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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/241

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lité des livres, sont celle de sainte Génevieve, à laquelle vient d’être réuni, par le don que lui en a fait M. le duc d’Orléans, le riche cabinet des médailles que feu M. le Régent avoit formé ; celles de Sorbonne, du collége de Navarre, des Jésuites de la rue S. Jacques & de la rue S. Antoine, des prêtres de l’Oratoire, & des Jacobins. Celle de M. Falconet, infiniment précieuse par le nombre & par le choix des livres qu’elle renferme, mais plus encore par l’usage qu’il en sait faire, pourroit être mise au rang des bibliotheques publiques, puisqu’en effet les gens de lettres ont la liberté d’y aller faire les recherches dont ils ont besoin, & que souvent ils trouvent dans la conversation de M. Falconet, des lumieres qu’ils chercheroient vainement dans ses livres.

Celle de M. de Boze est peut-être la plus riche collection qui ait été faite de livres rares & précieux dans les différentes langues : elle est encore recommandable par la beauté & la bonté des éditions, ainsi que par la propreté des reliures. Si cette attention est un luxe de l’esprit, c’en est un au moins qui fait autant d’honneur au goût du propriétaire, que de plaisir aux yeux du spectateur.

Après avoir parlé des principales bibliotheques connues dans le monde, nous finirons par celle du Roi, la plus riche & la plus magnifique qui ait jamais existé. L’origine en est assez obscure : formée d’abord d’un nombre peu considérable de volumes, il n’est pas aisé de déterminer auquel de nos rois elle doit sa fondation. Ce n’est qu’après une longue suite d’années & diverses révolutions, qu’elle est enfin parvenue à ce degré de magnificence & à cette espece d’immensité, qui éterniseront à jamais l’amour du Roi pour les Lettres, & la protection que ses ministres leur ont accordée.

Quand on supposeroit qu’avant le xiv. siecle les livres de nos rois ont été en assez grand nombre pour mériter le nom de bibliotheques, il n’en seroit pas moins vrai que ces bibliotheques ne subsistoient que pendant la vie de ces princes : ils en disposoient à leur gré ; & presque toûjours dissipées à leur mort, il n’en passoit guere à leurs successeurs, que ce qui avoit été à l’usage de leur chapelle. S. Loüis qui en avoit rassemble une assez nombreuse, ne la laissa point à ses enfans ; il en fit quatre portions égales, non compris les livres de sa chapelle, & la légua aux Jacobins & aux Cordeliers de Paris, à l’abbaye de Royaumont, & aux Jacobins de Compiegne. Philippe le Bel & ses trois fils en firent de même ; ce n’est donc qu’aux regnes suivans que l’on peut rapporter l’établissement d’une bibliotheque royale, fixe, permanente, destinée à l’usage du public, en un mot comme inaliénable, & comme une des plus précieuses portions des meubles de la couronne. Charles V. dont les thrésors littéraires consistoient en un fort petit nombre de livres qu’avoit eu le roi Jean, son prédecesseur, est celui à qui l’on croit devoir les premiers fondemens de la bibliotheque royale d’aujourd’hui. Il étoit savant ; son goût pour la lecture lui fit chercher tous les moyens d’acquérir des livres, aussi sa bibliotheque fut-elle considérablement augmentée en peu de tems. Ce prince toûjours attentif au progrès des Lettres, ne se contenta pas d’avoir rassemblé des livres pour sa propre instruction ; il voulut que ses sujets en profitassent, & logea sa bibliotheque dans une des tours du Louvre, qui pour cette raison fut appellée la tour de la librairie. Afin que l’on pût y travailler à toute heure, il ordonna qu’on pendît à la voute trente petits chandeliers & une lampe d’argent. Cette bibliotheque étoit composée d’environ 910 volumes, nombre remarquable dans un tems où les Lettres n’avoient fait encore que de médiocres progrès en France, & où par conséquent les livres devoient être assez rares.

