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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/879

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que le timbre extérieur qui pourroit frauduleusement être appliqué après coup, pour faire valoir un acte auquel manqueroit cette formalité.

Mais ce qui est encore plus important, c’est que la marque intérieure du timbre peut suppléer le timbre exterieur s’il n’avoit pas été marqué, ou bien s’il se trouvoit effacé ou déchiré ; c’est ce qui a été jugé récemment dans une affaire dont voici l’espece.

Théophile Vernet, banquier à Paris, fut emprisonné pour dettes en vertu de différentes sentences des consuls obtenues contre lui par le sieur le Noir son créancier. Il interjetta appel de ces sentences, & à la séance du 23 Décembre 1732, il demanda sa liberté, prétendant que toute la procédure étoit nulle, sous prétexte que l’exploit du 6 Avril 1728, en quelque façon introductif de l’instance, étoit écrit sur papier non-timbré ; il fit valoir la disposition des réglemens qui ont établi la formalité du timbre, lesquels prononcent la peine de nullité contre les actes émanés d’officiers publics, qui seront écrits sur papier commun.

La copie de l’exploit en question n’avoit réellement aucune marque du timbre extérieur ; mais Vernet étoit forcé de convenir que le quarré de papier sur lequel elle étoit écrite, sortoit de la fabrique des papiers destinés à recevoir l’empreinte du timbre, car en le présentant au jour on en voyoit distinctement la marque : or, disoit le défenseur du sieur le Noir, le papier de cette fabrique particuliere ne sert qu’au bureau du timbre, par conséquent ce n’est pas la faute de l’huissier, mais des buralistes, si le timbre n’y est pas bien marqué, qu’il leur est assez ordinaire en marquant le papier d’oublier quelquefois de renouveller l’encre que l’on met dans le poinçon ou filigramme du timbre, & de passer une feuille, laquelle ne reçoit l’empreinte du timbre que par la compression du papier, qu’en ce cas cette empreinte faite sans encre s’efface aisement, soit d’elle-même par la longueur du tems, soit en mettant le papier sous presse ; que ce dernier cas sur-tout se vérifie par l’expérience journaliere que nous avons à l’égard des feuilles nouvellement imprimées, où les caracteres des lettres forment du côté de l’impression autant de petites concavités qu’il y a de lettres, & de l’autre côté débordent & paroissent en relief ; mais que la feuille imprimée soit mise sous presse, le papier redevient uni de part & d’autre, & il est difficile que l’on reconnoisse la trace des caracteres qui débordoient soit d’un côté seulement soit de tous les deux.

Le défenseur du sieur le Noir ajoûtoit, que lorsqu’on s’apperçoit que le timbre n’est pas marqué, on n’a que reporter la feuille aux buralistes qui ne sont pas difficulté de la reprendre ; que l’huissier en écrivant au dos de l’empreinte l’exploit en question ne s’en étoit pas apperçu ; qu’il n’avoit pas examiné si elle étoit plus ou moins marquée ; qu’il étoit dans la bonne foi ; qu’il falloit même observer que Vernet n’avoit relevé ce moyen qu’après plus de quatre ans, c’est-à-dire après s’être ménagé cette prétendue nullité avec le secours du tems, ou plûtôt de la presse ; qu’aussi s’appercevoit-on aisément que la place de l’empreinte étoit extrèmement polie, ce qui prouvoit qu’elle n’avoit disparu qu’avec peine ; mais qu’il en falloit toujours revenir au point de fait que le papier étoit émané du bureau du timbre ; que Vernet convenoit lui-même que le papier étoit sorti de la fabrique particuliere destinée au timbre ; que dès-lors que cette fabrique ne sert que pour les bureaux du timbre, il n’y avoit point de nullité, qu’il n’y en avoit qu’autant que les préposés à la distribution du papier timbré pourroient se plaindre de la contravention aux édits & ordonnances intervenus

à ce sujet ; que puisque ces commis ne pouvoient se plaindre, & qu’on avoit satisfait aux droits du roi, le sieur Vernet étoit non-recevable.

