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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/756

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Francs, que chacun avoit le droit d’être jugé par ses pairs ; dans les premiers tems de la monarchie, ce droit appartenoit à tout citoyen libre ; mais il appartenoit plus particulierement aux grands de l’état, que l’on appelloit alors principes, parce qu’indépendamment de la peine capitale qui ne se prononçoit que dans une assemblée du parlement, leur sort formoit toujours une de ces causes majeures que les rois ne devoient juger qu’au parlement ; & comme le roi y présidoit ; c’est de-là que dans les causes criminelles des pairs, il est encore d’usage au parlement d’inviter le roi d’y venir prendre place.

Chacun dans son état étoit jugé par des personnes de même grade ; le comte étoit jugé par d’autres comtes, le baron par des barons, un évêque par des évêques, & ainsi des autres personnes. Les bourgeois eurent aussi leurs pairs, lorsqu’ils eurent obtenu le droit de commune. La loi des Allemands, rédigée sous Clotaire I. porte chap. xlv. que pour se venger d’un homme on assemble ses pairs, si mittunt in vicino & congregant pares.

Cela s’observoit encore même pour le civil sous la seconde race.

Dans le xj. siecle Geoffroy Martel, comte d’Anjou, fit faire ainsi le procès à Guerin de Craon, parce qu’il avoit fait hommage de la baronie de Craon à Conan duc de Bretagne, & Conan fut condamné quoique absent.

Mathieu Paris, (année 1226) dit : nullus in regno Francorum debet ab aliquo jure spoliari, nisi per judicium parium.

On verra néanmoins dans la suite, que l’on ne tarda pas long-tems à mettre des bornes à ce privilége.

Les Anglois qui ont emprunté une grande partie de leurs lois & de leurs usages de notre ancien droit françois, pratiquent encore la même chose. La grande charte n°. 29. dit : nec super eum (liberum hominem) ibimus, nec super eum mittemus nisi per legale judicium parium suorum. Tous accusés y sont encore jugés par leurs pairs, c’est-à-dire, par des personnes de même état & condition, à la réserve des bourreaux & Bouchers, qui par rapport à la dureté de leur métier ne sont point juges. Cet usage ne vint pas, comme quelques-uns l’ont crû, de la police féodale qui devint universelle à la fin de la seconde race. Elle ne fit qu’affermir le droit de pairie, sur-tout au criminel ; le supérieur ne peut être jugé par l’inférieur ; c’est le principe annoncé dans les capitulaires & puisés dans la nature même.

Au commencement de la monarchie, les distinctions personnelles étoient les seules connues ; les tribunaux n’étoient pas établis ; l’administration de la justice ne formoit point un système suivi, sur lequel l’ordre du gouvernement fût distribué ; le service militaire étoit l’unique profession des Francs ; les dignités, les titres acquis par les armes, étoient les seules distinctions qui pussent déterminer entre eux l’égalité ou la supériorité. Tel fut d’abord l’état de la pairie, ce que l’on peut appeller son premier âge.

Le choix des juges égaux en dignité à celui qui devoit être jugé, ne pouvoit être pris que sur le titre personnel ou grade de l’accusé.

L’établissement des fiefs ne fit qu’introduire une nouvelle forme dans un gouvernement, dont l’esprit général demeura toujours le même ; la valeur militaire fut toujours la base du système politique ; la distribution des terres & des possessions ; l’ordre de la transmission des biens, tout fut reglé sur le plan d’un système de guerre ; les titres militaires furent attachés aux terres mêmes, & devinrent avec ces terres la récompense de la valeur ; chacun ne pouvoit être jugé que par les seigneurs de fief du même degré.

La pairie étoit alors une dignité attachée à la possession d’un fief, qui donnoit droit d’exercer la justice conjointement avec ses pairs ou pareils dans les assises du fief dominant, soit pour les affaires contentieuses, soit par rapport à la féodalité.

Tout fief avoit ses pairies, c’est-à-dire, d’autres fiefs mouvans de lui, & les possesseurs de ces fiefs servans qui étoient censés égaux entre eux, composoient la cour du seigneur dominant, & jugeoient avec lui ou sans lui toutes les causes dans son fief.

Il falloit quatre pairs pour rendre un jugement.

Si le seigneur en avoit moins, il en empruntoit de son seigneur suzerain.

Dans les causes où le seigneur étoit intéressé, il ne pouvoit être juge, il étoit jugé par ses pairs.

C’est de cet usage de la pairie, que viennent les hommes de fief en Hainaut, Artois, & Picardie.

On trouvve dès le tems de Lothaire un jugement rendu en 929, par le vicomte de Thouars avec ses pairs, pour l’église de saint Martin de Tours.

Le comte de Champagne avoit sept pairs, celui de Vermandois six ; le comte de Ponthieu avoit aussi les siens, & il en étoit de même dans chaque seigneurie. Cette police des fiefs forme le second âge du droit de pairie, laquelle depuis cette époque, devint réelle, c’est-à-dire, que le titre de pair fut attaché à la possession d’un fief de même valeur que celui des autres vassaux.

Il se forma dans la suite trois ordres ou classes ; savoir, de la religion, des armes, & de la justice : tout officier royal devint le supérieur & le juge de tous les sujets du roi, de quelque rang qu’ils fussent ; mais dans chaque classe, les membres du tribunal supérieur conserverent le droit de ne pouvoir être jugés que par leurs confreres, & non par les tribunaux inférieurs qui ressortissent devant eux. De-là vient cette éminente prérogative qu’ont encore les pairs de France, de ne pouvoir être jugés que par la cour de parlement suffisamment garnie de pairs.

Il reste encore quelques autres vestiges de cet ancien usage des Francs, suivant lequel chacun étoit jugé par ses pairs. De-là vient le droit que la plûpart des compagnies souveraines ont de juger leurs membres : telle est aussi l’origine des conseils de guerre, du tribunal des maréchaux de France. Delà vient encore la jurisdiction des corps-de-ville, qui ont porté long-tems le nom de pairs bourgeois. Enfin, c’est aussi de-là que vient la police que tous les ordres du royaume exercent sur leurs membres ; ce qui s’étend jusques dans les communautés d’arts & métiers.

Le troisieme âge de la pairie, est celui où les pairs de France commencerent à être distingués des autres barons, & où le titre de pair du roi cessa d’être commun à tous les vassaux immédiats du roi, & fut reservé à ceux qui possédoient une terre à laquelle étoit attaché le droit de pairie.

Les pairs étoient cependant toujours compris sous le terme général de barons du royaume ; parce qu’en effet tous les pairs étoient barons du royaume ; mais les barons ne furent plus tous qualifiés de pairs : le premier acte authentique où l’on voye la distinction des pairs d’avec les autres barons, est une certification d’arrêt fait à Melun l’an 1216, au mois de Juillet. Les pairs nommés sont l’archevêque de Reims, l’évêque de Langres, l’évêque de Châlons, celui de Beauvais : l’évêque de Noyon, & Eudes duc de Bourgogne ; ensuite sont nommés plusieurs autres évêques & barons.

Anciens pairs. Dans l’origine tous les Francs étoient pairs ; sous Charlemagne tous les seigneurs & tous les grands l’étoient encore. La pairie dépendant de la noblesse du sang étoit personnelle ; l’introduction des grands fiefs fit les pairies réelles, &