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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/511

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avoir les commodités de la vie ; il lui faut, outre le nécessaire précis, un honnête superflu nécessaire à un honnête homme, & par lequel seul on est heureux : c’est le fond des bienséances & des agrémens. Ce sont de faux philosophes qui ont fait naître ce préjugé, que le plus exact nécessaire lui suffit, par leur indolence & par des maximes éblouissantes.

Philosophes, (Alchimie & Chimie.) Ce mot dans le langage alchimique signifie la même chose qu’adepte ou possesseur de la pierre philosophale. Les Alchimistes n’ont pas manqué de se décorer de ce grand nom, & de celui de sage.

Il existe dans la Chimie ordinaire plusieurs préparations & opérations, la plûpart assez communes, & qui sont apparemment des présens de l’Alchimie qui sont spécifiées par le nom de leurs inventeurs, qualifiés du titre de philosophes. Ainsi il y a une huile des Philosophes, appellée autrement huile de brique, oleum laterinum, qui n’est autre chose que de l’huile d’olive dont on a imbibé des briques rougies au feu, & qu’on a ensuite distillée à feu nud ; une édulcoration philosophique, qui est une distillation des sels métalliques à la violence du feu (Voyez Distillation) ; une pulvérisation philosophique, une calcination philosophique. Voyez Pulvérisation & Calcination. (b)

Philosophes, huile des, (Pharmacie.) c’est l’huile de brique. Ce nom lui a été donné par les Alchimistes qui se disent les véritables philosophes, à cause qu’ils emploient souvent de la brique dans la construction de leurs fourneaux, dont ils se servent pour faire ce qu’ils appellent le grand-œuvre, ou la pierre philosophale. Voyez Brique.

PHILOSOPHIE, s. f. Philosophie signifie, suivant son étymologie, l’amour de la sagesse. Ce mot ayant toujours été assez vague, à cause des diverses significations qu’on y a attachées, il faut faire deux choses dans cet article ; 1°. rapporter historiquement l’origine & les différentes acceptions de ce terme ; 2°. en fixer le sens par une bonne définition.

1°. Ce que nous appellons aujourd’hui Philosophie, s’appelloit d’abord sophie ou sagesse ; & l’on sait que les premiers philosophes ont été décorés du titre de sages. Ce nom a été dans les premiers tems ce que le nom de bel esprit est dans le nôtre ; c’est-à-dire qu’il a été prodigué à bien des personnes qui ne méritoient rien moins que ce titre fastueux. C’étoit alors l’enfance de l’esprit humain, & l’on étendoit le nom de sagesse à tous les arts qui exerçoient le génie, ou dont la société retiroit quelque avantage ; mais comme le savoir, l’érudition est la principale culture de l’esprit, & que les sciences étudiées & réduites en pratique apportent bien des commodités au genre humain, la sagesse & l’érudition furent confondues ; & l’on entendit par être versé ou instruit dans la sagesse, posséder l’encyclopédie de ce qui étoit connu dans le siecle où l’on vivoit.

Entre toutes les Sciences, il y en a une qui se distingue par l’excellence de son objet ; c’est celle qui traite de la divinité, qui regle nos idées & nos sentimens à l’égard du premier être, & qui y conforme notre culte. Cette étude étant la sagesse par excellence, a fait donner le nom de sages à ceux qui s’y sont appliqués, c’est-à-dire aux Théologiens & aux Prêtres. L’Ecriture elle-même donne aux prêtres chaldéens le titre de sages, sans doute parce qu’ils se l’arrogeoient, & que c’étoit un usage universellement reçu. C’est ce qui a eu lieu principalement chez les nations qu’on a coutume d’appeller barbares ; il s’en falloit bien pourtant qu’on pût trouver la sagesse chez tous les dépositaires de la religion. Des superstitions ridicules, des mysteres puériles, quelquefois abominables ; des visions & des mensonges destinés à affermir leur autorité & à en imposer à la populace aveugle,

voilà à quoi se réduisoit la sagesse des prêtres de ces tems. Les philosophes les plus distingués ont essayé de puiser à cette source : c’étoit le but de leurs voyages, de leur initiation aux mysteres les plus célebres ; mais il s’en sont bientôt dégoûtés, & l’idée de la sagesse n’est demeurée liée à celle de la Théologie que dans l’esprit de ces prêtres orgueilleux & de leurs imbécilles esclaves.

