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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/345

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La nomenclature des plantes n’est donc pas nécessaire pour la découverte de leurs propriétés ; cela est si vrai qu’il seroit ridicule de l’avoir mis en question, s’il n’étoit prouvé par l’état présent de la Botanique & par l’expérience du passé, que l’on s’est appliqué à la nomenclature par préférence aux autres parties de cette science. On fait plus d’observations & on tente plus de combinaisons pour parvenir à réduire la nomenclature des plantes en système, qu’il ne faudroit peut-être faire d’expériences & acquérir de faits pour découvrir quantité de nouvelles propriétés utiles dans ces mêmes plantes. Ce défaut de conduite dans l’étude de la Botanique, est un obstacle à l’avancement de cette science, parce qu’il nous éloigne de son principal objet. Il est même à craindre que si on continuoit à marcher dans cette fausse route, on ne vînt à le perdre de vûe. Pour s’en convaincre il faut examiner quelle est l’utilité que l’on a retirée de la nomenclature des plantes, poussée au point de perfection que les Botanistes se sont efforcés de lui donner ; à quoi cette nomenclature peut servir dans la Botanique ; & à quoi elle peut nuire, en supposant que cette connoissance soit réduite en système constant & même infaillible.

On est parvenu, par le moyen de la nomenclature, à distinguer environ vingt mille especes de plantes, selon l’estime des Botanistes, en comptant toutes celles qui ont été observées tant dans le nouveau monde, que dans l’ancien. S’il y avoit eu un plus grand nombre d’observateurs, & s’ils avoient parcouru toute la terre, ils auroient doublé ou triplé le nombre des especes de plantes ; ils en auroient peut-être trouvé cent mille & plus, conformément aux principes de leur calcul. Mais quel cas doit-on faire de ce calcul ? le résultat n’est pas le même pour tous les observateurs ; chacun compte à sa mode ; les uns multiplient sans nécessité, en séparant sous différentes especes des individus qui sont semblables ; les autres mêlent ensemble des individus différens, & diminuent par cette confusion le nombre des especes. On n’a donc pû convenir jusqu’ici d’un principe certain pour constater ce nombre : cependant on y a employé beaucoup d’art, on n’a épargné ni soins ni fatigues, mais toûjours infructueusement. Il ne faut pas en être surpris, car il est aisé de remonter à la source de cette erreur. On a voulu faire une science de la nomenclature des plantes, tandis que ce ne peut être qu’un art, & seulement un art de mémoire.

Il s’agissoit d’imaginer un moyen de se retracer, sans confusion, l’idée & le nom de chaque plante que l’on auroit vû réellement existante dans la nature, ou décrite & figurée dans les livres. Il y a cent façons différentes de parvenir à ce but : dès qu’on a bien vû un objet & qu’on se l’est rendu familier, on le reconnoît toûjours, on le nomme, & on le distingue de tout autre, avec une facilité qui ne doit surprendre que ceux qui ne sont pas dans l’habitude d’exercer leurs yeux ni leur mémoire. Il est vrai que le nombre des plantes étant, pour ainsi dire, excessif, le moyen de les nommer & de les distinguer toutes les unes des autres, en étoit d’autant plus difficile à trouver ; c’étoit un art qu’il falloit inventer ; art, qui auroit été d’autant plus ingénieux, qu’il auroit été plus facile à être retenu de mémoire. Par cet art une fois établi, on auroit pû se rappeller le nom d’une plante que l’on voyoit, ou se rappeller l’idée de celle dont on savoit le nom ; mais toûjours en supposant dans l’un & l’autre cas, que la plante même fût bien connue de celui qui auroit employé cet art de nomenclature ; car la nomenclature ne peut être constante que pour les choses dont la connoissance n’est point équivoque.

La connoissance en genéral est absolument indé-

pendante du nom. Pour le prouver, examinons ce

que doit faire un homme qui veut connoître une plante qu’il voit pour la premiere fois, & dont il ne sait pas le nom. S’il commence par s’informer du nom de cette plante il n’en tirera aucune lumiere, parce que le nom d’une chose que l’on ne connoît pas, n’en peut rappeller aucune idée. Il faudra donc qu’il observe la plante, qu’il l’examine, & qu’il s’en forme une idée distincte ; il y parviendra en la voyant, & s’il expose, s’il décrit tout ce qu’il aura vû, il communiquera aux autres la connoissance qu’il aura acquise. Alors le nom servira de signe pour lui rappeller l’idée de cette plante à lui-même & à ceux qui auront lû la description : mais il est impossible qu’un nom tienne jamais lieu de description ; ce signe peut rappeller l’idée d’une chose connue, mais il ne peut pas donner l’idée d’une chose inconnue.

Cependant on a fait des tentatives infinies pour parvenir à étendre les noms des plantes, à les compliquer & les combiner, de façon qu’ils pûssent donner une idée distincte des plantes, sans qu’il fût nécessaire de les avoir vûes, ou d’en avoir lû la description entiere. Ce projet ne tendoit à rien moins qu’à former une science de la nomenclature des plantes, s’il eût réussi : mais on a échoüé dans l’exécution autant de fois qu’on l’a entreprise, parce que les descriptions ne peuvent pas être réduites en nomenclature, & que par conséquent les noms ni les phrases ne peuvent pas être équivalens aux descriptions.

Les nomenclateurs ont entrevû la vérité de cette objection, & pour surmonter cette difficulté, ils ont joint au nom une petite partie de la description. C’est ce composé qu’ils appellent phrase. Ils ont tâché d’y faire entrer les caracteres spécifiques : mais comme ils n’ont pû comprendre dans ces phrases, c’est-à-dire dans les noms des especes, qu’une partie de la description qui ne pouvoit pas donner une idée de la plante, ils ont prétendu suppléer à ce défaut, en attribuant au nom générique une autre partie de la description. Ces deux parties étant désignées par les noms du genre & la phrase de l’espece, étant encore trop imparfaites pour faire reconnoître la plante, ils ont compris dans l’énoncé de l’ordre & de la classe d’autres parties de la description : mais quelqu’art qu’ils ayent employé pour combiner toutes ces partitions, ils n’ont pû parvenir à donner une idée distincte de la plante, parce qu’ils n’ont pas rapporté la description en entier.

Cette description complette est absolument nécessaire pour caractériser une plante, de façon qu’on la puisse distinguer de toute autre plante : c’est une loi constante pour tous les objets de l’histoire naturelle, & principalement pour ceux qui sont aussi nombreux que les plantes. Cependant on a tâché d’éluder cette difficulté insurmontable dans la nomenclature, en se persuadant que l’on trouveroit dans les plantes, des parties dont la description pourroit suppléer à la description de la plante entiere, & que ces parties seroient assez constantes pour ne manquer à aucune plante, assez variées pour fournir des caracteres à chaque espece, & assez évidentes pour être facilement reconnues. Ç’a été par le moyen de ces attributs imaginaires, que l’on a prétendu réduire la nomenclature en système, en méthode, en distribution méthodique ; & si l’on en croit les plus enthousiastes des nomenclateurs, ce système est le système de la nature ; cependant la nature dément à chaque instant de pareils systèmes. Il n’y a dans les plantes aucunes parties qui se manifestent dans toutes les especes : les fleurs & les semences, qui paroissent être les parties les plus essentielles, & par conséquent les plus constantes, ne sont pas reconnoissables dans plusieurs especes. C’est pourtant sur les parties de la fructification, que les systèmes les plus vantés sont établis.