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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/292

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La volonté est le premier agent de la nature humaine, car elle meut l’entendement.

Les actes commandés par la volonté sont ou volontaires, ou moraux & spontanés, ou nécessaires, contraints & physiques.

La nature de l’homme moral est la complexion de la puissance de vouloir, & des puissances qui sont soumises à la volonté.

La raison est le prédicat de l’entendement seul & non de la volonté.

L’entendement juge librement de la nature des choses, du bien & du mal, toutes les fois que la volonté ne le meut pas ; mais il est soumis à la volonté & il lui obéit, en tant qu’il en est mu & poussé.

L’entendement & la volonté ont leur liberté & leur servitude ; l’une & l’autre extrinseques.

Il n’y a donc nul choix de volonté, & nulle liberté d’indifférence. Comme on ne conçoit pas toujours dans l’acte de la liberté, qu’elle soit excitée par des puissances extérieures, on dit sous ce point de vue qu’elle est libre.

On accorde aux actions de l’homme la spontanéité parce qu’il en est l’auteur, mais non parce qu’elles sont libres.

Les puissances sont ou en guerre ou d’accord ; dans le premier cas la plus forte l’emporte.

Ce qui conserve les puissances d’un corps est bon ; ce qui détruit les puissances d’un corps, & conséquemment le corps même, est mauvais.

Qu’est-ce que la vie ? l’union des puissances avec le corps. Qu’est-ce que la mort ? la séparation des puissances d’avec le corps. Tant que le corps vit, ses parties qui sont le siége des puissances restent unies ; lorsqu’il se dissout, ses parties se séparent ; les puissances passent à des puissances séparées, car il est impossible qu’elles soient anéanties.

Le corps est mortel, mais les puissances sont immortelles.

Il est particulier à l’homme d’être porté à des biens qui sont contraires au bien général.

L’effort vers une chose qui lui convient s’appelle desir, amour, espérance ; vers une chose qui lui est contraire, haine, fuite, horreur, crainte.

On donne à l’effort le nom de passion, parce que l’objet ne manque jamais de l’exciter.

La raison est saine quand elle est libre, ou non mue par la volonté & qu’elle s’occupe sans son influence de la différence du bien réel & du bien apparent ; corrompue, lorsque la volonté la pousse au bien apparent.

Chaque homme a ses volontés. Les volontés des hommes s’accordent peu ; elles sont très-diverses, souvent opposées : un même homme ne veut pas même constamment ce qu’il a voulu une fois ; ses volontés se contredisent d’un instant à un autre ; les hommes ont autant de passion, & il y a dans chacune de leurs passions autant de diversité qu’il s’en montre sur leurs visages, pendant la durée de leur vie.

L’homme n’est point l’espece infime, & la nature du genre humain n’est pas une & la même.

Il y a dans l’homme trois volontés principales, la volupté, l’avarice, & l’ambition. Elles dominent dans tous, mais diversement combinées ; ce ne sont point des mouvemens divers qui se succedent naturellement, & dirigés par le principe commun de l’entendement & de la volonté.

Des actes volontaires & contradictoires ne peuvent sortir d’une volonté une & commune.

D’où il suit que c’est aux passions de la volonté, à la contrainte & à la nécessité qu’il faut rapporter ce que l’on attribue ordinairement au choix & à la liberté : la discorde une fois élevée, la puissance la plus forte l’emporte toujours.

La volonté est une puissance active de sa nature,

parce que plusieurs de ses affections ont leur origine dans d’autres puissances, & que toutes ses actions en sont excitées.

La volupté, l’ambition, l’avarice, sont trois facultés actives qui poussent l’entendement, & qui excitent la puissance translative.

L’espérance, la crainte, la joie, la tristesse, sont des passions de l’ame, qui naissent de la connoissance d’une puissance favorable ou contraire.

Il y a des passions de l’ame qui excitent les premieres volontés ; il y en a d’autres qui les suppriment.

À proprement parler il n’y a que deux différences dans les affections premieres, l’espérance & la crainte ; l’une naît avec nous ; l’autre est accidentelle.

L’espérance naît de quelque volonté premiere ; la crainte vient d’autres puissances.

L’espérance & la crainte peuvent se considérer relativement à Dieu : raisonnables on les appelle piété, crainte filiale ; déraisonnables on les appelle superstition, crainte servile. Celui qui n’est retenu que par des considérations humaines est athée.

L’homme est prudent & sage, lorsqu’il a égard à la liaison des puissances, non-seulement dans leur effet présent, mais encore dans leur effet à venir.

Les prophetes sont des hommes dont Dieu meut immédiatement la puissance intellectuelle ; ceux dont il dirige immédiatement la volonté, des héros ; ceux dont l’entendement & la volonté sont soumis à des puissances invisibles, des sorciers : l’homme prudent apporte à l’examen de ces différens caracteres la circonspection la plus grande.

La puissance humaine est finie, elle ne s’étend point aux impossibles. En-deçà de l’impossibilité, il est difficile de marquer ses limites.

Il est plus facile de connoître les puissances des corps en les comparant, que les puissances des hommes entre eux.

Toute puissance, sur-tout dans l’homme, peut être utile ou nuisible.

Il faut plus craindre des hommes qu’en espérer, parce qu’ils peuvent & veulent nuire plus souvent que servir.

Le sage secourt souvent ; craint plus souvent encore ; résiste rarement ; met son espoir en peu de choses, & n’a de confiance entiere que dans la puissance éternelle.

Le sage ne prend point sa propre puissance pour la mesure de la puissance des autres, ni celle des autres pour la mesure de la sienne.

Il y a des puissances qui irritent les premieres volontés ; il y en a qui les appaisent. Les alimens accroissent ou diminuent la volupté ; l’ambition se fortifie ou s’affoiblit par la louange & par le blâme ; l’avarice voit des motifs de se reposer ou de travailler dans l’inégalité des biens.

La volonté dominante de l’homme, sans être excitée ni aidée par des puissances extérieures, l’emporte toujours sur la volonté d’une puissance surordonnée, abandonnée à elle-même & sans secours. Les forces réunies de deux puissances foibles peuvent surmonter la volonté dominante. Le succès est plus fréquent & plus sûr, si les puissances auxiliaires sont extérieures.

Une passion foible, irritée violemment par des puissances extérieures, s’exercera plus énergiquement dans un homme que la passion dominante dans un autre. Pour cet effet il faut que le secours de la puissance extérieure soit grand.

Il y a entre les passions des hommes des oppositions, des concurrences, des obstacles, des secours, des liaisons secretes que tous les yeux ne discernent pas.

Il y a des émanations, des écoulemens, des simu-