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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 2.djvu/409

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après qu’on a fait le premier remplissage, on en fait un second, mais sans purer les bacquets. Les bacquets ne se purent qu’une fois ; après deux autres heures, on fait un troisieme remplissage : au bout d’une heure le quatrieme, & à peu près à même distance de tems, le cinquieme & dernier.

Tous ces différens remplissages faits, on laisse la bierre tranquille sur les chantiers ; & ce n’est que vingt-quatre heures après le dernier remplissage qu’elle peut être bondonnée. Si on se hâtoit de bondonner, la fermentation n’étant pas achevée, on exposeroit les pieces à s’entrouvrir en quelqu’endroit.

Voilà donc la bierre faite, & en état d’être mise en cave : mais si l’on est pressé d’en faire usage, & que l’on n’ait pas le tems de la laisser éclaircir naturellement, ce qui ne s’éxécute pas trop promptement, on y remédie en la collant.

De la colle. On colle la bierre, ainsi que le vin, avec de la colle de poisson qui se prépare de la maniere suivante : prenez la colle de poisson, battez-la avec un marteau, afin de pouvoir la déchiqueter plus facilement ; mettez-la en pieces les plus petites qu’il est possible ; faites-la tremper dans de l’eau pendant vingt-quatre ou trente heures ; renouvellez l’eau, sur-tout dans les tems chauds, pour prévenir la corruption : après que la colle aura trempé, retirez-la de l’eau ; maniez-la fortement jusqu’à ce qu’elle soit devenue comme de la pâte ; délayez-la ensuite dans de l’eau claire, & faites-en comme de l’orgeat très-épais : après cette premiere préparation elle ne tarde pas à prendre une autre forme, & à devenir, de lait qu’elle sembloit être, une gélée de viande très-forte, en versant dessus une quantité suffisante de vin blanc, ou de bierre très-vieille, & remuant bien le tout ensemble : plus on remue, plus on s’apperçoit que la gelée prend de consistance : quand elle en a suffisamment, on la laisse dans cet état jusqu’à ce qu’on veuille s’en servir.

Quand on veut éclaircir la bierre par le moyen de la colle, on prend de cette gelée dont on vient de parler ; on la délaye dans de l’eau ; on passe ce mêlange à travers un linge : il ne faut pas qu’il y ait trop d’eau ; si la colle étoit trop délayée, elle ne produiroit plus d’effet.. On prend environ une pinte de colle délayée & passée pour un demi-muid : quand on a versé la colle dans la piece, on y introduit un bâton de la longueur du bras ; on agite fortement la liqueur pendant environ une ou deux minutes, & on laisse le tonneau environ douze heures sans le reboucher ; cela fait avec soin, au bout de vingt-quatre heures on aura de la bierre très-claire.

Voilà tout ce qui concerne la maniere de brasser, & les instrumens du Brasseur. Un homme intelligent pourroit, sur cette description & sur l’inspection de nos planches, lever une brasserie, & faire de la bierre : il ne lui resteroit à apprendre que ce qu’on ne tient que de l’expérience, comme la chaleur de l’eau propre à jetter trempe, celle de la bierre pour être mise en levain, & autres circonstances pareilles. L’agrès d’une brasserie où l’on remarque particulierement de l’invention, c’est la cuve à deux fonds, que les Brasseurs appellent cuve matiere : si au lieu de faire enlever le fardeau de farine par des eaux qui le prennent en-dessous, on eût fait tomber les eaux dessus, ces eaux l’auroient pénetré, appesanti, lié, & il eût été presqu’impossible de le travailler, soit au fourquet, soit à la vague. Le faux-fond & la pompe à jetter trempe, sont une application très-ingénieuse & très-utile du principe d’action des fluides : un bon physicien n’auroit pas imaginé mieux que l’ouvrier à qui l’on doit cette invention, en vertu de laquelle la masse de farine est prise en-dessous, & portée toute entiere vers le haut de la cuve, d’où l’ouvrier n’a plus qu’à la précipiter vers le fond ; ce qui lui est infiniment

