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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/253

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est propre, & se borner à ce genre. Tel demeure confondu dans la foule, qui seroit au rang des illustres maîtres, s’il ne se fût point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait tenter de se rendre habile dans des genres de peinture pour lesquels il n’étoit point né, & qui lui a fait négliger ceux auxquels il étoit très-propre. Les ouvrages qu’il a essayé de faire sont, si l’on veut, d’une classe supérieure ; mais ne vaut-il pas mieux être cité pour être un des premiers faiseurs de portraits de son tems, que pour un misérable arrangeur de figures ignobles & estropiées ?

Les jeunes peintres qui ont à cœur de réussir doivent encore se garder des passions violentes, en particulier de l’impatience, de la précipitation & du dégoût. Que ceux qui se trouvent dans une fortune étroite ne desesperent point de l’améliorer par l’application : l’opulence détourne du travail & de l’exercice de la main : la fortune est plus nuisible aux talens qu’elle ne leur est utile ; mais d’un autre côté les distinctions, les honneurs & les récompenses sont nécessaires dans un état pour y encourager la culture des beaux-arts, & y former des artistes supérieurs. Un peintre en Grece étoit un homme célebre aussitôt qu’il méritoit de l’être. Ce genre de mérite faisoit d’un homme du commun un personnage, & il l’égaloit à ce qu’il y avoit de plus grand & de plus important dans l’état ; les portiques publics où les peintres exposoient leurs tableaux étoient les lieux où ce qu’il y avoit de plus illustre dans la Grece se rendoit de tems en tems pour en juger. Les ouvrages des grands maîtres n’étoient point alors regardés comme des meubles ordinaires, destinés pour embellir les appartemens d’un particulier ; on les réputoit les joyaux d’un état & un trésor du public, dont la jouissance étoit dûe à tous les citoyens. Qu’on juge donc de l’ardeur que les artistes avoient alors pour perfectionner leurs talens, par l’ardeur que nous voyons dans nos contemporains pour amasser du bien, ou pour faire quelque chose de plus noble pour parvenir aux grands emplois d’un état.

Quoique la réputation du peintre soit plus dépendante du suffrage des experts que celle des poëtes, néanmoins ils ne sont pas les juges uniques de leur mérite. Aucun d’eux ne parviendroit que long-tems après la mort à la distinction qui lui est dûe, si la destinée demeuroit toujours au pouvoir des autres peintres. Heureusement ses rivaux compatriotes n’en sont les maîtres que pour un tems. Le public qu’on éclaire tire peu-à-peu le procès à son tribunal, & rend à chacun la justice qui lui est dûe. Mais en particulier un peintre qui traite de grands sujets, qui peint des coupoles & des voûtes d’église, ou qui fait de grands tableaux destinés pour être placés dans tous les lieux où tous les hommes ont coutume de se rassembler, est plutôt connu pour ce qu’il est, que le peintre qui travaille à des tableaux de chevalet destinés pour être renfermés dans des appartemens de particuliers.

De plus il est des lieux, des tems, des pays où le mérite d’un peintre est plutôt reconnu qu’ailleurs. Par exemple, les tableaux exposés dans Rome seront plutôt appréciés à leur juste valeur, que s’ils étoient exposés dans Londres & dans Paris. Le goût naturel des Romains pour la Peinture, les occasions qu’ils ont de s’en nourrir, si je puis parler ainsi, leurs mœurs, leur inaction, l’occasion de voir perpétuellement dans les églises & dans les palais des chef-d’œuvres de peinture ; peut-être aussi la sensibilité de leurs organes, rend cette nation plus capable qu’aucune autre d’apprécier le mérite de leurs peintres sans le concours des gens du métier. Enfin un peintre s’est fait une juste réputation, quand ses ouvrages ont un prix chez les étrangers ; ce n’est point assez d’avoir un petit parti qui les vante, il faut qu’ils soient achetés

& bien payés ; voilà la pierre de touche de leur valeur.

