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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/947

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entrepris de donner des regles pour déterminer cette hauteur, par la portion de la nuée lumineuse, vûe en un seul endroit. D’autres ont eu recours à la hauteur du phénomene vû en divers endroits à la fois. Mais il n’est pas bien certain si l’aurore boréale, qui a été si commune en 1716, 1726, 1729, 1736, & qui a paru dans la plûpart des endroits de l’Europe, étoit toûjours la même lumiere qui se tenoit & brilloit à la même place ; de sorte qu’on ne sauroit déterminer sûrement la parallaxe ni par conséquent la véritable distance de ce météore, par la hauteur où on l’a vû de divers endroits.

La matiere de l’aurore boréale est de telle nature qu’elle peut s’enflammer, & répandre ensuite une lumiere foible. Cette matiere est alors si raréfiée, qu’on peut toûjours voir les étoiles à-travers ; de sorte que non-seulement les colonnes, mais aussi la nuée blanche, & même la nuée noire, transmettent la lumiere de ces astres. On ne sauroit déterminer avec certitude la nature de cette matiere. La Chimie nous fournit aujourd’hui plusieurs matieres qui peuvent s’enflammer, brûler par la fermentation, & jetter de la lumiere comme le phosphore. Qu’on mêle du tartre avec le régule d’antimoine martial, & qu’on fasse rougir long-tems ce mêlange dans un creuset, on en retire une poudre qui s’enflamme, lorsqu’on l’expose à un air humide ; & si elle vieillit un peu, elle devient fort brûlante. L’aurore boréale n’est pas une flamme comme celle de notre feu ordinaire : mais elle ressemble au phosphore, qui ne luit pas d’abord, & qui jette ensuite une lumiere foible. Les colonnes que darde la nuée lumineuse, sont comme la poudre du phosphore que l’on souffle dans l’air, ou qu’on y répand en la faisant sortir du cou d’une bouteille ; de sorte que chaque parcelle jette à la vérité une lueur, mais elle ne donne pas de flamme ou de feu rassemblé ; & la lumiere est si foible, qu’on ne peut la voir pendant le jour, ni lorsque nous avons en été le crépuscule du soir qui répand une trop grande clarté. Cette matiere approche donc de la nature du phosphore : mais quoique nous en connoissions peut-être plus de cinquante especes, nous n’oserions cependant assûrer que la nature ne renferme pas dans son sein un plus grand nombre d’especes de matieres semblables, puisque l’art nous en fait tous les jours découvrir de nouvelles. Mussch.

Il est vraissemblable, selon quelques physiciens, que cette matiere tire son origine de quelque région septentrionale de la terre, d’où elle s’éleve & s’évapore dans l’air. Il s’en est évaporé de nos jours une plus grande abondance qu’auparavant, parce que, disent-ils, cette matiere renfermée dans les entrailles de la terre, s’est détachée & s’est élevée après avoir été mise en mouvement ; de sorte qu’elle peut à présent s’échapper librement par les pores de la terre, au lieu qu’elle étoit auparavant empêchée par les rochers, les voûtes pierreuses, ou par des croûtes de terres compactes & durcies, ou bien parce qu’elle étoit trop profondément enfoncée dans la terre. Ainsi nous ne manquerons point de voir des aurores boréales aussi long-tems que cette matiere se rassemblera, & qu’elle pourra s’élever dans l’air : mais dès qu’elle sera dissipée, ou qu’elle viendra à se recouvrir par quelque nouveau tremblement de terre, on ne verra plus ces aurores, & peut-être cesseront-elles même de paroître entierement pendant plusieurs siecles. On peut expliquer par-là pourquoi l’on n’avoit pas apperçû cette matiere avant l’an 1716, tems auquel on fut tout surpris de la voir subitement se manifester, comme si elle sortoit de la terre en grande quantité. Cette matiere se trouve peut-être répandue en plusieurs endroits de notre globe ; & il y a tout lieu de croire que ces lumieres, dont les anciens Grecs & Romains font mention, & dont ils nous donnent eux-

