Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/861

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on les lisse promptement avec un morceau de coton net, pour enlever le superflu du talc, qui sert une seconde fois au même usage ; avec cette poudre délayée dans l’eau, & mêlée avec la glu & l’alun, ils tracent toutes sortes de figures de fantaisie sur le papier. Voyez le P. Duhalde, descript. de la Chine, tom. I.

Anciennement les Chinois écrivoient avec un pinceau de fer sur des tablettes de bambou ; ensuite ils se servirent du pinceau pour écrire sur du satin ; enfin, sous la dynastie des Hans, ils trouverent l’invention du papier 160 ans environ avant Jesus-Christ, suivant le P. Martini. Cette invention se perfectionna insensiblement, & leur procura différentes sortes de papier.

En général, le meilleur dont on se sert pour écrire, ne peut guere se conserver long-tems dans les provinces du sud ; & même nos livres d’Europe, selon le P. Parennin, ne tiennent guere à Canton contre la pourriture, les vers, & les fourmis blanches, qui dans quelques nuits en dévorent jusqu’aux couvertures : mais le même pere assure que dans les parties du nord, sur-tout dans la province de Pékin, le papier quoique mince, se conserve très-long-tems.

Les Coréens eurent bien-tôt connoissance de la fabrique du papier des Chinois, & ils réussirent à le fabriquer d’une maniere plus solide & plus durable ; car leur papier passe pour être aussi fort que de la toile, on écrit dessus avec le pinceau chinois. Si l’on vouloit user des plumes d’Europe, il faudroit auparavant y passer de l’eau d’alun, sans quoi l’écriture seroit baveuse.

C’est en partie de ce papier que les Coréens paient leurs tributs à l’empereur ; ils en fournissent chaque année le palais ; ils en apportent en même tems une grande quantité qu’ils vendent aux particuliers ; ceux-ci ne l’achetent pas pour écrire, mais pour faire les chassis de leurs fenêtres, parce qu’il résiste mieux au vent & à la pluie que le leur. Ils huilent ce papier, & en font de grosses enveloppes. Il est aussi d’usage pour les Tailleurs d’habits ; ils le manient, & le froissent entre leurs mains, jusqu’à ce qu’il soit aussi maniable & aussi doux que la toile la plus fine, & ils s’en servent en guise de coton pour fourrer les habits. Il est même meilleur que le coton, lequel, lorsqu’il n’est pas bien piqué, se ramasse, & se met en une espece de peloton. (D. J.)

Papier du Japon, (Arts.) Le papier est fait au Japon de l’écorce du morus papifera sativa, ou véritable arbre à papier, de la maniere suivante, selon Kæmpfer à qui seul on en doit la connoissance.

Chaque année, après la chûte des feuilles qui arrive au dixieme mois des Japonnois, ce qui répond communément à notre mois de Décembre, les jeunes rejettons qui sont fort gros, sont coupés de la longueur de trois piés au-moins, & joints ensemble en paquets, pour être ensuite bouillis dans de l’eau avec des cendres. S’ils séchent avant qu’ils bouillent, on les laisse tremper vingt-quatre heures durant dans l’eau commune, & ensuite on les fait bouillir : ces paquets ou fagots sont liés fortement ensemble, & mis debout dans une grande chaudiere qui doit être bien couverte : on les fait bouillir, jusqu’à ce que l’écorce se retire si fort, qu’elle laisse voir à nud un bon demi-pouce du bois à l’extrémité : lorsque les bâtons ont bouilli suffisamment, on les tire de l’eau, & on les expose à l’air, jusqu’à ce qu’ils se refroidissent ; alors on les fend sur la longueur pour en tirer l’écorce, & l’on jette le bois comme inutile.