Ce prince tiroit quelquefois des livres de sa bibliotheque

du Louvre, & les faisoit porter dans ses différentes maisons royales. Charles VI. son fils, & son successeur, tira aussi de sa bibliotheque plusieurs livres qui n’y rentrerent plus : mais ces pertes furent réparées par les acquisitions qu’il faisoit de tems en tems. Cette bibliotheque resta à peu près dans le même état jusqu’au regne de Charles VII. que par une suite des malheurs dont le royaume fut accablé, elle fut totalement dissipée, du moins n’en parut-il de long-tems aucun vestige.

Louis XI. dont le regne fut plus tranquille, donna beaucoup d’attention au bien des lettres ; il eut soin de rassembler, autant qu’il le put, les débris de la librairie du Louvre ; il s’en forma une bibliotheque qu’il augmenta depuis des livres de Charles de France, son frere, & selon toute apparence de ceux des ducs de Bourgogne, dont il réunit le duché à la couronne.

Charles VIII. sans être savant eut du goût pour les livres ; il en ajoûta beaucoup à ceux que son pere avoit rassemblés, & singulierement une grande partie de la bibliotheque de Naples, qu’il fit apporter en France après sa conquête. On distingue encore aujourd’hui, parmi les livres de la bibliotheque du Roi, ceux des rois de Naples & des seigneurs Napolitains par les armoiries, les souscriptions, les signatures ou quelques autres marques.

Tandis que Louis XI. & Charles VIII. rassembloient ainsi le plus de livres qu’il leur étoit possible, les deux princes de la maison d’Orléans, Charles, & Jean comte d’Angoulème, son frere, revenus d’Angleterre après plus de 25 ans de prison, jetterent, le premier à Blois, & le second à Angoulème, les fondemens de deux bibliotheques, qui devinrent bien-tôt royales, & qui firent oublier la perte qu’on avoit faite, par la dispersion des livres de la tour du Louvre, dont on croit que la plus grande partie avoit été enlevée par le duc de Betfort. Charles en racheta en Angleterre environ soixante volumes, qui furent apportés au château de Blois, & réunis à ceux qui y étoient déjà en assez grand nombre.

Louis XII. fils de Charles, duc d’Orléans, étant parvenu à la couronne, y réunit la bibliotheque de Blois, au milieu de laquelle il avoit été, pour ainsi dire, élevé ; & c’est peut-être par cette considération qu’il ne voulut pas qu’elle changeât de lieu. Il y fit transporter les livres de ses deux prédécesseurs Louis XI. & Charles VIII. & pendant tout le cours de son regne il s’appliqua à augmenter ce thrésor, qui devint encore bien plus considérable lorsqu’il y eut fait entrer la bibliotheque que les Viscomti & les Sforce, ducs de Milan, avoient établie à Pavie, & en outre les livres qui avoient appartenu au célebre Petrarque. Rien n’est au-dessus des éloges que les écrivains de ce tems-là font de la bibliotheque de Blois ; elle étoit l’admiration non-seulement de la France, mais encore de l’Italie.

François premier, après avoir augmenté la bibliotheque de Blois, la réunit en 1544 à celle qu’il avoit commencé d’établir au château de Fontainebleau plusieurs années auparavant : une augmentation si considérable donna un grand lustre à la bibliotheque de Fontainebleau, qui étoit déjà par elle-même assez riche. François premier avoit fait acheter en Italie beaucoup de manuscrits Grecs par Jérome Fondule, homme de lettres, en grande réputation dans ce tems-là ; il en fit encore acheter depuis par ses ambassadeurs à Rome & à Venise. Ces ministres s’acquiterent de leur commission avec beaucoup de soin & d’intelligence ; cependant ces différentes acquisitions ne formoient pas qu-delà de 400 volumes, avec une quarantaine de manuscrits orientaux. On peut juger delà combien les livres étoient encore peu communs alors, puisqu’un prince qui les recherchoit avec tant d’empressement, qui n’épargnoit aucune dépense, &