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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/366

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propre : tant qu’il est contenu dans la matrice, il ne peut être regardé que comme un être parasite. Notre illustre auteur peint d’une maniere sensible & frappante cette révolution singuliere qu’éprouve un animal qui respire pour la premiere fois, par l’exemple d’une sorte de convulsion générale, d’un soubresaut qui souleve le corps d’un de ces enfans ordinairement foibles & malades, qui restent pendant quelques minutes après leur naissance dans une inaction, une espece de mort, dont ils sortent enfin par l’effort de cette premiere respiration. Or comme on connoît que le diaphragme est l’organe principal, le premier & véritable mobile de la respiration, que cet organe est soulevé, voûté dans le fœtus, de maniere qu’il réduit presqu’à rien la cavité de la poitrine, & que dans l’inspiration il est au contraire applani, déprimé, contracté ; on est très-porté à penser que le premier mobile de la vie proprement dite, est le diaphragme ; & à le regarder au moins d’abord comme une espece de balancier qui donne le branle à tous les organes, il est au moins bien évident, que commencer à vivre a été pour tout animal respirant, éprouver l’influence de la premiere contraction du diaphragme.

Mais comme il n’y a point d’action sans réaction, & que le point d’appui qui régit principalement celle-ci, qui la borne & qui la favorise par une réciprocation prochaine & immédiate, c’est la masse gastrico-intestinale, soit par son ressort inné, mais principalement par celui qu’elle acquiert en s’érigeant pour sa fonction propre : savoir, la digestion des alimens. Il résulte de ce premier commerce de forces une fonction commune & moyenne, que l’auteur a admirablement suivie, analysée & présentée, sous le nom de forces gastrico-diaphragmatiques, ou de forces épigastriques.

Voilà donc la fonction fondamentale, premiere, modératrice : reste à déterminer quels sont les organes qui la contre-balancent assez victorieusement pour exercer avec elle cette réciprocation ou cet antagonisme, sans lequel nulle force ne peut être exercée, déterminée, contenue ; ces organes sont la tête considérée comme organe immédiatement altéré par les affections de l’ame, les sensations, les passions, &c. & un organe général extérieur dont la découverte appartient éminemment à notre observateur. Un commerce d’action du centre épigastrique à la tête & à l’extérieur du corps, & une distribution constante & uniforme de forces, de mouvemens, de ton aux différens organes secondaires, vivifiés & mis en jeu par ces organes primitifs : voilà la vie & la santé. Cette distribution est-elle interrompue, y a-t-il aberration, ou accumulation de forces dans quelqu’un de ces organes, soit par des résistances vicieuses, soit au contraire par une inertie contre nature ; l’état de maladie ou de convulsion existe dès-lors : car maladie ou convulsion n’est proprement qu’une même chose : in tantum læditur, in quantum convellitur.

Ce point de vue général doit n’être d’abord que soupçonné, que pressenti : il est de l’essence des apperçues en grand de n’être pas soumises aux voies exactes & rigoureuses de la démonstration ; car ces vérifications de détail arrêtent la marche du génie, qui, dans les objets de cet ordre, ne sauroit être trop libre, prendre un essor trop vaste. D’ailleurs cette façon de concevoir est nécessairement liée à l’essence même du moyen de recherches, dont on a établi la nécessité, savoir, le sentiment intérieur, dont les découvertes ne sauroient s’appliquer à la toise vulgaire de l’art expérimental. Mais cette espece de pressentiment équivaut à la démonstration artificielle pour tout observateur initié, & qui procedera de bonne foi. On n’a rien de valable à objec-

ter à qui vous dit : observez-vous, descendez profondément dans vous-même, apprenez à voir, & vous verrez ; car tous les bons esprits que j’ai accouchés d’après mon plan, ont senti & observé comme moi.

Mais il y a plus, les phénomenes les plus connus de la santé & des maladies, les faits anatomiques, les observations singulieres, inexpliquées des médecins qui nous ont devancé, le τὸ θεῖον qu’Hippocrate trouvoit dans les maladies ; tout cela, dis-je, se range si naturellement sous le principe établi, qu’on peut l’étayer d’un corps de preuves à l’usage & dans la maniere du théoriste le plus attaché aux méthodes reçues.

Le renouvellement des causes d’activité, le soutien du jeu de la vie par l’action des six choses non naturelles ; les divisions & la saine théorie des maladies découlent comme de soi même de ce principe fécond & lumineux ; ensorte qu’il naît de cet ensemble un corps de doctrine & un code de pratique, où tout est correspondant, tout est lié, tout est simple, tout est un ; & dès-lors tout médecin qui a appris à manier cet instrument, cette regle de conduite, éprouve pour premier avantage (avantage précieux & trop peu senti) d’être affranchi du souci continuel où laissent les notions vagues, isolées, décousues, souvent disparates, d’après lesquelles il étoit obligé d’exercer un art dont l’objet est si intéressant. Cet avantage est si grand, je le répete, que quand même il ne seroit dû qu’à un système artificiel, un pareil systême seroit toujours un bien très-réel, à plus forte raison doit-il être accueilli avec la plus grande reconnoissance, étant vrai, réel, puisé dans les sources de la plus vive lumiere qu’on puisse espérer dans les études de cette espece, savoir, le sentiment intérieur & l’observation, & s’appuyant même subsidiairement de tous les autres moyens de connoissance reçus.

Mais un des principaux avantages de ce nouveau plan de médecine, & en quoi il est éminemment préférable & véritablement unique, c’est le grand jour qu’il répand sur l’hygiene, ou la science du régime, cette branche de la médecine si precieuse & si négligée, & d’embrasser le régime des sensations des passions d’une maniere si positive & si claire, qu’il en résulte un traité médical de morale & de bonheur.

La forme de cet ouvrage ne permet pas d’exposer ici les branches particulieres du système ; les théories satisfaisantes qu’il fournit sur les fonctions plus ou moins générales, sur les sécrétions, sur les générations, &c. non plus que le tableau des maladies, le plan général de thérapeutique, &c. parce que ces chose sont traitées dans des articles particuliers. Voyez Passion, (diete & thérapeut.) D’ailleurs les lecteurs qui ne font pas une étude particuliere des objets de cet ordre, ne desireront pas plus de détail ; & les médecins de profession doivent trouver cette matiere trop intéressante pour ne pas chercher à s’en instruire à fond dans les ouvrages mêmes de l’auteur. Ils doivent consulter pour cela le specimen novi medicinæ conspectûs, edit, alter. Paris, 1751. les institutiones medicæ, faites sur ce nouveau plan, Paris, 1755, l’idée de l’homme physique & moral, & l’extrait raisonné de ce même ouvrage. Le savant auteur du discours sur les animaux carnassiers, qui est le premier morceau du septieme volume de l’histoire du cabinet du roi, a formellement adopté le systême d’œconomie animale que nous venons d’exposer. Cet écrit doit aussi être consulté. (m)

Œconomie politique, (Hist. Pol. Rel. anc. & mod.) c’est l’art & la science de maintenir les hommes en société, & de les y tendre heureux.