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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/946

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cerfs a toujours un goût desagréable & fort[1] ; ce que cet animal a de plus utile, c’est son bois & sa peau ; on la prépare, & elle fait un cuir souple & très durable ; le bois s’emploie par les Couteliers, les Fourbisseurs, &c. & l’on en tire par la chimie des esprits alkali-volatils, dont la Médecine fait un fréquent usage.

Lorsque le faon a environ six mois, alors il change de nom, il prend celui de here : les bossettes croissent & s’alongent, elles deviennent cylindriques, & dans cet état on leur donne le nom de couronne (en termes de chasse on les nomme pivots) ; ils sont terminés par une face concave, sur laquelle pose l’extrémité inférieure du bois.

Le premier que porte le cerf ne se forme qu’après sa premiere année ; il n’a qu’une simple tige sur chaque pivot sans aucune branche, c’est pourquoi on donne à ces tiges le nom de dagues, & au cerf celui de daguet, tant qu’il est dans sa seconde année ; mais à la troisieme année, au lieu de dagues il a un bois dont chaque perche jette deux ou trois branches, que l’on appelle andouillers.

Alors l’animal est nommé cerf à la seconde tête ; ce nom lui reste jusqu’à ce qu’il ait mis bas sa seconde tête ; celle qui lui repousse à la quatrieme année lui fait prendre le nom de cerf à sa troisieme tête, qu’il conserve jusqu’à ce qu’il ait mis bas cette troisieme tête, & celle qui lui repousse à la cinquieme année, lui fait prendre le nom de cerf à sa quatrieme tête, qu’il conserve de même jusqu’à ce qu’il ait mis bas cette quatrieme tête, celle qui lui repousse lui fait prendre le nom de dix cors jeunement qu’il conserve pendant sa sixieme année ; quand il met bas cette tête, à celle qui lui repousse à sa septieme année, il prend le nom de cerf dix cors, après il n’y a plus de terme que celui de gros & vieux cerfs ; dans ces âges le nombre des andouillers n’est pas fixe ; il y a plusieurs exemples de daguets qu’on a pris avec les meutes de S. M. lesquels portoient des andouillers sur leurs dagues, qui étoient chassés pour des cerfs à leur seconde tête, & qui à la mort ne se trouvoient que daguets, parce qu’ils n’avoient point de meule, les daguets n’en ayant jamais ; les meules sont une petite couronne en forme de bague, qui croît au bas du merain des cerfs, & elles ne prennent cette forme qu’après que les dagues sont tombées, & qu’il leur pousse leur seconde tête, les daguets n’ont point de meule, mais seulement de petites pierrures détachées à l’endroit où les meules se forment à l’accroissement de leur seconde tête, quand le nombre des andouillers est au nombre pair, & qu’il y en a autant d’un côté que de l’autre, & particulierement ceux qui forment l’empaumure, c’est-à-dire, andouillers de chaque côté à l’empaumure, cela se dit porter douze, parce que l’on compte de cette façon ; l’andouiller qui croît le plus près des meules, se nomme premier andouiller, celui qui suit surandouiller, & celui d’après chevillure ; or il est à présumer que tous les cerfs doivent avoir ces trois andouil-

lers le long du mérain, que tous les andouillers qui sont

au-dessus doivent être compris de l’empaumure, ainsi ayant trois andouillers le long du merain, & trois à l’empaumure, cela fait six, autant de l’autre côté, fait douze, qu’on dit que le cerf qui a ce même nombre doit porter, & s’il n’y avoit que deux andouillers à l’empaumure d’un côté & trois de l’autre, on dit porter douze mal semée : quand un cerf n’auroit qu’un premier andouiller, point de sur-andouiller, ni de chevillure, & qu’il auroit trois andouillers à l’empaumure de chaque côté, on doit toujours dire porter douze, comme je l’ai déjà dit, qu’il n’y a que les andouillers de l’empaumure que l’on compte en supposant toujours les andouillers au-dessous, qu’ils y soient ou non ; un cerf qui a les trois premiers andouillers, & qui n’en a point à l’empaumure, il est dit porter huit ; s’il y a un andouiller à l’empaumure, si petit qu’il puisse être, pourvu qu’il déborde le marain à y accrocher la bouteille, on le compte, & on dit porter dix ; s’il y en a autant de l’autre côté, s’il n’y en a qu’un d’un côté & point de l’autre, il est dit porter dix mal semée ; ainsi du plus grand nombre comme celui-ci, p. 143.

