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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/80

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de miel ; enfin lorsqu’ils ont pris tout leur accroissement, la nourriture a un goût de sucre mêlé d’acide. On croit que cette matiere est composée de miel & de cire que l’abeille a plus ou moins digérés, & qu’elle peut rendre par la bouche lorsqu’il lui plaît.

Il ne sort du corps des vers aucun excrément : aussi ont-ils pris tout leur accroissement en cinq ou six jours. Lorsqu’un ver est parvenu à ce point, les abeilles ouvrieres ferment son alvéole avec de la cire ; le couvercle est plat pour ceux dont il doit sortir des abeilles ouvrieres, & convexe pour ceux des faux bourdons. Lorsque l’alvéole est fermé, le ver tapisse l’intérieur de sa cellule avec une toile de soie : il tire cette soie de son corps au moyen d’une filiere pareille à celle des vers à soie, qu’il a au-dessous de la bouche. La toile de soie est tissue de fils qui sont très-proches les uns des autres, & qui se croisent ; elle est appliquée exactement contre les parois de l’alvéole. On en trouve où il y a jusqu’à vingt toiles les unes sur les autres ; c’est parce que le même alvéole a servi successivement à vingt vers, qui y ont appliqué chacun une toile ; car lorsque les abeilles ouvrieres nettoyent une cellule où un ver s’est métamorphosé, elles enlevent toutes les dépouilles de la nymphe sans toucher à la toile de soie. On a remarqué que les cellules d’où sortent les reines ne servent jamais deux fois ; les abeilles les détruisent pour en bâtir d’autres sur leurs fondemens.

Le ver après avoir tapissé de soie son alvéole, quitte sa peau de ver ; & à la place de sa premiere peau, il s’en trouve une bien plus fine : c’est ainsi qu’il se change en nymphe. Voyez Nymphe. Cette nymphe est blanche dans les premiers jours ; ensuite ses yeux deviennent rougeâtres, il paroît des poils ; enfin après environ quinze jours, c’est une mouche bien formée, & recouverte d’une peau qu’elle perce pour paroître au jour. Mais cette opération est fort laborieuse pour celles qui n’ont pas de force, comme il arrive dans les tems froids. Il y en a qui périssent après avoir passé la tête hors de l’enveloppe, sans pouvoir en sortir. Les abeilles ouvrieres qui avoient tant de soin pour nourrir le ver, ne donnent aucun secours à ces petites abeilles lorsqu’elles sont dans leurs enveloppes : mais dès qu’elles sont parvenues à en sortir, elles accourent pour leur rendre tous les services dont elles ont besoin. Elles leur donnent du miel, les lêchent avec leurs trompes & les essuient, car ces petites abeilles sont mouillées, lorsqu’elles sortent de leur enveloppe ; elles se sechent bien-tôt ; elles déploient les ailes ; elles marchent pendant quelque tems sur les gâteaux ; enfin elles sortent au-dehors, s’envolent ; & dès le premier jour elles rapportent dans la ruche du miel & de la cire.

Les abeilles se nourrissent de miel & de cire brute ; on croit que le mêlange de ces deux matieres est nécessaire pour que leurs digestions soient bonnes ; on croit aussi que ces insectes sont attaqués d’une maladie qu’on appelle le dévoiement, lorsqu’ils sont obligés de vivre de miel seulement. Dans l’état naturel, il n’arrive pas que les excrémens des abeilles qui sont toujours liquides, tombent sur d’autres abeilles, ce qui leur feroit un très-grand mal ; dans le dévoiement, ce mal arrive parce que les abeilles n’ayant pas assez de force pour se mettre dans une position convenable les unes par rapport aux autres, celles qui sont au-dessus laissent tomber sur celles qui sont au-dessous une matiere qui gâte leurs ailes, qui bouche les organes de la respiration, & qui les fait périr.