Ce qui resserre quelquefois les talens des peintres, dit à ce sujet M. de Voltaire ; & ce qui sembleroit devoir les éteindre, c’est le goût académique, c’est la maniere qu’ils prennent d’après ceux qui président à cet art. Les acladémies sont sans doute très-utiles pour former des é eves, sur-tout quand les directeurs travaillent dans le grand goût ; mais si le chef a le goût petit, si la maniere est aride & léchée, si ses figures grimacent, si ses expressions sont insipides, si son coloris est foible, les éleves subjugués par l’imitation, ou par envie de plaire à un mauvais maître, perdent entierement l’idée de la belle nature. Donnez-moi un artiste tout occupé de la crainte de ne pas saisir la maniere de ses confreres, ses productions seront comparées & contraintes. Donnez-moi un homme d’un esprit libre, plein de la belle nature qu’il copie, cet homme réussira. Presque tous les artistes sublimes ou ont fleuri avant les établissemens des academies, ou ont travaillé dans un goût différent de celui qui regnoit dans ces sociétés ; presque aucun ouvrage qu’on appelle académique, n’a été encore dans aucun genre un ouvrage de génie.

Si présentement le lecteur est curieux de connoître les célebres peintres modernes, il en trouvera la liste génerale sous les artistes des différentes Écoles ; mais comme les noms & le caractere des anciens peintres méritent encore plus d’être recueillis dans cet ouvrage, voyez Peintres anciens. (Le chevalier de Jaucourt.)

Peintres grecs, (Peint. antiq.) ils sont si célebres dans les écrits de l’antiquité, & leurs ouvrages sont si liés à la connoissance de la Peinture, que les details qui les regardent appartiennent essentiellement à l Encyclopédie. D’ailleurs ils intéressent presque également les littérateurs, les curieux & les gens de métier.

Les peintres de la Grece qui ont pratiqué les premiers cet art, sont, selon Pline, Ardicès de Corinthe, & Téléphanès de Sycione : ensuite parurent Cléophante de Corinthe, l’auteur de la peinture monochrome, auquel succéderent Hygiemon, Dinias, Charmidas, Eumarus d’Athenes & Cimon de Cléone ; mais l’histoire n’a point fixé le tems où ils ont vécu, & Pline ne nous dit que quelques particularités des deux derniers.

Ludius peintre d’Ardéa, différent du Ludius d’Auguste qui fit quelque peinture à Cœré ville d’Etrurie, paroissent avoir été postérieurs à Cléophante, à Cimon, auteur des premieres beautés de l’art. Si donc on place la fondation de Rome en l’an 753 avant l’ere chrétienne, il en résulteroit assez vraissemblablement que Ludius auroit vécu pour le plus tard vers l’an 765 avant Jesus-Christ, l’anonyme de Cœré vers l’an 780, Cimon vers l’an 795, Eumarus vers l’an 810, Charmidas, Dinias & Hygiemon vers l’an 825, & Cléophante l’ancien vers l’an 840.

Bularque qui le premier introduisit l’usage de plusieurs couleurs dans un seul ouvrage de peinture, & qui étoit contemporain du roi Candaule, vécut vers l’an 730 avant Jesus-Christ. Nous n’avons point la suite des peintres grecs depuis Bularque, c’est-à-dire depuis l’an environ 730 jusqu’à la bataille de Marathon qui se donna l’an 490.

Panée ou Panænus peignit cette bataille, & comme de son tems l’usage de concourir pour le prix de Peinture fut établi à Corinthe & à Delphes, il se mit sur les rangs le premier pour concourir avec Timagoras de Chalcis l’an 474 avant Jesus-Christ.

Après Panænus, & avant la 90e olympiade, parut Polygnote de Thasos, fils d’Aglaophon, & surnommé quelquefois Athénien, parce qu’Athènes le mit au nombre de ses citoyens. Il eut pour contempo-