de grands vents, elle se retire dans une petite loge qu’elle a eu soin de faire au-dessus de sa toile sous un petit abri : on pourroit croire que ce petit asyle est ordinairement à l’endroit le plus haut, parce que la plûpart des araignées montent plus aisément qu’elles ne descendent.

Les araignées attendent patiemment que des mouches viennent s’embarrasser dans leurs toiles ; dès qu’il en arrive, elles saisissent la proie, & l’emportent dans leur nid pour la manger : lorsque les mouches sont assez grosses pour résister à l’araignée, elle les enveloppe d’une grande quantité de fils qu’elle tire de sa filiere, pour lier les ailes & les pattes de la mouche : quelquefois il s’en trouve de si fortes, qu’au lieu de s’en saisir l’araignée la délivre elle-même, en détachant les fils qui l’arrêtent, ou en déchirant sa toile : dès que la mouche est dehors, l’araignée raccommode promptement l’endroit qui est déchiré, ou bien elle fait une nouvelle toile.

La troisieme espece d’araignée comprend celles des caves, & celles qui font leurs nids dans les vieux murs : elles ne paroissent avoir que six yeux à peu près de la même grandeur ; deux au milieu du front, & deux de chaque côté de la téte ; elles sont noires & fort velues ; leurs jambes sont courtes : ces araignées sont plus fortes & vivent plus long-tems que la plûpart des autres ; elles sont les seules qui mordent lorsqu’on les attaque, aussi ne prennent-elles pas tant de précautions que les autres pour s’assûrer de leur proie ; au lieu de toile, elles tendent seulement des fils de sept à huit pouces de longueur, depuis leur nid jusqu’au mur le plus prochain ; dès qu’un insecte heurte contre un de ces fils en marchant sur le mur, l’araignée est avertie par l’ébranlement du fil, & sort aussi-tôt de son trou pour s’emparer de l’insecte : elles emportent les guêpes mêmes, que les autres araignées évitent à cause de leur aiguillon ; celles-ci ne les craignent pas, peut-être parce que la partie antérieure de leur corps & leurs jambes sont couvertes d’une écaille extrèmement dure, & que leur ventre est revêtu d’un cuir fort épais : d’ailleurs leurs serres sont assez fortes pour briser le corcelet des guêpes.

Les araignées de la quatrieme espece, qui sont les vagabondes, ont huit yeux ; deux grands au milieu du front, un plus petit sur la même ligne que les grands de chaque côté, deux autres pareils sur le derriere de la tête, & enfin deux très petits entre le front & le derriere de la tête. Ces araignées sont de différentes grandeurs & de couleurs différentes : il y en a de blanches, de noires, de rouges, de grises, & de tachetées ; leurs bras ne sont pas terminés par des crochets comme ceux des autres araignées, mais par un bouquet de plume qui est quelquefois aussi gros que leur tête ; elles s’en servent pour envelopper les mouches qu’elles saisissent, n’ayant point de toile ni de fils pour les lier. Ces araignées vont chercher leur proie au loin, & la surprennent avec beaucoup de ruse & de finesse.