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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/875

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que cet arbre est dans sa force à vingt ou vingt-cinq ans, & que sa durée va jusqu’à quarante-cinq ou cinquante, & même plus loin lorsqu’on a soin de le soutenir par la taille.

La feuille du mûrier blanc est le seul objet de la culture de cet arbre. Elle est la seule nourriture que l’on puisse donner aux vers à soie ; mais outre cet usage, cette feuille a toutes les qualités de celles du mûrier noir. Voyez ce qui en a été dit.

Les mûres que produit cet arbre ne peuvent servir qu’à nourrir la volaille ; elle les mange avec avidité, & s’en engraisse promptement.

Le bois du mûrier blanc sert aux mêmes usages que celui du mûrier noir, & il est de même qualité, si ce n’est qu’il n’est pas si compact & si fort ; de plus, on en fait des cercles & des perches pour les palissades des jardins, qui sont de longue durée. On se sert aussi de ce bois en Provence pour faire du merrain à futailles pour le vin, mais il faut qu’il soit préparé à la scie, parce qu’il se refuse à la fente. On peut encore tirer du service de toute l’écorce de cet arbre, non-seulement pour en former des cordes, mais encore pour en faire de la toile ; l’écorce des jeunes rejettons est plus convenable pour ce dernier usagé. Comme le mûrier pousse vigoureusement, & qu’on a souvent occasion de le tailler, on peut rassembler les rejettons de jeunes bois les plus forts & les plus longs qui sont provenus des tontes ou d’autres menues tailles ; les faire rouir comme le chanvre, les tiller de même ; ensuite seraner, filer, façonner cette matiere comme la toile. La même économie se pratique en Amérique. M. le Page, dans ses mémoires sur la Louisiane, dit que le premier ouvrage des filles de huit à neuf ans, est d’aller couper, dans le tems de la seve, les rejettons que produisent les mûriers après avoir été abattus ; qu’elles pelent ces rejettons qui ont cinq à six piés de longueur, ensuite font sécher l’écorce, la battent à deux reprises pour en ôter la poussiere & la diviser ; puis la blanchissent & enfin la filent de la grosseur d’une ficelle. Quelques auteurs modernes prétendent qu’on pourroit employer le mûrier blanc à former du bois taillis ; qu’il y viendroit aussi vîte, & y réussiroit aussi-bien que le coudrier, l’orme, le frène & l’érable ; mais on n’a point encore de faits certains à ce sujet.

Le mûrier d’Espagne est de la même espece que le mûrier blanc ; c’est une variété d’une grande perfection que la graine a produit en Espagne. Il fait un bel arbre, une tige très-droite, & une tête réguliere ; sa feuille est beaucoup plus grande que celle des mûriers blancs ordinaires de la meilleure espece ; elle est plus épaisse, plus ferme, plus succulente, & toujours entiere, sans aucunes découpures. Les mûres que cet arbre produit, sont grises & plus grosses que celles des autres mûriers blancs, sur lesquels on peut le multiplier par la greffe en écusson, qui réussit très-aisément ; mais cette fouille ne convient pas toujours pour la nourriture des vers à soie. On prétend que si on ne leur donnoit que de celle-là, il n’en viendroit qu’une soie grossiere ; cependant on convient assez généralement qu’on peut leur en donner quelques jours avant qu’ils ne fassent leurs cocons, & que la soie en sera plus forte & toute aussi fine.

