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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/775

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de fusibilité du plomb fait qu’il perce très-aisement les creusets dans lesquels on le traite dans les fourneaux.

Lorsque le plomb a été mis dans l’état d’une chaux, on peut lui rendre sa forme métallique, ou réduire cette chaux, en lui joignant une matiere inflammable quelconque, telle que de la poudre de charbon, de la limaille de fer, du suif, du flux noir, &c.

Le plomb se dissout à l’air ; il y perd son éclat & se ronge peu à peu ; il s’y réduit en une poudre grisâtre ; la même chose lui arrive dans l’eau. Si on fait bouillir ce métal dans de l’huile, il se fait une effervescence, & l’huile le dissout ; cette dissolution se fait plus promptement, si au lieu de plomb on prend de la litharge ou du minium, ou quelque autre chaux de ce métal ; par ce moyen l’huile prend une consistence épaisse, qui sert de base à tous les emplâtres de la Pharmacie. Cette huile est aussi d’un grand usage dans la peinture, où l’on emploie de l’huile de lin épaissie par l’ébullition avec la litharge.

Le plomb se dissout dans le vinaigre. Si on fait bouillir du vinaigre, & que l’on y jette de la litharge, elle s’y dissout avec effervescence, & il se précipite une poudre blanche, qui est un sel insoluble, & suivant M. Rouelle, demande 800 parties d’eau pour être mis en dissolution. Si on filtre la liqueur qui surnage à cette poudre, & qu’on la fasse évaporer, on aura un sel en crystaux que l’on appelle sucre de Saturne.

Des lames de plomb exposées à la vapeur acide du vin aigri que l’on a mis sur des grappes de raisin, se convertissent en une poudre blanche que l’on nomme céruse. Les peintres sont usage de cette substance qui est un vrai seul neutre ; mais cette couleur est sujette à varier avec le tems, & à se gâter.

Si l’on verse de l’alkali fixe sur une dissolution de sucre de saturne, il se fera un précipité que l’on nomme magistere de saturne.

C’est sur la facilité avec laquelle le plomb se dissout dans l’acide du vin, qu’est fondé le secret funeste que mettent en pratique un grand nombre de marchands de vin pour adoucir les vins qu’ils voyent tirer à l’aigre ; souvent ils remédient à cet inconvénient en y mettant de la litharge. De plus les cabaretiers distribuent ordinairement le vin dans des vaisseaux l’un étain allié avec beaucoup de plomb ; ils font aussi doubler d’une lame de plomb les comptoirs sur lesquels ils mesurent leur vin ; par ce moyen ils distribuent au peuple un poison lent, qui peu à peu détruit entierement sa santé. Ces sortes de pratiques devroient être rigoureusement défendues ; & les contrevenans mériteroient d’être traités comme des empoisonneurs publics contre qui le gouvernement ne sauroit sévir avec assez de rigueur. En Allemagne, & surtout sur les bords du Rhin où il croît des vins assez acides, il y a peine de mort contre ceux qui adoucissent & falsifient les vins avec du plomb & de la litharge. En effet le plomb, surtout quand il est dissout, est un poison très-vif, & aucunes de ses préparations ne peuvent être prises innocemment ; elles occasionnent des coliques très-dangereuses & très-douloureuses, des tremblemens dans les nerfs, & souvent la mort. Pour reconnoître si du vin a été falsifié par du plomb ou par de la litharge, on n’a qu’à y verser quelques gouttes de la dissolution du foie de soufre arsénical, ou ce qu’on appelle de l’encre de sympathie. C’est une liqueur faite avec une partie d’orpiment & deux parties de chaux vive sur lesquels on verse cinq ou six parties d’eau bouillante. Voyez Orpiment. Pour peu qu’on verse de cette liqueur dans du vin qui a été frelaté avec de la litharge ou du plomb, il deviendra noir ; s’il n’en contient point, il restera rouge, & ne fera que se troubler.

