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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/138

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main. Pendant ce tems-là on vient lui dire qu’une telle partie de son armée a battu celle de l’ennemi qu’elle avoit en tête, ou bien que sa gauche est en déroute, & que l’infanterie qui la joignoit a ployé. Je demande, dit toûjours l’illustre maréchal de Puységur, quel part ce général peut avoir alors au gain ou à la perte de la bataille ? Cependant pour marquer dans l’histoire la supériorité d’un général sur un autre, on dit qu’il l’a battu en bataille rangée, quoiqu’à dire la vérité, ce soient ces actions-là dans lesquelles le général a le moins de part. Ce sont, il est vrai, les généraux qui choisissent les postes, & qui ordonnent les dispositions pour combattre : mais l’exécution de leur ordre & l’action sont totalement l’affaire des troupes, non-seulement dans des armées également étendues ; mais même dans celles dont les forces sont fort différentes.

Aussi les généraux qui n’ont pas grande ressource dans leur savoir, préferent-ils toûjours les batailles aux autres actions de la guerre, qui donnent moins au hasard & qui demandent plus d’habileté. Au contraire ceux qui sont savans dans la guerre, cherchent par préférence les actions où ils peuvent soûtenir les troupes par leur intelligence & sans se commettre aux évenemens ; ce qu’ils ne peuvent faire que quand les armées ont peu d’étendue, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas trop nombreuses. Art de la guerre par M. le maréchal de Puységur.

M. de Folard pense sur les armées nombreuses, comme le savant maréchal que nous venons de citer. Ces armées innombrables & les évenemens prodigieux qu’elles produisent, plaisent & amusent comme les romans : mais elles instruisent peu les gens de guerre. Il y a par-tout à apprendre dans les petites guerres ; & c’est dans celles-ci uniquement que la science & l’intelligence paroissent le plus particulierement. Il faut même plus de l’une & de l’autre que dans les grandes, dont le nombre fait tout le mérite .... M. de Turenne disoit qu’une armée qui passoit cinquante mille hommes, devenoit incommode au général qui la commandoit, & aux soldats qui la composoient. Rien n’est plus vrai & plus judicieux que cette maxime. Les mauvais généraux cherchent toûjours à réparer par le nombre le défaut de leur courage & de leur intelligence. Ils n’ont jamais assez de troupes quoique l’ennemi en ait moins. Ils épuisent toutes les garnisons d’une frontiere, & les vivres en même tems pour grossir leurs armées, gagner l’avantage du nombre & l’avoir bien au-delà..... S’ils ne font rien avec des forces si supérieures, ils nous font juger que c’est à bon droit qu’ils se défient d’eux-mêmes, qu’ils se rendent justice, & que leur hardiesse n’est pas telle qu’ils la vantoient..... On voit peu de grandes armées qui réussissent lorsqu’on se défend bien : elles se dissipent d’elles-mêmes ; on voit bien-tôt la confusion & le desordre s’y introduire par la faute de paye, par la disette & les maladies : leur propre grandeur entraîne leur ruine. Comment. sur Polybe ».

Suivant la remarque d’un auteur célebre, la perte réelle soufferte dans une bataille, c’est à-dire la mort de quelques milliers d’hommes, n’est pas aussi funeste à l’état que son mal d’opinion, ou le découragement qui l’empêche d’user des forces que la fortune lui a laissées. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, par M. de Montesquieu.

M. de Turenne disoit qu’il estimoit plus un général qui conservoit un pays après une bataille perdue, que celui qui l’avoit gagnée & n’avoit pas sû en profiter. Il avoit raison. Ceux de cette derniere espece ne sont pas rares : apparuit nescire eos victoriâ uti, dit Tite-Live. Mais ceux qui poussent les avantages d’u-

ne victoire aussi loin qu’ils peuvent aller, comme M.

le Prince & M. de Turenne, ne se trouvent pas partout.... Se servir de l’occasion, est une marque infaillible de l’habileté & du courage d’un général d’armée. L’occasion, dit Tacite, est la mere des grands évenemens, opportunus magnis conatibus transitus rerum. En effet, une victoire décisive & complete nous conduit à une foule d’entreprises & de grands desseins, qui résultent tous de la premiere victoire. Une armée n’est pas abysmée & anéantie pour avoir perdu & abandonné le champ de bataille, son canon, ses morts & ses blessés. Ceux qui fuient à-travers les campagnes ne sont pas morts ; ils sont dissipés aujourd’hui, ils peuvent se réunir demain, trois ou quatre jours après, quinze ou vingt, si l’on veut, se rallier, prendre de nouvelles forces, de nouvelles espérances, & revenir plus braves & plus résolus qu’auparavant, par la honte de leur défaite, ou par l’adresse des généraux. Que ne faut-il pas pour rendre une bataille décisive & complete ? elles ne le sont presque jamais : on voit l’ennemi en fuite, atterré, vaincu, foulé aux piés ; il se releve en peu de tems : on diroit que le victorieux n’a marché que sur des ressorts.

Une bataille n’est complete & décisive qu’autant qu’on en sait profiter dès l’instant que la victoire s’est déclarée sans nulle équivoque, qu’aucun corps ne reste en entier, que tout s’enfuit, que tout court à la débandade. Le général victorieux doit bien se garder alors de faire un lieu de repos du champ de bataille ; mais imiter ce que fit César dans toutes ses victoires, & particulierement dans celle de Pharsale. Il n’a pas plûtôt vaincu Pompée, que sur le champ il marche à l’attaque de son camp qu’il emporte. Ce n’est pas encore assez : il le suit sans relâche à marche forcée ; il oblige l’ennemi de s’embarquer ; il y monte aussi & avec la même promptitude, de peur qu’il ne lui échappe. Belle leçon pour les victorieux, qui ne le sont jamais qu’à demi.

On doit laisser là tous les blessés, les gros bagages, la grosse artillerie, enfin tout ce qui peut retarder la marche d’un seul moment ; camper sur les traces des vaincus, afin qu’ils n’ayent pas le tems de se reconnoître & de recourir aux ressources.

Ordinairement une armée battue cherche son salut par différentes routes & diverses retraites. On doit partager son armée en plusieurs corps dans un très-grand ordre, les envoyer aux trousses des fuyards, tâcher de les atteindre pour les accabler & ruiner le tout. Si les vaincus se réunissent & se rassemblent sous le canon de la place la plus voisine, il faut l’attaquer brusquement à la faveur de la nuit, ou dans le plein jour : on essuie un feu de passage ; mais dès qu’on est aux mains, ce feu n’a plus lieu. Enfin il faut considérer qu’il y a certaines bornes d’où l’on ne sauroit s’écarter après une victoire. Il y a un certain point jusqu’où il est permis de suivre ses avantages. Ce n’est pas connoître ses forces, ni même celles de ses ennemis, que de n’oser aller jusque-là, ou de vouloir aller plus loin, lorsque la défaite n’est pas entiere. Bien des généraux ont été battus après une victoire, faute de connoître la juste étendue qu’ils auroient pû lui donner. Commentaire sur Polybe, par M. le chevalier Folard. (Q)

Bataille navale, est une bataille donnée sur mer. Voyez Combat naval.

Bataille, (Jurispr.) s’est dit dans le même sens que combat, lorsque les duels étoient autorisés en justice. Voyez Combat. (H)

Bataille, (Peinture.) on se sert de ce mot au figuré pour signifier les représentations des batailles en peinture & en sculpture. Les batailles d’Alexandre qui sont dans les galeries du Louvre par le Brun, sont mises au nombre des morceaux de Peinture les plus