Le mûrier de Virginie à fruit rouge, c’est un grand & bel arbre qui est rare & précieux. Il faut le soigner pour lui faire une tête un peu réguliere, parce que ses branches s’élancent trop ; son écorce est unie, lisse & d’une couleur cendrée fort claire. Ses feuilles sont très-larges, & de neuf à dix pouces de longueur, dentelées en maniere de scie, & terminées par une pointe alongée ; leur surface est inégale & rude au toucher ; elles sont moëlleuses, ten-

dres, d’un vert naissant, & en général d’une grande

beauté. Elles viennent douze ou quinze jours plûtôt que celles du mûrier blanc. Dès la mi-Avril l’arbre porte des chatons qui ont jusqu’à trois pouces de longueur ; à la fin du même mois, les mûres paroissent, & leur maturité s’accomplit au commencement de Juin ; alors elles sont d’une couleur rouge assez claire, d’une forme conique alongée, & d’un goût plus acide que doux ; mais elles n’ont pas tant de suc que les mûres noires. Cet arbre porte des chatons, dès qu’il a trois ou quatre ans ; cependant il ne donne du fruit que huit ou neuf ans après qu’il a été semé. Ce mûrier est aussi robuste que les autres, lorsqu’il est placé à mi-côte ou sur des lieux élevés ; mais quand-il se trouve dans un sol bas & humide, il est sujet à avoir les cimes gelées dans les hivers rigoureux. Son accroissement est du double plus prompt que celui du mûrier blanc ; il réussit aisément à la transplantation, mais il n’est pas aisé de le multiplier. Ceux que j’ai élevés, sont venus en semant les mûres qui avoient été envoyées d’Amérique, & qui étoient bien conservées. Les plantes qui en vinrent, s’éleverent en trois ans à sept piés la plûpart ; & en quatre autres années après la transplantation, ils ont pris jusqu’à quinze piés de hauteur, sur sept à huit pouces de circonférence. Ces arbres dans la force de leur jeunesse poussent souvent des branches de huit à neuf piés de longueur. Les mûres qu’ils ont produites en Bourgogne, & que j’ai semées jusqu’à deux fois, n’ont pas réussi. Seroit-ce par l’insuffisance de la fécondité des graines, ou le succès aura-t il dépendu de quelques circonstances de culture qui ont manqué ? C’est ce qui ne peut s’apprendre qu’avec de nouvelles tentatives. Cet arbre se refuse absolument à venir de boutures, & la greffe ne réussit pas mieux. Il est vrai qu’elle prend sur les autres mûriers, mais il en est de cette greffe comme Palladius a dit de celle du mûrier blanc sur l’orme, parturie magna infelicitatis augmenta ; elle va toujours en dépérissant.

Il n’y a donc actuellement d’autre moyen de multiplier ce mûrier, que de le faire venir de branches couchées ; encore faut-il y employer toutes les ressources de l’art ; les marcotes, les serres, au moyen d’un fil de fer, & avec le procédé le plus exact, n’auront de bonnes racines qu’au bout de trois ans. En coupant les jeunes branches de cet arbre, & en detachant les feuilles, j’ai observé qu’il en sort un suc laiteux assez abondant, un peu corosif & tout opposé à la seve des autres mûriers, qui est fort douce. C’est apparemment cette différence entre les seves, qui fait que la greffe ne prend pas sur le sujet. La feuille de ce mûrier seroit-elle convenable pour la nourriture des vers, & quelle qualification donneroit-elle à la soie ? c’est ce qu’on ne sait encore aucunement. Cet arbre est en seve pendant toute la belle saison, & jusque fort tard en automne ; ensorte que les feuilles ne tombent qu’après avoir été frappées des premieres gelées.

Le mûrier de Virginie à feuilles velues. On n’a point cet arbre encore en France ; il est même extremement rare en Angleterre. Presque tout ce qu’on en peut savoir jusqu’à présent, se trouve dans la sixiéme édition du dictionnaire des Jardiniers de M. Miller, auteur anglois, qui rapporte que les feuilles de ce mûrier ont beaucoup de ressemblance avec celles du mûrier noir, mais qu’elles sont plus grandes & plus rudes au toucher ; que l’écorce de ses jeunes branches est noirâtre, comme les rameaux du micocouiller ; qu’il est très-robuste ; qu’il y en a un grand arbre à Fulham, prés de Londres ; que cet arbre a quelquefois donné un grand nombre de chatons semblables à ceux du noisetier, mais qu’ils n’ont jamais porté de fruit ; que les greffes qu’on a