plus facile que d’avoir à l’élever du fond vers le haut de la cuve : d’ailleurs l’eau renfermée entre la farine & le fond, se conserve dans une chaleur presqu’égale, & la trempe en est d’autant meilleure. Les petits trous du faux fond, après avoir servi à l’exhaussement de la farine pour la vaguer, servent, après qu’elle est vaguée, à la filtration de l’eau chargée de son suc ; & il y a bien de l’apparence que la nécessité de cette filtration a fait d’abord imaginer le faux fond, & qu’on a passé de-là à la pompe à jetter trempe.

Les uns font venir le mot brasser de brace, espece de grain dont on faisoit la bierre : les autres de bras ou de ses composés, parce que la manœuvre la plus fatigante s’exécute à force de bras. Les brasseries sont fort anciennes à Paris ; & les Brasseurs avoient des statuts en 1268, sous S. Louis. Ceux auxquels ils sont soûmis se réduisent à un petit nombre d’articles.

1°. Il y est dit que nul ne brassera & ne charriera ou fera charrier bierre, les dimanches, les fêtes solemnelles & celles de Vierge.

2°. Que nul ne pourra lever brasserie sans avoir fait cinq ans d’apprentissage, & trois ans de compagnonage, avec chef-d’œuvre.

3°. Qu’il n’entrera dans la bierre que bons grains & houblons bien tenus & bien nettoyés, sans y mêler sarrasin, ivraie, &c. pour cet effet les houblons seront visités par les jurés, afin qu’ils ne soient employés échauffés, moisis, gâtés, mouillés, &c.

4°. Qu’il ne sera colporté par la ville aucune levure de bierre, mais qu’elle sera toute vendue dans la brasserie aux Boulangers & Pâtissiers, & non à d’autres.

5°. Que les levures de bierre apportées par les forains seront visitées par les jurés avant que d’être exposées en vente.

6°. Qu’aucun Brasseur ne pourra tenir dans la brasserie. bœuf, vache, porc, oison, canne, volaille, comme contraire à la netteté.

7°. Qu’il ne sera fait dans une brasserie qu’un brassin par jour, de quinze septiers de farine au plus. Je doute que cet article soit exécuté.

8°. Que les caques, barrils, & autres vaisseaux à contenir bierre, seront marqués de la marque du Brasseur, laquelle marque sera frappée en présence des jurés.

9°. Qu’aucun maître n’emportera des maisons qu’il fournit de bierre, que les vaisseaux qui lui appartiendront par convention.

10°. Que ceux qui vendent en détail seront soûmis à la visite des jurés.

11°. Que nul ne pourra s’associer dans le commerce d’autres qu’un maître du métier.

12°. Qu’aucun maître n’aura qu’un apprenti à la fois, & que cet apprenti ne pourra être transporté sans le consentement des jurés. Il y a exception à la premiere partie de cet article pour la derniere année : on peut avoir deux apprentis, dont l’un commence sa premiere année, & l’autre sa cinquieme.

13°. Que tout fils de maître pourra tenir ouvroir en faisant chef-d’œuvre.

14°. Que nul ne recevra pour compagnon celui qui aura quitté son maître, outre le gré de ce maître.

15°. Qu’une veuve pourra avoir serviteurs & faire brasser, mais non prendre apprentis.

16°. Que les maîtres ne se soustrairont ni ouvriers ni apprentis les uns aux autres.

17°. Qu’ils éliront trois maîtres pour être jurés & gardes, deux desquels se changeront de 2 en 2 ans.

18°. Que ces jurés & gardes auront droit de visite dans la ville, les faubourgs & la banlieue.

La bierre est sujette à des droits ; & pour que le Roi n’en soit pas frustré, le Brasseur est obligé à chaque brassin d’avertir le commis du jour & de l’heure