Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tomberent peu-à-peu dans l’oubli, à cause du changement qui arriva dans la forme du gouvernement, lequel introduisit aussi un nouveau droit.

En effet, les inféodations qui furent faites vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme race, introduisirent le droit féodal.

Sous Louis le Gros, lequel commença à affranchir les fiefs de son domaine, tout se régloit en France par le Droit des fiefs, celui des communes & bourgeoisies, & des main-mortes.

Tous ces usages ne furent point d’abord rédigés par écrit dans une révolution, telle que celle qui arriva dans le gouvernement ; on étoit beaucoup plus occupé à se maintenir par les armes, que du soin de faire des lois.

Depuis les capitulaires qui finissent, comme on l’a dit, en 921, l’on ne trouve aucune ordonnance faite par les rois de la seconde & de la troisieme races jusqu’en 1051, encore jusqu’à S. Louis ; si l’on en excepte une ordonnance de 1188. sur les décimes, & celle de Philippe Auguste en 1190, ce ne sont proprement que des chartres ou lettres particulieres ; dans le premier volume des ordonnances de la troisieme race, on n’a inséré que dix de ces lettres, qui ont été données depuis l’an 1051. jusqu’en 1190, étant les seules qui contiennent quelques réglemens, encore ne sont-ce que des réglemens particuliers pour une ville, ou pour une église ou communauté, & non des ordonnances générales faites pour tout le royaume.

Les ordonnances que nous avons depuis Henri I. sont toutes rédigées en latin jusqu’à celle de S. Louis de l’année 1256. qui est la premiere que l’on trouve écrite en françois, encore est-il incertain si elle a été publiée d’abord en françois ou en latin. Il y en eut en effet encore beaucoup depuis ce tems qui furent rédigées en latin ; on en trouve dans tous les regnes suivans jusqu’au tems de François I, lequel ordonna en 1539. que tous les actes publics seroient rédigés en françois ; mais pour ce qui est des ordonnances, elles étoient déja la plûpart en françois, si ce n’est les lettres patentes qui regardoient les provinces, villes & autres lieux des pays de droit écrit, qu’on appelloit alors la languedoc, lesquelles étoient ordinairement en latin : les ordonnances générales, & celles qui concernoient les pays de la languedoil ou pays coutumier étoient ordinairement rédigées en françois, du-moins depuis le tems de S. Louis.

Les anciennes ordonnances, chartes ou lettres de nos rois ont reçu selon les tems diverses qualifications.

Henri I. dans des lettres de l’an 1051, portant un réglement pour la ville d’Orléans, qualifie lui-même sa charte testamentum nostræ autoritatis, quasi testimonium ; on remarque encore une chose dans ces lettres & dans quelques autres postérieures, c’est que quoique la personne de nos rois fût ordinairement qualifiée de majesté, ainsi que cela étoit usité dans le tems de Charlemagne, néanmoins en parlant d’eux-mêmes, ils ne se qualifioient quelquefois que de sérénité & de celsitude, celsitudinem nostræ serenitatis adierit, mais le style des lettres de chancellerie n’étoit alors ni bien exact, ni bien uniforme, car dans ces mêmes lettres on trouve aussi ces mots nostræ majestatis autoritate.

Les lettres de l’an 1105. par lesquelles Philippe I. défend de s’emparer des meubles des évêques de Chartres décédés, sont par lui qualifiées en deux endroits pragmatica sanctio ; on entendoit par-là une constitution que le prince faisoit de concert avec les grands de l’état, ou, selon Hotman, c’étoit un rescrit du prince non pas sur l’affaire d’un simple particulier, mais de quelque corps, ordre ou com-

munauté ; on appelloit un tel réglement pragmatique,

parce qu’il étoit interposé après avoir pris l’avis des gens pragmatiques, c’est-à-dire des meilleurs praticiens, des personnes les plus expérimentées ; sanctio est la partie de la loi qui prononce quelque peine contre les contrevenans.

Ce reglement n’est pas le seul qui ait été qualifié de pragmatique sanction ; il y a entr’autres deux ordonnances fameuses qui portent le même titre ; l’une est la pragmatique de S. Louis du mois de Mars 1268 ; l’autre est la pragmatique-sanction faite à Bourges par Charles VII. au mois de Juillet 1438.

Les lettres de Louis le Gros, de l’année 1118, concernant les serfs de l’église S. Maur des fossés, sont qualifiées dans la piece même de decret ; & dans un autre endroit d’edit, nostræ institutionis edictum ; mais dans ces premiers tems il se trouve fort peu d’édits : ce terme n’est devenu plus usité que depuis le xvj. siecle, pour exprimer des lois générales, mais ordinairement moins étendues que les ordonnances proprement dites.

Le terme d’institution dont on vient de parler se trouve employé dans d’autres lettres du même prince, de l’an 1128, où il dit instituo & decerno, ce qui annonce encore un decret.

Dans d’autres lettres de l’an 1134, il dit volumus & præcipimus.

Louis VII. dans des lettres de l’an 1145, dit, en parlant d’un reglement fait par son pere, statutum est à patre nostro.

Les lettres du même prince touchant la régale de Laon, sont intitulées carta de regalibus laudunensibus ; mais on ne peut assurer si ce titre vient du copiste ou de l’original.

La plûpart de ces lettres sont plutôt des privileges particuliers que des ordonnances ; cependant, comme elles ont fait en leur tems une espece de droit, on les a compris dans la collection des ordonnances. Philippe-Auguste étant sur le point de partir pour la Terre-sainte, en 1190, fit une ordonnance, qui est intitulée testamentum ; c’est un réglement pour la police du royaume : il a été qualifié testament, soit parce que le roi y fait plusieurs dispositions pour la distribution de ses trésors, au cas que lui & son fils vinssent à mourir pendant ce voyage, ou plutôt cette ordonnance a été qualifiée testament, dans le même sens que la chartre d’Henri premier, quasi testimonia nostræ autoritatis : quoi qu’il en soit, ce testament est regarde par quelques-uns comme la plus ancienne ordonnance proprement dite, du tems de la troisime race. Le roi ne s’y sert pourtant point du terme ordonnons, mais de ceux-ci volumus, præcipimus, prohibemus, qui reviennent au même ; & il ne qualifie ce testament à la fin que de præsentem paginam, de même que d’autres lettres qu’il donna en 1197. Cette expression se trouve encore dans plusieurs autres lettres postérieures ; mais ces mots sont désignatifs & non qualificatifs.

Les premieres lettres où il se soit servi du terme ordinamus, sont celles qu’il accorda à l’université en 1200.

Ce terme ordinamus ou ordinatum fuit, fut souvent employé dans la suite pour exprimer les volontés du prince : cependant elles n’étoient pas encore désignées en françois par le terme d’ordonnance.

En faisant mention que les lettres alloient être scellées du sceau du prince, & souscrites de son nom ; on mettoit auparavant à la fin de la plûpart des lettres cette clause de style, quod ut firmum & stabile maneat, ou bien quod ut stabilitatis robur obtineat ; on forma de-là le nom de stabilimentum ou établissement, que l’on donna aux ordonnances du roi.

Beaumanoir dans ses coutumes de Beauvaisis dit, que quand le roi faisoit quelque établissement spé-