Cette question de nullité ayant été vivement discutée de part & d’autre, il intervint arrêt ledit jour 23 Décembre 1732, qui joignit au fond la requête de Vernet.

Quelque tems après, Vernet s’étant pourvu sur le fondement du même moyen devant M. de Gaumont, intendant des finances, on mit néant sur sa requête.

Enfin sur le fond de l’appel l’instance ayant été appointée au conseil, entre autres moyens que proposoit Vernet, il opposoit que toute la procédure étoit nulle, attendu que l’exploit introductif étoit sur papier non timbré.

La question de la validité de l’exploit fut de nouveau discutée. La dame le Noir, au nom & comme tutrice de ses enfans, ayant repris au lieu de son mari, fit valoir les moyens qui avoient déjà été opposés à Vernet. Elle ajouta que l’arrêt rendu contre lui, à la séance du 23 Décembre 1732, étoit un débouté bien formel d’un moyen qui, s’il eût été valable, auroit dû dans le moment lui procurer sa liberté ; qu’à ce préjugé se joignoit encore celui qui résultoit du néant mis sur la requête présentée par ledit Vernet à M. de Gaumont, intendant des finances.

Par arrêt du 22 Août 1737, rendu en la grande chambre, au rapport de M. Bochart de Saron, la cour en tant que touchoient les appels interjettés par Vernet, mit les appellations au néant, ordonna que ce dont étoit appel, sortiroit son plein & entier effet, condamna l’appellant en l’amende : en sorte que l’exploit en question a été jugé valable, & que dans ces sortes de cas, la marque intérieure du timbre supplée le timbre extérieur, soit qu’il n’ait pas été apposé, ou qu’il n’ait pas été bien marqué, & qu’il ait été effacé ou déchiré.

La marque intérieure du timbre fait donc présumer que le papier a reçu le timbre extérieur, & par-là sert à assurer que l’acte a été écrit sur du papier qui étoit déjà revêtu du timbre extérieur, & non pas timbré après coup, ce qui ne laisse pas d’être important ; car puisqu’il est enjoint aux officiers publics, sous peine de nullité des actes qu’ils reçoivent, d’écrire lesdits actes sur du papier timbré, ceux qui sont dépositaires des poinçons du timbre ne doivent pas timbrer un acte écrit sur du papier commun, lorsqu’il est déjà signé & parfait comme écriture privée, pour le faire valoir après coup comme écriture publique : si on tolere que le timbre extérieur soit apposé sur un acte déjà écrit, ce ne doit être que sur un acte qui ne soit pas encore signé. C’est pourquoi il seroit à propos d’assujettir tous les officiers publics à n’écrire les actes qu’ils reçoivent que sur du papier marqué des deux timbres ; c’est-à-dire de la marque du timbre qui est dans le corps du papier, & du timbre extérieur qui s’imprime au haut de la feuille, parce que le concours de ces deux marques rempliroit tous les objets que l’on peut avoir eu en vûe dans l’établissement de cette formalité ; & la marque intérieure du timbre écarteroit tout soupçon & toute difficulté, soit en constatant que le papier étoit revêtu du timbre extérieur lorsque l’acte y a été écrit, soit en suppléant ce timbre extérieur s’il ne se trouvoit pas sur l’acte.

Mais cette précaution ne serviroit que pour les actes qui s’écrivent sur du papier, & non pour ceux qui s’écrivent en parchemin ; parce que la matiere du parchemin n’étant pas faite de main d’homme, on ne peut pas y insérer de marque intérieure, comme dans le papier dont la marque se fait en même tems : lesquelles marques intérieures, soit qu’elles représentent le timbre ou l’enseigne du fabriquant, sont fort utiles & ont servi à découvrir bien des faussetés ; aussi y a-t-il beaucoup plus d’inconvéniens à se servir de parche-