Voilà la seule maladie des abeilles qui soit bien connue ; on peut y remédier en mettant dans la ruche où sont les malades, un gâteau que l’on tire d’une autre ruche, & dont les alvéoles sont remplis de cire brute : c’est l’aliment dont la disette a causé la

maladie ; on pourroit aussi y suppléer par une composition ; celle qui a paru la meilleure se fait avec une demi-livre de sucre, autant de bon miel, une chopine de vin rouge, & environ un quarteron de fine farine de féve. Les abeilles courent risque de se noyer en bûvant dans des ruisseaux ou dans des réservoirs dont les bords sont escarpés. Pour prévenir cet inconvénient, il est à propos de leur donner de l’eau dans des assiettes autour de leur ruche. On peut reconnoître les jeunes abeilles & les vieilles par leur couleur. Les premieres ont les anneaux bruns & les poils blancs ; les vieilles ont au contraire les poils roux & les anneaux d’une couleur moins brune que les jeunes. Celles-ci ont les ailes saines & entieres ; dans un âge plus avancé, les ailes se frangent & se déchiquetent à force de servir. On n’a pas encore pû savoir quelle étoit la durée de la vie des abeilles : quelques Auteurs ont prétendu qu’elles vivoient dix ans, d’autres sept ; d’autres enfin ont rapproché de beaucoup le terme de leur mort naturelle, en le fixant à la fin de la premiere année : c’est peut-être l’opinion la mieux fondée ; il seroit difficile d’en avoir la preuve ; car on ne pourroit pas garder une abeille séparément des autres : ces insectes ne peuvent vivre qu’en société.

Après avoir suivi les abeilles dans leurs différens âges, il faut rapporter les faits les plus remarquables dans l’espece de société qu’elles composent. Une ruche ne peut subsister, s’il n’y a une abeille mere ; & s’il s’en trouve plusieurs, les abeilles ouvrieres tuent les surnuméraires. Jusqu’à ce que cette exécution soit faite, elles ne travaillent point, tout est en desordre dans la ruche. On trouve communément des ruches qui ont jusqu’à seize ou dix-huit mille habitans ; ces insectes travaillent assidûment tant que la température de l’air le leur permet. Elles sortent de la ruche dès que l’aurore paroît ; au printems, dans les mois d’Avril & de Mai, il n’y a aucune interruption dans leurs courses depuis quatre heures du matin jusqu’à huit heures du soir ; on en voit à tout instant sortir de la ruche & y rentrer chargées de butin. On a compté qu’il en sortoit jusqu’à cent par minute, & qu’une seule abeille pouvoit faire cinq, & même jusqu’à sept voyages en un jour. Dans les mois de Juillet & d’Août, elles rentrent ordinairement dans la ruche pour y passer le milieu du jour ; on ne croit pas qu’elles craignent pour elles-mêmes la grande chaleur, c’est plûtôt parce que l’ardeur du Soleil ayant desséché les étamines des fleurs, il leur est plus difficile de les pelotonner ensemble pour les transporter ; aussi celles qui rencontrent des plantes aquatiques qui sont humides, travaillent à toute heure.

Il y a des tems critiques où elles tâchent de surmonter tout obstacle, c’est lorsqu’un essain s’est fixé dans un nouveau gîte ; alors il faut nécessairement construire des gâteaux ; pour cela, elles travaillent continuellement ; elles iroient jusqu’à une lieue pour avoir une seule pelotte de cire. Cependant la pluie & l’orage sont insurmontables ; dès qu’un nuage paroît l’annoncer, on voit les abeilles se rassembler de tous côtés, & rentrer avec promptitude dans la ruche. Celles qui rapportent du miel ne vont pas toûjours le déposer dans les alvéoles ; elles le distribuent souvent en chemin à d’autres abeilles qu’elles rencontrent ; elles en donnent aussi à celles qui travaillent dans la ruche, & même il s’en trouve qui le leur enlevent de force.

Les abeilles qui recueillent la cire brute, l’avalent quelquefois pour lui faire prendre dans leur estomac la qualité de vraie cire : mais le plus souvent elles la rapportent en pelotes, & la remettent à d’autres ouvrieres qui l’avalent pour la préparer ; enfin la cire brute est aussi déposée dans les alvéoles. L’a-