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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/259

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qu’il est le plus lucratif ; mais ce n’est pas le plus honorable.

Erigonus, broyeur de couleurs de Néalcis, devint un très-bon peintre, & eut pour éleve Pausias, qui se rendit célebre ; c’est ainsi que Polidore, après avoir porté le mortier aux disciples de Raphael, se sentit en quelque sorte inspiré à la vue des merveilles qui s’opéroient sous ses yeux, étudia la Peinture, dessina l’antique, devint à son tour éleve de Raphael, & eut le plus de part à l’exécution des loges de ce grand maître.

Eumarus d’Athènes, peintre monochrome, est nommé dans Pline avec Cimon de Cléone. Eumarus marqua le premier dans la peinture la différence de l’homme & de la femme, dont on ne peignoit auparavant que la tête & le buste ; il osa aussi ébaucher toutes sortes de figures, les autres peintres s’étant toujours bornés à celle de l’homme. Cimon enchérit sur les découvertes d’Eumarus, il inventa les divers aspects du visage, distingua l’emmanchement des membres, fit paroître les veines à-travers la peau, & trouva même le jet des draperies. Voyez son article.

Euphanor, natif des environs de Corinthe dans l’isthme, fleurissoit dans la cent quatrieme olympiade, & fut en même tems célebre statuaire, & célebre peintre encaustique. On trouve les deux genres réunis dans les artistes de l’antiquité, comme ils ont été depuis dans Michel-Ange à la renaissance de la Peinture. Euphranor fut le premier qui donna dans ses tableaux un air frappant de grandeur à ses têtes de héros & à toute leur personne, & le premier qui employa dans l’encaustique, la justesse des proportions que Parrhasius avoit introduite dans la peinture ordinaire.

Pline parlant d’Euphranor, en dit tout ce qu’on en peut dire de flatteur pour un artiste. Voici ses paroles : Docilis ac laboriosus, & in quocumque genere excellens, ac sibi æqualis. Si ces épithetes se rapportoient à l’art, le Dominiquain pourroit lui servir de comparaison. Docile aux leçons de la nature, le travail ne l’effrayoit point ; une persévérance & une étude constante de cette même nature, l’ont élevé au-dessus des autres artistes. Pline regarde Euphranor comme le premier qui a donné aux héros un caractere qui leur fut convenable, hic primus videtur expressisse dignitates heroum. Il seroit aisé d’en conclure que tous les héros représentés avant lui, n’auroient pas mérité les éloges que Pline lui-même a donnés aux artistes plus anciens ; cependant l’on ne doit reprocher à l’historien naturaliste qu’une façon de parler trop générale, & un peu trop répétée ; on peut dire sur le cas présent, qu’il y a plusieurs degrés dans l’excellence. Titien est un grand peintre de portraits : Vandik a mis dans ce genre plus de finesse, de délicatesse & de vérité. Titien n’en est pas pour cela un peintre médiocre. Mais ce dont il faut savoir un très-grand gré à Pline, c’est la critique dont il accompagne assez souvent ses éloges ; car après avoir dit d’Euphranor, usurpasse symmetriam, c’est-à-dire qu’il s’étoit fait une maniere dont il ne sortoit point ; il ajoute : sed fuit universitate corporum exilior, capitibus, articulisque grandior. Cette maniere étoit apparemment dans le goût de celle que nous a laissé le Parmesan ; je sais qu’elle est peut-être blâmée, mais elle est bien élegante. Il est vrai qu’on ne peut reprocher au peintre moderne d’avoir fait comme Euphranor, ses têtes trop fortes, & ses emmanchemens trop nourris.

Euphranor a écrit plusieurs traités sur les proportions & les couleurs. Il est singulier qu’un peintre qui a mérité qu’on le reprît sur les proportions, ait écrit sur cette matiere ; cependant la même chose est arrivée depuis le renouvellement des arts à Albert Durer.

Gorgasus & Damophile, habiles ouvriers en plas-

tique, & en même tems peintres sont joints ensemble dans Pline. Voyez ci-dessus Damophile & Gorganus.