L’extrémité inférieure de chaque perche est entourée d’un rebord en forme d’anneau, que l’on nomme la meule : ce rebord est parsemé de tubercules appellés pierrures, & il y a sur les perches ou mérain, & sur la partie inférieure des andouillers d’autres tubercules plus petits appellés perlures : ceux-ci sont séparés les uns des autres dans quelques endroits par des sillons qui s’étendent le long du merain & des andouillers, & que l’on nomme gouttiere : à mesure que le cerf avance en âge le bois est plus haut, plus ouvert, c’est-à-dire, que les perches sont plus éloignées l’une de l’autre ; le merain est plus gros, les andouillers sont plus longs, plus gros & plus nombreux, les meules plus larges, les pierrures plus grosses, & les gouttieres plus grandes. Cependant à tout âge il arrive dans ces parties des variétés qui dépendent de la qualité des nourritures & de la température de l’air.

Lorsque le bois est tombé, la face supérieure des prolongemens de l’os du front reste à découvert (en terme de vénerie il se nomme pivot) ; mais bientôt le périoste & les tégumens qui embrassent chaque pivot en l’entourant s’alongent, leurs bords se réunissent sur la face supérieure, & forment sur cette face une masse qui a une consistance molle, parce qu’elle contient beaucoup de sang, & qui est revétue de poils courts à-peu-près de la même couleur que celui de la tête de l’animal : cette masse se prolonge en-haut, comme le jet d’un arbre devient la perche du bois, & pousse à mesure qu’elle s’éleve des branches latérales qui sont les andouillers. Ce nouveau bois, qu’on appelle un refrais, est de consistance molle dans le commencement de son accroissement : la réaction qui se fait contre les pivots, forme les meules par la portion de matiere qui déborde autour de l’extrémité inférieure de chaque perche. Le bois a une sorte d’écorce qui est une continuation des tégumens de la tête ; cette écorce ou cette peau est velue, & renferme des vaisseaux sanguins, qui fournissent à l’accroissement du bois ; ils rampent & se ramifient le long du merain & des andouillers.

Les troncs & les principales branches de ces vaisseaux y creusent des impressions en forme de sillons longitudinaux, qui sont les gouttieres. Les petites branches & leurs ramifications tracent d’autres sillons plus petits, qui laissent entr’eux sur la surface du bois des tubercules, des pierrures & des perlures ; ces tubercules sont d’autant plus larges & plus élevés que les vaisseaux entre lesquels ils se trouvent, sont plus gros, & par conséquent plus éloignés les uns des autres à l’extrémité du mérain & des andouillers,

  1. M. de Buffon n’a point mangé de la chair du cerf dans la saison qu’elle est bonne, puisqu’il la trouve d’un goût desagreable & fort ; il est vrai qu’elle est telle dans le tems du rut, mais quand il est passé, & que les cerfs sont refaits & rétablis, elle est très-bonne à manger, quand on sait bien l’accommoder. Elle étoit si peu mauvaise, qu’anciennement on portoit à la bouche du roi les petits filets, la langue, le mufle & les oreilles : j’ai encore vu de mon tems y porter les petits filets & la langue ; on s’est relâché sur cela, ils n’ont point été redemandés, & on ne les y a plus portés ; on les portoit à la bouche jusqu’à ce que les cerfs fussent en rut, pour-lors on cessoit jusqu’à la S. Hubert qu’on les reportoit. J’ai vu aussi porter quelquefois la hampe du cerf, qui est la poitrine, à la bouche de sa majesté qui les demandoit. Le roi mange actuellement les dintiers, & même dans le tems du rut par régal. Depuis qu’on ne porte plus à la bouche les petits filets & la langue, ces morceaux sont pris par ceux à qui l’assemblée en pain, vin & viande tombe les jours que l’on chasse, soit valets de limiers ou valets de chiens.