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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/98

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Un prétérit défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime l’antériorité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Enfin un futur défini est pareillement actuel, antérieur ou postérieur, selon qu’il exprime la postériorité d’existence à l’égard d’une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Art. II. Conformité du système méthaphysique des Tems avec les usages des langues. On conviendra peut-être que le système que je présente ici, est raisonné, que les dénominations que j’y emploie, en caractérisent très-bien les parties, puisqu’elles désignent toutes les idées partielles qui y sont combinées, & l’ordre même des combinaisons. Mais on a vu s’élever & périr tant de systèmes ingénieux & réguliers, que l’on est aujourd’hui bien fondé à se défier de tous ceux qui se présentent avec les mêmes apparences de régularité ; une belle hypothese n’est souvent qu’une belle fiction ; & celle-ci se trouve si éloignée du langage ordinaire des Grammairiens, soit dans le nombre des tems qu’elle semble admettre, soit dans les noms qu’elle leur assigne, qu’on peut bien la soupçonner d’être purement idéale, & d’avoir assez peu d’analogie avec les usages des langues.

La raison, j’en conviens, autorise ce soupçon ; mais elle exige un examen avant que de passer condamnation. L’expérience est la pierre de touche des systèmes, & c’est aux faits à proscrire ou à justifier les hypothèses.

§. 1. Système des Présens justifié par l’usage des langues. Prenons donc la voie de l’analyse ; & pour ne point nous charger de trop de matiere, ne nous occupons d’abord que de la premiere des trois especes générales de tems, des presens.

I. Il en est un qui est unanimement reconnu pour présent par tous les Grammairiens ; sum, je suis, laudo, je loue, miror, j’admire, &c. Il a dans les langues qui l’admettent, tous les caracteres d’un présent véritablement indéfini, dans le sens que j’ai donné à ce terme.

1°. On l’emploie comme présent actuel ; ainsi quand je dis, par exemple, à quelqu’un, je vous loue d’avoir fait cette action, mon action de louer est exprimée comme coexistante avec l’acte de la parole.

2°. On l’emploie comme présent antérieur. Que l’on dise dans un récit, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu’il s’embarrasse ; « en tout cela, où il n’y a que des tems présens, je le rencontre est dit pour je le rencontrai ; je demande pour je demandai ; où il va pour où il alloit ; je vois pour je vis ; & qu’il s’embarrasse pour qu’il s’embarrassoit. » Regnier, gramm. franç. in-12, pag. 343, in-4°. pag. 360. En effet, dans cet exemple les verbes je rencontre, je demande, je vois, désignent mon action de rencontrer, de demander, de voir, comme coexistante dans le période antérieur indiqué par quelqu’autre circonstance du récit ; & les verbes il va, il s’embarrasse, énoncent l’action d’aller & de s’embarrasser comme coexistante avec l’époque indiquée par les verbes précédens je demande & je vois, puisque ce que je demandai, c’est où il alloit dans l’instant même de ma demande, & ce que je vis, c’est qu’il s’embarrassoit dans le moment même que je le voyois. Tous les verbes de cette phrase sont donc réellement employés comme des présens antérieurs, c’est-à-dire, comme exprimant la simultanéité d’existence à l’égard d’une époque antérieure au moment de la parole.

3°. Le même tems s’emploie encore comme présent postérieur. Je pars demain, je fais tantôt mes adieux ; c’est-à-dire, je partirai demain, & je ferai tantôt mes adieux : je pars & je fais énoncent mon action de partir & de faire, comme simultanée avec l’époque nettement désignée par les mots demain &

tantôt, qui ne peut être qu’une époque postérieure au moment où je parle.

4°. Enfin l’on trouve ce tems employé avec abstraction de toute époque, ou si l’on veut, avec une égale relation à toutes les époques possibles ; c’est dans ce sens qu’il sert à l’expression des propositions d’éternelle vérité : Dieu est juste, les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits : c’est que ces vérités sont les mêmes dans tous les tems, qu’elles coexistent avec toutes les époques, & le verbe en conséquence, se met à un tems qui exprime la simultanéité d’existence avec abstraction de toute époque, afin de pouvoir être rapporté à toutes ses époques.

Il en est de même des vérités morales qui contiennent en quelque sorte l’histoire de ce qui est arrivé, & la prédiction de ce qui doit arriver. Ainsi dans cette maxime de M. de la Rochefoucault (pensée LV.) la haine pour les favoris n’est autre chose que l’amour de la faveur, le verbe est exprime une simultanéité relative à une époque quelconque, & actuelle, & antérieure, & postérieure.

Le tems auquel on donne communément le nom de présent, est donc un présent indéfini, un tems qui n’étant nullement astreint à aucune époque, peut demeurer dans cette généralité, ou être rapporté indifféremment à toute époque déterminée, pourvu qu’on lui conserve toujours sa signification essentielle & inamissible, je veux dire, la simultanéité d’existence.

Les différens usages que nous venons de remarquer dans le présent indéfini, peuvent nous conduire à reconnoître les présens définis ; & il ne doit point y en avoir d’autres que ceux pour lesquels le présent indéfini lui-même est employé, parce qu’exprimant essentiellement la simultanéité d’existence avec abstraction de toute époque, s’il sort de cette généralité, ce n’est point pour ne plus signifier la simultanéité, ma s c’est pour l’exprimer avec rapport à une époque déterminée. Or

II. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent actuel, comme quand on dit, je vous loue d’avoir fait cette action ; mais dans ce cas-là même, il n’y a aucun autre tems que l’on puisse substituer à je loue ; & cette observation est commune à toutes les langues dont les verbes se conjuguent par tems.

La conséquence est facile à tirer : c’est qu’aucune langue ne reconnoit dans les verbes de présent actuel proprement dit, & que partout c’est le présent indéfini qui en fait la fonction. La raison en est simple : le présent indéfini ne se rapporte lui-même à aucune époque déterminée ; ce sont les circonstances du discours qui déterminent celle à laquelle on doit le rapporter en chaque occasion ; ici c’est à une époque antérieure ; là, à une époque postérieure ; ailleurs, à toutes les époques possibles. Si donc les circonstances du discours ne designent aucune époque précise, le présent indéfini ne peut plus se rapporter alors qu’à l’instant qui sert essentiellement de dernier terme de comparaison à toutes les relations de tems, c’est-à-dire, à l’instant même de la parole : cet instant dans toutes les autres occurrences n’est que le terme éloigné de la relation ; dans celle-ci, il en est le terme prochain & immédiat, puisqu’il est le seul.

III. Nous avons vu le présent indéfini employé comme présent antérieur, comme dans cette phrase, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu’il s’embarrasse ; & dans ces cas, nous trouvons d’autres tems que l’on peut substituer au présent indéfini ; je rencontrai pour je rencontre, je demandai pour je demande, & je vis pour je vois, sont donc des présens antérieurs ; il alloit pour il va, & il s’embarrassoit pour il s’embarrasse, sont encore d’autres présens antérieurs. Ainsi nous voilà forcés à admettre deux sortes de présens antérieurs ; l’un, dont on