Ludius, peintre d’Ardéa, paroît avoir vécu pour le plus tard vers l’an 765 avant l’ere chrétienne. Il ne faut pas oublier, dit Pline, liv. XXXV. ch. x. le peintre du temple d’Ardéa, ville du Latium, sur-tout puisqu’elle l’honora, continue-t-il, du droit de bourgeoisie, & d’une inscription en vers qu’on joignit à son ouvrage. Comme l’inscription & la peinture à fresque se voyoient encore sur les ruines du temple au tems de Pline, il nous a conservé l’inscription en quatre anciens vers latins ; elle porte que le peintre étoit Ludius, originaire d’Etolie. Qui, dit-il ailleurs, il subsiste encore aujourd’hui dans le temple d’Ardéa des peintures plus anciennes que la ville de Rome, & il n’y en a point qui m’étonnent comme celles-ci, de se conserver si long-tems avec leur fraîcheur, sans qu’il y ait de toît qui les couvre.

Il parle ensuite de quelques peintures du même Ludius extrémement belles, & également bien conservées à Lanuvium, autre ville du Latium, & d’autres peintures encore plus anciennes, qu’on voyoit à Cæré ville d’Etrurie. Quiconque voudra, conclut-il, les examiner avec attention, conviendra qu’il n’y a point d’art qui se soit perfectionné plus vîte, puisqu’il paroît que la Peinture n’étoit point encore connue du tems de la guerre de Troie. Ce raisonnement suppose une origine grecque aux peintures de Cæré, comme à celles d’Ardéa ; à la peinture étrusque, comme à la peinture latine.

Lysippe d’Egine, peintre encaustique, vécut entre Polygnote & le sculpteur Aristide, c’est-à-dire, entre l’an 430 & l’an 400 avant l’ere chrétienne. Un de ses tableaux qu’on voyoit à Rome, portoit pour inscription Lysippe m’a fait avec le feu ; c’est la plus ancienne des trois inscriptions, un tel m’a fait, qui paroissent à Pline des inscriptions singulieres dans l’antiquité, au lieu de la formule plus modeste, un tel me faisoit. Les deux autres inscriptions étoient l’une au bas d’une table qu’on voyoit à Rome au comice, & qu’on donnoit à Nicias ; l’autre qui lui servoit de pendant, étoit l’ouvrage de Philochares : voici présentement la remarque de Pline sur ces trois inscriptions dans sa préface de l’histoire naturelle.

« Vous trouverez, dit-il, dans la suite de cette histoire, que les maîtres de l’art, après avoir travaillé & terminé des chefs-d’œuvres de peinture & de sculpture, que nous ne pouvons nous lasser d’admirer, y mettoient pour toute inscription les paroles suivantes, qui pouvoient marquer des ouvrages imparfaits : Apelle ou Polyclete faisoit cela. C’étoit donner leur travail comme une ébauche, se ménager une ressource contre la critique, & se réserver jusqu’à la mort le droit de retoucher & de corriger ce qu’on auroit pu y trouver de défectueux ; conduite pleine de modestie & de sagesse, d’avoir employé partout dès inscriptions pareilles, comme si chaque ouvrage particulier eût été le dernier de leur vie, & que la mort les eût empêchés d’y mettre la derniere main. Je crois que l’inscription précise & déterminée, un tel l’a fait, n’a eu lieu qu’en trois occasions. Plus cette derniere formule annonçoit un homme content de la bonté de ses ouvrages, plus elle lui attiroit de censeurs & d’envieux ».

Ainsi parle Pline, dont les yeux, peut-être quelquefois trop délicats, étoient blessés des plus petites apparences de vanité & d’amour-propre.

Méchopane étoit éleve de Pausias : Sunt quibus placeat diligentiâ quam intelligant soli artifices, alias durus in coloribus, & sile multus. Ces termes veulent dire que sa couleur a été crue, & qu’il a trop donné dans le jaune : les modernes offrent sans peine de pa-