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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/506

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des plus merveilleux par la magnificence de tout l’appareil ; mais le spectacle le plus agréable & le plus nouveau fut Marcellus lui-même portant à Jupiter l’armure du roi barbare ; car ayant fait tailler le tronc d’un chêne, & l’ayant accommodé en forme de trophée, il le revêtit de ces armes en les arrangeant proprement & avec ordre.

» Quand la pompe se fut mise en marche, il monta sur un char à quatre chevaux ; & prenant ce chêne ainsi ajusté, il traversa toute la ville, les épaules chargées de ce trophée, qui avoit la figure d’un homme armé, & qui faisoit le plus superbe ornement de son triomphe. Toute l’armée le suivoit avec des armes magnifiques, en chantant des chansons composées pour cette cérémonie, & des chants de victoire à la louange de Jupiter & de leur général ».

Dès qu’il fut arrivé dans cet ordre au temple de Jupiter Férétrien, il planta ce trophée & le consacra. Voilà le troisieme & le dernier capitaine qui ait eu cet honneur chez les Romains. Le premier qui remporta ces sortes de dépouilles opimes fut Romulus après avoir tué Acron, roi des Céninéens, & son triomphe a été l’origine & le modele de tous les autres triomphes. Le second qui remporta les dépouilles opimes fut Cornélius Cossus, qui défit & tua Tolumnius, roi des Toscans ; & le troisieme fut Marcellus, après avoir tué Viridomare, roi des Gaulois.

Le même historien prétend dans la vie de Romulus, qu’il n’y a que les généraux d’armée romaine qui ont tué de leur main le général des ennemis, qui ayent eu la permission de consacrer à Jupiter les dépouilles opimes ; mais il se trompe ; ce n’étoit point une condition nécessaire que celui qui prenoit ces dépouilles, & qui tuoit de sa main le géneral ennemi, commandât lui même en chef ; non-seulement un officier subalterne, mais un simple soldat pouvoit gagner les dépouilles opimes, & en faire l’offrande à Jupiter Férétrien. Varon l’assûre, la loi de Numa le dit, & finalement ce fait est confirmé par l’exemple de Cornélius Cossus, qui tua Tolumnius, roi des Toscans, & gagna les dépouilles opimes n’étant que tribun des soldats, car le général étoit Æmilius. C’est à la vérité Tite-Live qui a jetté Plutarque dans l’erreur en nommant Cossus consul d’après une inscription, qui ne signifioit autre chose sinon que Cossus étoit ensuite parvenu à la dignité du consulat. Tite-Live se conduisit ainsi moins par erreur que par flatterie pour Auguste, dont le but étoit d’étouffer la tradition immémoriale, que les particuliers pouvoient prétendre au grand honneur du triomphe par les dépouilles opimes. (Le Chevalier de Jaucourt.)

OPIMIEN, vin, (Littér.) sous le consulat de L. Opimius & de Quintus Fabius Maximus l’an 121 avant Jesus-Christ, les différentes saisons au rapport de Pline, liv. XIV. chap. iv. furent si favorables aux biens de la terre, que l’on n’avoit jamais vû les fruits si beaux & si bons, sur-tout les vins qui furent si exquis & si forts, qu’on en garda pendant plus d’un siecle. C’est là le fameux vin que les poëtes ont immortalisé sous le titre de vin opimien, qui lui fut donné du nom du premier de ces consuls. (D. J.)

OPINATEURS, opinatores, s. m. (Hist. anc.) c’étoient dans la milice romaine ce que nous appellons des vivriers. Ils fournissoient l’armée de pain, de vin & de fourage, ou du-moins ils veilloient à ce que cette subsistance n’y manquât pas ; on les appelloit procuratores, probatores, æstimatores : ils avoient aussi le soin d’examiner la qualité & la quantité des vivres.

OPINANT, OPINER, voyez Opinion.

OPINER de la main, (Antiq. greq.) maniere d’opiner chez les Athéniens en étendant la main en forme de signal vers le magistrat qu’ils élisoient, ou vers l’orateur dont l’avis leur plaisoit davantage ; cette maniere d’opiner par l’extension des mains se nommoit en un seul mot χειροτονία ; & c’est pour cela que les magistrats élus de la sorte s’appelloient χειροτονητοί : tels étoient les Pylagores. Xénophon, l.I. rev. hellen. raconte que la nuit ayant surpris le peuple d’Athènes, assemblé pour un sujet important, il fut obligé de remettre la délibération à un autre jour, de peur qu’on n’eût trop de peine à démêler leurs mains & les mouvemens.

Cicéron se moque fort de cette maniere d’opiner qui produisoit les decrets d’Athènes : tels sont, dit-il, ces beaux decrets athéniens, qu’ils faisoient sonner si haut ; decrets qui n’étoient point formés sur des opinions & des avis des juges, ni affermis sur des sermens ; decrets enfin qui n’avoient pour base que les mains étendues, & les clameurs redoublées d’une populace tumultueuse : il étendent les mains, & voilà un decret éclos : porrigunt manus, & psephisma natum est. Cic. oratio pro Flacco.

Il est vrai cependant qu’il falloit au-moins 6000 citoyens pour former le decret psephisma, dont Cicéron se moque. On l’intituloit du nom ou de l’orateur, ou du sénateur dont l’opinion avoit prévalu ; on mettoit avant tout la date dans laquelle entroit premierement le nom de l’archonte ; ensuite le jour du mois, & finalement le nom de la tribu qui étoit en tour de présider. Voici la formule de ces sortes de décrets par où l’on pourra juger de toutes les autres. « Sous l’archonte Multiphile, le trentieme jour du mois Hécatombœon, la tribu de Pandion étant en exercice, on a décerné, &c. ». (D. J.)

OPINIATRE, adj. OPINIATRETÉ, OBSTINATION, s. f. (Synonym. Gramm.) ces deux mots présentent à l’esprit un fort & déraisonnable attachement à ce qu’on a une fois conçu ou résolu d’exécuter.

L’opiniatreté est un entêtement aveugle pour un sujet injuste ou de peu d’importance : elle part communément d’un caractere rétif, d’un esprit sot ou méchant, ou méchant & sot tout ensemble, qui croiroit sa gloire ternie s’il revenoit sur ses pas, lorsqu’on l’avertit qu’il s’égare. Ce défaut est l’effet d’une fermeté mal entendue, qui confirme un homme opiniâtre dans ses volontés, & qui lui faisant trouver de la honte à avouer son tort, l’empêche de se retracter.

L’obstination consiste aussi dans un trop grand attachement à son sens sans aucune raison solide. Cependant ce défaut semble provenir plus particulierement d’une espece de mutinerie affectée qui rend un homme intraitable, & fait qu’il ne veut jamais céder. L’effet particulier de l’opiniatreté & de l’obstination tend directement à ne point se rendre aux idées des autres malgré toutes lumieres contraires : avec cette différence que l’opiniatreté refuse ordinairement d’écouter la raison par une opposition qui lui est comme naturelle & de tempérament, au lieu que l’obstiné ne s’en défend souvent que par une volonté de pur caprice & de propos délibéré. (D. J.)

OPINION, opinio, s. f. (Logique.) est un mot qui signifie une créance fondée sur un motif probable, ou un jugement de l’esprit douteux & incertain. L’opinion est mieux définie, le consentement que l’esprit donne aux propositions qui ne lui paroissent pas vraies au premier coup-d’œil, ou qui ne se déguisent pas par une conséquence nécessaire de celles qui portent en elles l’empreinte de la vérité.