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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/180

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C’est une tradition vulgaire que les gentilshommes ont seuls le droit de travailler à cet ouvrage ; ce qui est de certain, c’est que dans la plûpart des verreries, ce sont des gentilshommes qui s’occupent à cet exercice, & qu’ils ne souffriroient pas que des roturiers travaillassent avec eux, si ce n’est pour les servir. C’est apparemment ce qui a fait croire à quelque personne que l’exercice de l’art de verrerie faisoit une preuve de noblesse ; & en effet la Roque, ch. cxliv. dit que les arrêts contraires n’ont pas empêché qu’en quelques provinces plusieurs verriers n’ayent été déclarés nobles en la derniere recherche des usurpateurs de noblesse (il parle de celle qui fut faite en exécution de la déclaration de 1696), quoique, dit-il, ces verriers n’eussent aucune charte ni autre principe de noblesse. Mais dans les vrais principes il est constant que l’exercice de l’art de verrerie ne donne pas la noblesse, ni ne la suppose pas. On voit même que des gentilshommes de Champagne demanderent à Philippe-le-Bel des lettres de dispense pour exercer la verrerie, & que tous les verriers des autres provinces en ont obtenu de semblables des rois successeurs de Philippe-le-Bel ; ce qu’ils n’auroient pas fait, si cet art eût annobli, ou s’il eût supposé la noblesse : ainsi tout ce que l’on peut prétendre, c’est qu’il ne déroge pas. On voit en effet au liv. II. du titre théodosien, que Théodore honora les verriers de l’exemption de la plûpart des charges de la république, pour les engager à perfectionner leur profession par l’invention admirable du verre. Voyez la Roque, ch. cxliv. (A)

Noblesse de ville, est celle qui tire son origine de la mairie, c’est-à-dire, des charges municipales, telles que celles de prévôt des marchands, de maire, d’échevin, capitoul, jurat, &c. dans les villes où ces charges donnent la noblesse, comme à Paris, à Lyon, à Toulouse, &c.

Ce privilege de noblesse a été ôté à plusieurs villes qui en jouissoient sans titre valable. Voyez Echevin, Echevinage, Noblesse de cloche.

Noblesse utérine ou coutumiere, est celle que l’enfant tient seulement de la mere, lorsqu’il est né d’une mere noble & d’un pere roturier.

Cette espece de noblesse étoit autrefois admise dans toute la France, & même à Paris : en effet on voit dans les établissemens de saint Louis, qu’un enfant né d’une gentilfemme & d’un pere vilain ou roturier pouvoit posséder un fief ; ce qui n’étoit alors permis qu’aux nobles & gentilshommes.

Cet usage est très bien expliqué par Beaumanoir sur les coutumes de Beauvaisis, où il observe que la seule différence qu’il y eût entre les nobles de partage, c’est-à-dire, par le pere & les nobles de mere, c’est que ces derniers ne pouvoient pas être faits chevaliers ; il falloit être noble de pere & de mere.

Du reste, ceux qui tiroient leur noblesse de leur mere, étoient qualifiés de gentilshommes. Monstrelet, en parlant de Jean de Montaigu, qui fut grand-maître de France sous Charles VI. dit qu’il étoit gentilhomme de par sa mere.

Il n’y a point de province où la noblesse utérine se soit mieux maintenue qu’en Champagne. Toutes les femmes nobles avoient le privilege de transmettre la noblesse à leur postérité. Les historiens tiennent que ce privilege vint de ce que la plus grande partie de la noblesse de cette province ayant été tuée en une bataille l’an 841, on accorda aux veuves le privilege d’annoblir les roturiers qu’elles épouserent, & que les enfans qui naquirent de ces mariages furent tenus pour nobles. Quelques-uns ont cru que cette noblesse venoit des femmes libres de Champagne, lesquelles épousant des esclaves, leurs enfans ne laissoient pas d’être libres ; mais la

coutume de Meaux dit très-bien que la verge annoblit, & que le ventre affranchit.

Quoi qu’il en soit de l’origine de ce privilege, il a été adopté dans toutes les coutumes de cette province, comme Troyes, Châlons, Chaumont en Bassigny, Vitry.

Les commentateurs de ces coutumes se sont imaginé que ce privilege étoit particulier aux femmes de Champagne : mais on a déja vu le contraire ; & les coutumes de Champagne ne sont pas les seules où il soit dit que le ventre annoblit, celles de Meaux, de Sens, d’Artois & de Saint-Michel portent la même chose.

Charles VII. en 1430 donna des lettres datées de Poitiers, & qui furent registrées en la chambre des comptes, par lesquelles il annoblit Jean l’Eguisé, Evêque de Troyes, ses pere & mere, & tous leurs descendans, mâles & femelles, & ordonna que les descendans des femelles seroient nobles.

Sous le regne de Louis XII. en 1509, lorsque l’on présenta les procès-verbaux des coutumes de Brie & de Champagne aux commissaires du parlement, les vrais nobles qui ne vouloient point avoir d’égaux, remontrerent que la noblesse ne devoit procéder que du côté du pere ; ceux du tiers état, & même les ecclésiastiques du bailliage de Troyes & autres ressorts de Champagne & de Brie s’y opposerent, & prouverent par plusieurs jugemens, que tel étoit l’usage de toute ancienneté. On ordonna que la noblesse & le tiers état donneroient chacun leur mémoire, & que les articles seroient insérés par provision tels qu’ils étoient. Les commissaires renvoyerent la contestation au parlement, où elle est demeurée indécise.

Dans la suite, lorsqu’on fit la rédaction de la coutume de Châlons, l’article second qui admet la noblesse utérine ayant été présenté conforme aux coutumes de Troyes, de Chaumont & de Meaux, les gens du roi au siege de Châlons remontrerent l’absurdité de la coutume de Châlons, & demanderent que l’on apportât une exception pour les droits du roi ; ce qui fut accordé, & l’exemption confirmée par arrêt du parlement du 23 Décembre 1566 ; & présentement la noblesse utérine admise par les coutumes de Champagne & quelques autres, ne sert que pour ce qui dépend de la coutume, comme pour posséder des fiefs, pour les partages, successions & autres choses semblables ; mais elle ne préjudicie point aux droits du Roi.

La noblesse utérine de Champagne a été confirmée par une foule de jugemens & arrêts, dont les derniers sont de Noël 1599, 11 Janvier 1608, 7 Septembre 1622, 7 Septembre 1627, 14 Mars 1633, 18 Août 1673. Il y eut en 1668 procès intenté au conseil de la part du préposé à la recherche des faux nobles contre les nobles de Champagne, que l’on prétendoit ne tirer leur noblesse que du côté maternel ; mais le procès ne fut pas jugé, le conseil ayant imposé silence au préposé. Voyez les recherches sur la noblesse utérine de Champagne.

L’exemple le plus fameux d’une noblesse utérine reconnue en France est celui des personnes qui descendent par les femmes de quelqu’un des freres de la Pucelle d’Orléans. Elle se nommoit Jeanne Dars ou Darc. Charles VII. en reconnoissance des services qu’elle avoit rendus à la France par sa valeur, par des lettres du mois de Décembre 1429, l’annoblit avec Jacques Dars ou Darc & Isabelle Romée ses pere & mere, Jacquemin & Jean Dars & Pierre Perrel ses freres, ensemble leur lignage, leur parenté & leur postérité née & à naître en ligne masculine & féminine. Charles VII changea aussi leur nom en celui de du Lys.

On a mis en doute si l’intention de Charles VII.