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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/169

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porter banniere, & devoient soudoyer cinquante hommes d’armes ; le bachelier étoit un chevalier qui n’ayant pas assez de bien pour lever banniere, servoit sous la banniere d’autrui ; l’écuyer portoit l’écu du chevalier.

La haute noblesse fut elle-même divisée en trois classes : dans la premiere, les princes ; dans la seconde, les ducs, comtes, marquis & barons ; dans la troisieme, les simples chevaliers.

Il y avoit autrefois quatre voies différentes pour acquérir la noblesse : la premiere étoit par la profession des armes ; la seconde étoit par l’investiture d’un fief ; la troisieme étoit par l’exercice des grands offices de la couronne & de la maison du roi & des grands offices de judicature ; la quatrieme étoit par des lettres d’annoblissement.

Présentement la profession des armes n’annoblit pas indistinctement tous ceux qui l’exercent ; la noblesse militaire n’est acquise que par certains grades & après un certain tems de service. Voyez Noblesse militaire.

La possession des fiefs, même de dignité, n’annoblit plus. Voyez ci-après Noblesse féodale.

Il y a cependant encore quatre sources différentes d’où l’on peut tirer la noblesse : savoir, de la naissance ou ancienne extraction ; du service militaire, lorsqu’on est dans le cas de l’édit du mois de Novembre 1750 ; de l’exercice de quelque office de judicature, ou autre qui attribue la noblesse ; enfin, par des lettres d’annoblissement, moyennant finance ou sans finance, en considération du mérite de celui qui obtient les lettres.

Le roi a seul dans son royaume le pouvoir d’annoblir. Néanmoins anciennement plusieurs ducs & comtes s’ingéroient de donner des lettres de noblesse dans leurs seigneuries, ce qui étoit une entreprise sur les droits de la souveraineté. Les régens du royaume en ont aussi donné. Il y avoit même des gouverneurs & lieutenans-généraux de province qui en donnoient, & même quelques évêques & archevêques.

Enfin, il n’y eut pas jusqu’à l’université de Toulouse qui en donnoit. François I. passant dans cette ville, accorda aux docteurs-régens de cette université le privilege de promouvoir à l’ordre de chevalerie, ceux qui auroient accompli le tems d’étude & de résidence dans cette université, ou autres qui seroient par eux promus & aggrégés au degré doctoral & ordre de chevalerie.

Mais tous ceux qui donnoient ainsi la noblesse, ou ne le faisoient que par un pouvoir qu’ils tenoient du roi, ou c’étoit de leur part une usurpation.

La noblesse, accordée par des princes étrangers à leurs sujets & officiers, n’est point reconnue en France à l’effet de jouir des privileges dont les nobles françois jouissent dans le royaume, à moins que l’étranger qui est noble dans son pays n’ait obtenu du roi des lettres portant reconnoissance de sa noblesse, ou qu’il ne tienne sa noblesse d’un prince dont les sujets soient tenus pour regnicoles en France, & que la noblesse de ce pays y soit reconnue par une réciprocité de privileges établie entre les deux nations, comme il y en a quelques exemples.

La noblesse d’extraction se prouve tant par titres que par témoins. Il faut prouver 1o. que depuis cent ans les ascendans paternels ont pris la qualité de noble ou d’écuyer, selon l’usage du pays ; 2o. il faut prouver la filiation.

Les bâtards des princes sont gentilshommes, mais ceux des gentilshommes sont roturiers, à moins qu’ils ne soient légitimés par mariage subséquent.

La noblesse se perd par des actes de dérogeance, ainsi que je l’ai observé ci-devant au mot dérogeance ; quelquefois elle est seulement en suspens pendant un

certain tems. J’ai dit ci-devant au mot dormir, qu’en Bretagne un gentilhomme qui veut faire commerce déclare, pour ne pas perdre sa noblesse, qu’il n’entend faire commerce que pendant un tems : je croyois alors que cette déclaration étoit nécessaire, c’est une erreur où j’ai été induit par la Roque & quelques autres auteurs mal-informés des usages de Bretagne ; & j’ai appris depuis qu’il est inoui en Bretagne, qu’un noble qui veut faire un commerce dérogeant, soit obligé de faire préalablement sa déclaration qu’il entend laisser dormir sa noblesse. Une telle déclaration seroit d’autant plus inutile que jamais en Bretagne la noblesse ne se perd par un commerce dérogeant, quand même il seroit continué pendant plusieurs générations ; il n’empêcheroit même pas le partage noble des immeubles venus de succession pendant le commerce ; il suspend seulement pendant sa durée l’exercice des privileges de la noblesse, & il opere le partage égal des biens acquis pendant le commerce. On peut voir sur cela les Actes de notoriété, 19, 26, 80 & 168, qui sont à la fin de de Volant : le dernier de ces actes fait mention d’une multitude d’arrêts rendus, lors de la recherche de la noblesse & dans les tems qui ont précédé. La déclaration dont parle l’article 561 de la coutume, n’est pas requise avant de commencer le commerce ; c’est lorsque celui qui faisoit commerce, le quitte & veut reprendre ses qualité & privilege de noblesse : l’objet de cette déclaration est d’empêcher à l’avenir que le noble ne soit imposé aux charges roturieres, après qu’il a cessé son commerce. C’est une observation dont je suis redevable à M. du Parc-Poulain, l’un des plus célebres avocats au parlement de Rennes, & qui nous a donné, entr’autres ouvrages, un savant commentaire sur la coutume de Bretagne. Il a eu la bonté de me faire part de ses réflexions sur plusieurs de mes articles, où j’ai touché quelque chose des usages de sa province. Je ferai ensorte de les placer dans quelque article qui ait rapport à ceux qui sont déja imprimés, afin que le public ne perde point le fruit des lumieres de M. du Parc.

Les nobles sont distingués des roturiers par divers privileges. Ils en avoient autrefois plusieurs dont ils ne jouissent plus à cause des changemens qui sont survenus dans nos mœurs : il est bon néanmoins de les connoître pour l’intelligence des anciens titres & des auteurs.

Anciens privileges des nobles. La noblesse étoit autrefois le premier ordre de l’état ; présentement le clergé est le premier, la noblesse le second.

Les nobles portoient tous les armes & ne servoient qu’à cheval, eux seuls par cette raison pouvoient porter des éperons ; les chevaliers en avoient d’or, les écuyers d’argent, les roturiers servoient à pié : c’est de-là qu’on disoit, vilain ne sait ce que valent éperons.

Les anciennes ordonnances disent que les nobles étant prisonniers de guerre doivent avoir double portion.

Le vilain ou roturier étoit semond pour la guerre ou pour les plaids du matin au soir ou du soir au matin ; pour semondre un noble il falloit quinzaine.

Dans l’origine des fiefs, les nobles étoient seuls capables d’en posséder.

La chasse n’étoit permise qu’aux nobles.

La femme noble, dès qu’elle avoit un hoir mâle, cessoit d’être propriétaire de sa terre, elle n’en jouissoit plus que comme usufruitiere, bailliste, ou gardienne de son fils, ensorte qu’elle ne pouvoit plus la vendre, l’engager, la donner, ni la diminuer à son préjudice par quelque contrat que ce fût, elle pouvoit seulement en léguer une partie au-dessous du quint pour son anniversaire ; au-lieu que le pere noble, soit qu’il eût enfans ou non, pouvoit disposer