mêmes la description, étoient produites par une matiere

semblable qui sortoit de la terre en Italie & dans la Grece. Si ces phénomenes eussent été alors aussi peu fréquens en Italie qu’ils le sont aujourd’hui, ni Pline, ni Seneque, n’en auroient pas parlé, comme nous voyons qu’ils ont fait. Il a paru plusieurs explications de l’aurore boréale : mais il n’y en a peut-être aucune qui soit pleinement satisfaisante. L’ouvrage de M. de Mairan, dans lequel il propose son hypothese sur ce sujet, & rapporte plusieurs phénomenes tout-à-fait curieux, est le plus convenable à ceux qui veulent s’instruire à fond de tout ce qui concerne ce météore. M. de Mairan l’attribue à une atmosphere autour du soleil. Voyez Lumiere zodiacale. Selon lui cette atmosphere s’étend jusqu’à l’orbite terrestre & au-delà, & le choc du pole de la terre contre cette matiere, produit l’aurore boréale. Mais c’est faire tort à son hypothese, que de l’exposer si fort en abregé. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs à l’ouvrage même.

Comme les nuées qui forment l’aurore boréale paroissent au nord, il n’est pas difficile de comprendre qu’elles peuvent être poussées par un vent dans notre atmosphere vers l’est, le sud ou l’ouest, où nous pourrons les voir, de sorte que nous devrons alors leur donner le nom d’aurores méridionales. M. Musschenbroek croit avoir apperçû deux de ces lumieres méridionales en 1738. Le savant M. Weidler nous. a aussi donné la description d’une semblable lumiere qu’il avoit vûe lui-même entre l’ouest & le sud-ouest le soir du 9 Octobre de l’année 1730, entre 8 1/2 & 9 heu. 47′. Elle paroissoit comme un arc blanc & lumineux, élevé de onze degrés au-dessus de l’horison, & dont le diametre étoit de trois degrés. On trouve aussi deux semblables lumieres méridionales dans les Mémoires de l’Académie royale des sciences. Le phénomene que vit le pere Laval à Marseille en 1704, étoit apparemment une lumiere de cette nature ; car il parut dans l’air une poutre lumineuse, poussée de l’est à l’ouest assez lentement : le vent étoit à l’est. À Montpellier on vit le même soir dans l’air deux poutres lumineuses poussées de la même maniere. Concluons toutes ces observations par celle-ci : c’est que cette lumiere ne produit dans notre atmosphere aucun changement dont on puisse être assuré, & qu’elle n’est cause d’aucune maladie, ni du froid qui survient, ni d’un rude hyver, comme quelques savans l’ont crû, puisqu’on a eu des hyvers doux après qu’elle avoit paru. Mussch.

La figure premiere Pl. Phys. représente la fameuse aurore boréale de 1726, telle qu’elle parut à Paris le 19 Octobre 1726 à 8 heures du soir dans tout l’hémisphere septentrional : & la figure 2 en représente une autre vûe à Giessen le 17 Fevrier 1731, dépouillée des rayons & jets de lumiere.

M. de Maupertuis, dans la relation de son voyage au nord, décrit en cette sorte les aurores boréales qui paroissent l’hyver en Laponie. « Si la terre est horrible alors dans ces climats, le ciel présente aux yeux les plus charmans spectacles. Dès que les nuits commencent à être obscures, des feux de mille couleurs & de mille figures éclairent le ciel, & semblent vouloir dédommager cette terre, accoûtumée à être éclairée continuellement, de l’absence du soleil qui la quitte. Ces feux dans ces pays n’ont point de situation constante comme dans nos pays méridionaux. Quoiqu’on voye souvent un arc d’une lumiere fixe vers le nord, ils semblent cependant le plus souvent occuper indifféremment tout le ciel. Ils commencent quelquefois par former une grande écharpe d’une lumiere claire & mobile, qui a ses extrémités dans l’horison, & qui parcourt rapidement les cieux, par un mouvement semblable à celui du filet des pêcheurs, conservant dans ce mouvement assez sensi-