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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/347

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nique dans la seconde partie, qui est la culture des plantes. Il ne dépend pas toûjours de nous de découvrir leurs propriétés ; nous ne pouvons jamais les modifier à notre gré : mais il est en notre pouvoir de multiplier le nombre des plantes utiles, & par conséquent d’accroitre la source de nos biens, & de la rendre intarissable par nos soins. Les anciens nous en ont donné l’exemple : au lieu de passer tout leur tems & d’employer tous leurs soins à des recherches vaines sur les caracteres distinctifs du froment, du seigle, de l’orge, du riz, de l’avoine, du millet, du panic, du chiendent, & des nombreuses suites d’especes que l’on prétend rapporter à chacun de ces genres, ils se sont uniquement appliqués à cultiver celles de toutes ces plantes dont ils connoissoient l’utilité. Ils sont parvenus, à force de travail & de constance, à les rendre assez abondantes pour fournir aux besoins des hommes & des animaux domestiques. C’est en perfectionnant l’art de la culture des plantes, qu’ils ont trouvé le moyen de les distribuer sur la surface de la terre dans l’ordre le plus convenable à leur multiplication & à leur accroissement. On a semé les terres qui pouvoient produire d’abondantes moissons ; on a planté des vignobles dans les lieux propres à la maturité du raisin ; on a fait des pâturages ; on a élevé des forêts, &c. enfin on a su aider la nature, en rassemblant les plantes utiles dans les lieux les plus convenables, & en écartant de ces mêmes lieux, autant qu’il étoit possible, toutes les plantes inutiles. Voilà l’ordre le plus nécessaire, & l’arrangement le plus sage que l’on puisse mettre dans la division des plantes : aussi ç’a été le premier que les hommes ayent senti & recherché pour leur propre utilité. Voyez Agriculture.

La connoissance de la nature du terrein & de la température du climat, est le premier principe de l’Agriculture. C’est de l’intelligence de ce principe, & du détail de ses conséquences, que dépend le succès de toutes les pratiques qui sont en usage pour la culture des plantes. Cependant on n’est guidé que par des expériences grossieres, pour reconnoître les différens terreins. Les gens de la campagne ont sur ce sujet une sorte de tradition, qu’ils ont reçûe de leurs peres, & qu’ils transmettent à leurs enfans. Ils supposent chacun dans leur canton, sans aucune connoissance de cause, du moins sans aucune connoissance précise, que tel ou tel terrein convient ou ne convient pas à telle ou telle plante. Ces préjugés bien ou mal fondés, passent sans aucun examen ; on ne pense seulement pas à les vérifier : l’objet est cependant assez important pour occuper les meilleurs Physiciens. N’aurons-nous jamais des systèmes raisonnés, des distributions méthodiques des terreins, des climats, relativement à leurs productions ; je veux dire, de ces systèmes fondés sur l’expérience ?

La convenance du climat est moins équivoque que celle du terrein, parce qu’on la détermine aisément par la maturité des fruits, ou par les effets de la gelée : mais on n’a pas assez observé combien cette convenance de température a de fréquentes vicissitudes dans un même lieu. Les deux principales causes de ces changemens sont les coupes des forêts, ou seulement des arbres épars, ce qui diminue la quantité des brouillards ; & l’élévation des vallons, ou seulement des bords des rivieres & des ruisseaux, ce qui desseche le terrein & rend les inondations moins fréquentes. On conçoit aisément quels changemens ces deux causes peuvent occasionner dans la température du climat par rapport aux plantes. Il seroit trop long de suivre ce sujet dans les détails. Je me contenterai de faire observer que l’on ne doit pas renoncer à cultiver telle plante dans tel lieu, parce qu’elle n’y a pas réussi pendant quelque tems. On ne doit pas craindre de multiplier les expériences en Agriculture ; le moin-

dre succès dédommage abondamment de toutes les

tentatives inutiles.

On peut distinguer deux principaux objets dans la culture des plantes. Le premier est de les multiplier, & de leur faire prendre le plus d’accroissement qu’il est possible. Le second est de perfectionner leur nature, & de changer leur qualité.

Le premier a dû être apperçû dès qu’il y a eu des hommes qui ont vécu en nombreuse société. Les essais que l’on aura faits dans ces premiers tems, étoient sans doute fort grossiers : mais ils étoient si nécessaires, qu’on a lieu d’être surpris qu’ils n’ayent pas été suivis jusqu’à présent de plus de progrès. Nous ne savons pas combien de moyens différens ont été employés pour labourer la terre depuis que les hommes existent : mais nous ne pouvons pas douter que ceux que nous employons ne puissent encore devenir meilleurs, & même qu’il n’y en ait d’autres à trouver qui vaudroient bien mieux. Cependant la charrue est toûjours la même depuis plusieurs siecles, tandis que les modes de nos ameublemens & de nos équipages changent en peu d’années, & que nous sommes parvenus à cet égard à un point de commodité qui ne nous laisse presque rien à desirer. Que l’on compare une charrue à une chaise de poste, on verra que l’une est une machine grossiere abandonnée à des mains qui le sont encore plus ; l’autre au contraire est un chef-d’œuvre auquel tous les Arts ont concouru. Notre charrue n’est pas meilleure que celle des Grecs & des Romains : mais il a fallu bien plus d’industrie & d’invention pour faire nos chaises de poste, qu’il n’y en a jamais eu dans les chars de triomphe d’Alexandre & d’Auguste. L’art de la culture des terres a été négligé, parce qu’il n’a été exercé que par les gens de la campagne ; les objets du luxe ont prévalu même en Agriculture ; nous sommes parvenus à faire des boulingrins aussi beaux que des tapis, & à élever des palissades de décoration. Enfin nous connoissons l’architecture des jardins, tandis que la méchanique du laboureur n’a presque fait aucuns progrès. Cependant les moyens de multiplier les plantes & de les faire croître, semblent être à la portée de tous les hommes ; & je ne doute pas qu’on ne pût arriver en peu de tems à un haut degré de perfection, si ceux qui sont capables d’instruire les autres, daignoient s’en occuper plus qu’ils ne le font.

Il paroît qu’il est plus difficile de produire des changemens dans la nature des plantes, & de leur donner de meilleurs qualités qu’elles n’en ont naturellement. On y est pourtant parvenu par le moyen de la greffe & de la taille des arbres. Cet art est connu depuis long-tems ; & il a, pour ainsi dire, survécu à la plûpart de ses effets. Nous savons des anciens qu’ils avoient le secret de tirer des semences du pommier & du poirier sauvages des fruits délicieux. Ces fruits ne sont pas venus jusqu’à nous : mais nous avons sû faire des pommes & des poires, que nous ne changerions pas pour celles des Romains ; parce que nous avons semé, greffé, & taillé les arbres aussi bien qu’eux. Cet art précieux est inépuisable dans ses productions. Combien ne nous reste-t-il pas d’expériences à faire, dont il peut résulter de nouveaux fruits qui seroient peut-être encore meilleurs que ceux que nous avons déjà trouvés ? Ce que nous avons fait pour les arbres & les arbrisseaux ne peut-il pas aussi se faire pour les autres plantes, sur-tout depuis que nous croyons savoir comment s’opere leur génération, en substituant aux poussieres fécondantes d’une plante, des poussieres d’une autre espece ? n’y auroit-il pas lieu d’espérer qu’elles produiroient dans le pistil de nouveaux germes, dont nous pourrions tirer des sortes de mulets, comme nous en avons dans les animaux ; & que ces mulets de plantes auroient de nouvelles propriétés, dont nous pourrions