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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/100

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fait, & dont la métaphysique n’est peut-être que plus sûre, trouveront plus loin ce qu’ils desirent ; des témoignages, des analogies, des raisons de syntaxe, tout viendra par la suite à l’appui du systême que l’on développe ici.

IV. Continuons & achevons de lutter contre les préjugés, en proposant encore un paradoxe. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent postérieur, comme dans cette phrase, je pars demain ; dans ce cas nous trouvons un autre tems que l’on peut substituer au présent indéfini, & ce ne peut être que le présent postérieur lui-même : je partirai est donc un présent postérieur. Les gens accoutumés à voir les choses sous un autre aspect & sous un autre nom, vont dire ce que m’a déja dit un homme d’esprit, versé dans la connoissance de plusieurs langues, que je vais faire des présens de tous les tems du verbe. Il faudroit pour cela que je confondisse toutes les idées distinctives des tems, & j’ose me flatter que mes réflexions auront une meilleure issue.

Un présent postérieur doit exprimer la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque déterminément postérieure ; & c’est précisément l’usage naturel du tems dont il s’agit ici. Ecoutons encore l’auteur de la grammaire générale. « On auroit pu de même, dit-il (loc. cit.), ajouter un quatrieme tems composé, savoir celui qui eût marqué l’avenir avec rapport au présent… néanmoins dans l’usage on l’a confondu… & en latin même on se sert pour cela de futur simple : cum cænabo, intrabis (vous entrerez quand je souperai) ; par où je marque mon souper comme futur en soi, mais comme présent à l’égard de votre entrée ».

On retrouve encore ici le même défaut que j’ai déja relevé à l’occasion du présent antérieur simple : l’auteur dit que le tems dont il parle, eût marqué l’avenir avec rapport au présent ; & il prouve lui-même qu’il falloit dire qu’il eût marqué le présent avec rapport à l’avenir, puisque, de son aveu, cænabo, dans la phrase qu’il allegue, marque mon souper comme présent à l’égard de votre entrée, qui en soi est à venir. Cænabo (je souperai) est donc un présent postérieur.

Non, dit M. Lancelot ; le présent postérieur n’existe point ; c’est le futur simple qui en fait l’office dans l’occurrence. Si je prenois l’inverse de la thése, & que je dise que le futur n’existe point, mais que le présent postérieur en fait les fonctions ; je crois qu’il seroit difficile de décider d’une maniere raisonnable entre les deux assertions : mais sans recourir à un faux-fuyant qui n’éclairciroit rien, qu’on me dise seulement pourquoi on ne tient aucun compte dans la conjugaison du verbe des tems très-réels cænaturus sum, cænaturus eram, cænaturus ero, qui sont évidemment des futurs ? Or s’il existe d’autres futurs que cænabo, pourquoi refuseroit-on à cænabo la dénomination de présent postérieur, puisqu’il en fait réellement les fonctions.

Ceux qui auront lu l’article Futur, m’objecteront que je suis en contradiction avec moi-même, puisque j’y regarde comme futur le même tems que je nomme ici présent postérieur. J’avoue la contradiction de la doctrine que j’expose ici, avec l’article en question : mais il contient déja le germe qui se développe aujourd’hui. Ce germe, contraint alors par la concurrence des idées de mon collégue, n’a ni pu ni dû se développer avec toute l’aisance que donne une liberté entiere : & l’on ne doit regarder comme à moi, dans cet article, que ce qui peut faire partie de mon système ; je désavoue le reste, ou je le retracte.

§. 2. Système des Prétérits justifié par les usages des langues. Comme nous avons reconnu quatre pré-

sens dans notre langue, quoiqu’on n’en trouve que

trois dans la plûpart des autres ; nous allons y reconnoître pareillement quatre prétérits, tandis que les autres langues n’en admettent au plus que trois.

I. Le premier, fui (j’ai été), landavi (j’ai loué), miratus sum (j’ai admiré), &c. généralement reconnu pour prétérit, & décoré par tous les grammairiens du nom de prétérit-parfait, a tous les caracteres exigibles d’un prétérit indéfini : & quoiqu’en effet on ne l’employe pas à autant d’usages différens que le présent indéfini, il en a cependant assez pour prouver qu’il renferme fondamentalement l’abstraction de toute époque, ce qui est l’essence des tems indéfinis.

1°. On fait usage de ce prétérit pour désigner le prétérit actuel. J’ai lu l’excellent livre des Tropes, c’est-à-dire, mon action de lire ce livre est antérieure au moment même où je parle. Il y a plus ; aucune langue n’a établi dans ses verbes un prétérit actuel proprement dit ; c’est le prétérit indéfini qui en fait les fonctions, & c’est par la même raison qui fait que le présent indéfini tient lieu de présent actuel, raison, par conséquent, que je ne dois plus répéter.

2°. On emploie fréquemment le prétérit indéfini pour le prétérit postérieur. J’ai fini dans un moment ; si vous avez relu cet ouvrage demain, vous m’en direz votre avis : dans le premier exemple, j’ai fini, énonce l’action de finir comme antérieure à l’époque désignée par ces mots, dans un moment, qui est nécessairement une époque postérieure ; c’est comme si l’on disoit, J’aurai fini dans un moment, ou dans un moment je pourrai dire, J’ai fini : dans le second exemple, vous avez relu, présente l’action de relire comme antérieure à l’époque postérieure indiquée par le mot demain, & c’est comme si l’on disoit, lorsque vous aurez relu demain cet ouvrage, vous m’en direz votre avis, ou lorsque demain vous pourrez dire que vous avez relu, &c.

3°. Le prétérit indéfini est quelquefois employé pour le prétérit antérieur. Que je dise dans un récit : sur les accusations vagues & contradictoires qu’on alléguoit contre lui, je prends sa défense avec feu & avec succès : à peine ai-je parlé, qu’un bruit sourd s’éleve de toutes parts, &c. Dans cet exemple, ai je parlé énonce mon action de parler comme antérieure à l’époque désignée par ces mots, un bruit sourd s’éleve : mais le présent indéfini s’éleve est mis ici pour le présent antérieur périodique s’éleva ; & par conséquent l’époque est réellement antérieure à l’acte de la parole. Ai-je parlé est donc employé pour avois-je parlé, & il énonce en effet l’antériorité de mon action de parler à l’égard d’une époque antérieure elle-même au moment actuel de la parole.

4°. Le prétérit indéfini n’est jamais employé dans le sens totalement indéfini, comme le présent : c’est que les propositions d’éternelle vérité, essentiellement présentes à l’égard de toutes les époques, ne sont ni ne peuvent être antérieures ni postérieures à aucune : & les propositions d’une vérité contingente ont nécessairement des rapports différens aux diverses époques ; rapport de la simultanéité pour l’une, d’antériorité pour l’autre, de postériorité pour une troisieme.

II. Le second de nos prétérits, est le prétérit antérieur simple, fueram (j’avois été), laudaveram (j’avois loué), miratus fueram (j’avois admiré). Les grammairiens ont donné à ce tems le nom de prétérit-plusque parfait, parce qu’ayant nommé parfait le prétérit indéfini, dont le caractere est d’exprimer l’antériorité d’existence, ils ont cru devoir ajouter quelque chose à cette qualification, pour désigner un tems qui exprime l’antériorité d’existence & l’antériorité d’époque.

Mais qu’il me soit permis de remarquer que la dé-