De sublimes génies se livrant donc à leurs méditations, ont voulu déduire des idées & des principes que la nature & la raison fournissent, une sagesse solide, un système certain & appuyé sur des fondemens inebranlables ; mais s’ils ont pu secouer par ce moyen le joug des superstitions vulgaires, le reste de leur entreprise n’a pas eu le même succès. Après avoir détruit, ils n’ont sû édifier, semblables en quelque sorte à ces conquérans, qui ne laissent après eux que des ruines. De-là cette foule d’opinions bisarres & contradictoires, qui a fait douter s’il restoit encore quelque sentiment ridicule, dont aucun philosophe ne se fut avisé. Je ne puis m’empêcher de citer un morceau de M. de Fontenelle, tiré de sa dissertation sur les anciens & sur les modernes, qui revient parfaitement à ce sujet. « Telle est notre condition, dit-il, qu’il ne nous est point permis d’arriver tout-d’un-coup à rien de raisonnable sur quelque matiere que ce soit : il faut avant cela que nous nous égarions long-tems, & que nous passions par diverses sortes d’erreurs, & par divers degrés d’impertinences. Il eût toujours dû être bien facile de s’aviser que tout le jeu de la nature consiste dans les figures & dans les mouvemens des corps ; cependant avant que d’en venir-là, il a fallu essayer des idées de Platon, des nombres de Pythagore, des qualités d’Aristote ; & tout cela ayant été reconnu pour faux, on a été réduit à prendre le vrai système. Je dis qu’on y a été réduit, car en vérité il n’en restoit plus d’autre ; & il semble qu’on s’est défendu de le prendre aussi long-tems qu’on a pû. Nous avons l’obligation aux anciens de nous avoir épuisé la plus grande partie des idées fausses qu’on se pouvoit faire ; il falloit absolument payer à l’erreur & à l’ignorance le tribut qu’ils ont payé, & nous ne devons pas manquer de reconnoissance envers ceux qui nous en ont acquittés. Il en va de même sur diverses matieres, où il y a je ne sai combien de sottises que nous dirions si elles n’avoient pas été dites, & si on ne nous les avoit pas pour ainsi dire enlevées. Cependant il y a encore quelquefois des modernes qui s’en ressaisissent, peut-être parce qu’elles n’ont pas encore été dites autant qu’il le faut ».

Ce seroit ici le lieu de tracer un abrégé des divers sentimens qui ont été en vogue dans la Philosophie ; mais les bornes de nos articles ne le permettent pas. On trouvera l’essentiel des opinions les plus fameuses dans divers autres endroits de ce Dictionnaire, sous les titres auxquels elles se rapportent. Ceux qui veulent étudier la matiere à fond, trouveront abondamment de quoi se satisfaire dans l’excellent ouvrage que M. Brucker a publié d’abord en allemand, & ensuite en latin sous ce titre : Jacobi Bruckeri historia critica Philosophiæ, à mundi incunabulis ad nostram usque ætatem deducta. On peut aussi lire l’histoire de la Philosophie par M. Deslandes.

L’ignorance, la précipitation, l’orgueil, la jalousie, ont enfante des monstres bien flétrissans pour la Philosophie, & qui ont détourné les uns de l’étudier, ou jetté les autres dans un doute universel.

N’outrons pourtant rien. Les travers de l’esprit humain n’ont pas empêché la Philosophie de recevoir des accroissemens considérables, & de tendre à la perfection dont elle est susceptible ici bas. Les anciens ont dit d’excellentes choses, sur-tout sur les devoirs de la morale, & même sur ce que l’homme doit à