L’écorce séchée est la matiere dont ensuite on doit faire le papier ; en lui donnant une autre préparation qui consiste à la nettoyer de nouveau, & à trier la bonne de la mauvaise : pour cet effet, on la fait tremper dans l’eau pendant trois ou quatre heures ; étant ainsi ramollie, la peau noirâtre est ra-

clée avec la surface verte qui reste, ce qui se fait avec

un couteau qu’ils appellent kaadsi kusaggi, c’est-à-dire, le rasoir de kaadsi, qui est le nom de l’arbre ; en même tems aussi l’écorce forte qui est d’une année de crûe, est séparée de la mince qui a couvert les jeunes branches. Les premieres donnent le meilleur papier & le plus blanc ; les dernieres produisent un papier noirâtre d’une bonté passable ; s’il y a de l’écorce de plus d’une année mêlée avec le reste, on la trie de même, & on la met à part, parce qu’elle rend le papier le plus grossier & le plus mauvais de tous : tout ce qu’il y a de grossier, les parties noueuses, & ce qui paroît défectueux & d’une vilaine couleur, est trié en même tems pour être gardé avec l’autre matiere grossiere.

Après que l’écorce a été suffisamment nettoyée, préparée & rangée, selon ses différens degrés de bonté, on doit la faire bouillir dans une lessive claire ; dès qu’elle vient à bouillir & tout le tems qu’elle est sur le feu, on est perpétuellement à la remuer avec un gros roseau, & l’on verse de tems en tems autant de lessive claire qu’il en faut pour abattre l’évaporation qui se fait, & pour suppléer à ce qui se perd par-là : cela doit continuer à bouillir, jusqu’à ce que la matiere devienne si mince, qu’étant touchée légérement du bout du doigt, elle se dissolve & se sépare en maniere de bourre & comme un amas de fibres. La lessive claire est faite d’une espece de cendres, en la maniere suivante : on met deux pieces de bois en croix sur une cuve ; on les couvre de paille, sur quoi ils mettent des cendres mouillées, ils y versent de l’eau bouillante, qui à mesure qu’elle passe au-travers de la paille, pour tomber dans la cuve, s’imbibe des particulines salines des cendres, & fait ce qu’ils appellent lessive claire.

Après que l’écorce a bouilli de la maniere qu’on vient de dire, on la lave ; c’est une affaire qui n’est pas d’une petite conséquence en faisant du papier, & doit être ménagée avec beaucoup de prudence & d’attention. Si l’écorce n’a pas été assez lavée, le papier sera fort à la vérité, & aura du corps, mais il sera grossier & de peu de valeur ; si au contraire on l’a lavé trop long-tems, elle donnera du papier plus blanc, mais plus sujet à boire, & mal propre pour écrire : ainsi cet article de la manufacture doit être conduit avec beaucoup de soin & de jugement, pour tâcher d’éviter les deux extrémités que nous venons de marquer. On lave dans la riviere, & l’on met l’écorce dans une espece de van ou de crible au-travers duquel l’eau coule, & on la remue continuellement avec les mains & les bras jusqu’à ce qu’elle soit délayée à la consistance d’une laine, ou d’un duvet doux & délicat. On la lave encore une fois pour faire le papier le plus fin : mais l’écorce est mise dans un linge au lieu d’un crible, à cause que plus on lave, plus l’écorce est divisée, & seroit enfin réduite en des parties si menues qu’elles passeroient au-travers des trous du crible & se dissiperoient. On a soin dans le même tems d’ôter les nœuds ou la bourre, & les autres parties hétérogenes grossieres & inutiles, que l’on met à part avec l’écorce la plus grossiere pour le mauvais papier. L’écorce étant suffisamment & entierement lavée, est posée sur une table de bois uni & épais pour être battue avec des bâtons du bois dur kusnoki, ce qui est fait ordinairement par deux ou trois personnes jusqu’à ce qu’on l’ait rendu aussi fine qu’il le faut : elle devient avec cela si déliée qu’elle ressemble à du papier qui, à force de tremper dans l’eau, est réduit comme en bouillie, & n’a quasi plus de consistance.

L’écorce ainsi préparée est mise dans une cuve étroite avec l’infusion glaireuse & gluante du ris, & celle de la racine oreni qui est aussi fort glaireuse & gluante. Ces trois choses mises ensemble doivent être