L’acide nitreux agit aussi sur le plomb ; mais il faut que cet acide soit étendu dans beaucoup d’eau ;

on fait chauffer le mélange ; il se fait une légere effervescence ; en faisant évaporer cette dissolution, on obtient des crystaux en pyramides tronquées. Ces crystaux distillés à grand feu dans les vaisseaux fermés font une détonation très-vive & très-dangereuse pour celui qui opere, comme Kunckel l’a éprouvé. Quelques chimistes ont prétendu que ce sel formé par la combinaison de l’acide nitreux & du plomb fournit un moyen de tirer le mercure de ce métal. Glauber fait cette mercurification, en joignant beaucoup de sel alkali & de la chaux vive à ce sel nitreux uni au plomb ; il distille ensuite, & dit d’avoir obtenu de cette façon quelques gouttes de mercure coulant. M. Grosse de l’académie des Sciences a prétendu tirer le mercure du plomb par un autre moyen ; mais M. Rouelle regarde avec raison son procédé comme suspect.

L’acide du sel marin versé sur du plomb divisé en petits morceaux le dissout avec effervescence, & il s’éleve beaucoup de vapeurs blanches. Si on met ce mêlange en distillation dans une cornue au bain de sable, l’acide du sel marin s’élévera, & entraînera avec lui le plomb, sous la forme d’une matiere épaisse que l’on appelle le plomb corné ou le beurre de saturne. C’est un vrai sel qui, si on le fait fondre, se change en une matiere semblable à de la corne.

En faisant bouillir du plomb dans de l’acide vitriolique, ce métal en sera dissout. On peut aussi combiner le plomb avec l’acide vitriolique d’une maniere plus simple, il n’y a pour cela qu’à verser cet acide sur du sel ou du sucre de saturne, il chassera l’acide du vinaigre, & s’unira en sa place avec le plomb.

Le plomb s’unit très-aisément avec le mercure. C’est pour cette raison que quelques marchands se servent de plomb pour falsifier le mercure ; si l’on joint du bismuth à cet amalgame, il devient plus fluide, au point de passer avec le mercure au-travers d’une peau de chamoi. Voyez Mercure. On sent que le mercure ainsi falsifié peut avoir des mauvaises qualités que le plomb lui communique.

Telles sont les propriétés que la Chimie découvre dans le plomb ; de toutes ses qualités M. Rouelle en conclud avec beaucoup de vraissemblance que ce métal approche beaucoup de la nature des sels, par la facilité avec laquelle il se dissout, par sa fusibilité, par sa volatilité & par sa vitrification.

Plusieurs chimistes ont regardé le plomb comme de l’argent qui n’étoit point encore parvenu à maturité ; ils se sont fondés sur l’affinité singuliere qui se trouve entre ces deux métaux ; en effet il y a presque toujours de l’argent dans les mines de plomb ; & d’ailleurs le plomb se charge dans la fusion de l’argent qui est joint à d’autres métaux ; mais ce qui semble encore plus fortifier cette conjecture, c’est que toutes les fois qu’on passe du plomb à la coupelle, on en obtient de nouvel argent : phénomène qui est constaté par une infinité d’expériences.

Quant à l’idée de ceux qui prétendent que le plomb dont quelques édifices & quelques églises sont couverts, se convertit à la fin en argent, après avoir été long-tems exposé à l’air, elle n’est nullement fondée : ce qui peut y a voir donné lieu, c’est que dans les tems auxquels on a employé ce plomb, l’on ne savoit point dégager l’argent de ce métal avec autant d’exactitude qu’aujourd’hui, & l’on y laissoit celui qui y étoit contenu, soit parce qu’on ignoroit qu’il en contînt, soit parce qu’on ne savoit pas la maniere de l’en séparer.

On a déja fait remarquer dans le cours de cet article, que le plomb étoit un poison très-violent. Il fait sentir ses mauvaises qualités non-seulement quand il est mis en dissolution dans quelque acide, mais encore sa vapeur est très-nuisible, comme on peut en juger par les maladies auxquelles sont exposés ceux