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en produisant un grand nombre de créatures. Comme la mort ne concourt point à la résurrection, & que les ténebres ne sont point le sujet sur lequel Dieu travaille pour en tirer la lumiere, le néant aussi ne coopere point avec Dieu, & n’est point la cause de l’être, ni la matiere sur laquelle Dieu a travaillé pour faire le monde. On combat donc ici un phantôme, & on change le sentiment des Chrétiens orthodoxes, afin de le tourner plus aisément en ridicule. 3.o Enfin il est vrai que rien ne se fait de rien ou par rien, c’est-à-dire sans une cause qui préexiste : il seroit, par exemple, impossible que le monde se fût fait de lui même ; il falloit une cause souverainement puissante pour le produire.

L’axiome rien ne se fait de rien, est donc vrai dans ces trois sens.

II. Principe. Il n’y a donc point de substance qui ait été tirée du néant.

III. Principe. Donc la matiere même n’a pû sortir du néant.

IV. Principe. La matiere, à cause de sa nature vile, ne doit point son origine à elle-même ; la raison qu’en donne Irira, est que la matiere n’a point de forme, & qu’elle n’est éloignée du néant que d’un degré.

V. Principe. De-là il s’ensuit que dans la nature, il n’y a point de matiere proprement dite.

La raison philosophique que les Cabalistes donnent de ce principe, est que l’intention de la cause efficiente est de faire un ouvrage qui lui soit semblable ; or la cause premiere & efficiente étant une substance spirituelle, il convenoit que ses productions fussent aussi des substances spirituelles, parce qu’elles ressemblent plus à leur cause, que les substances corporelles. Les Cabalistes insistent beaucoup sur cette raison ; suivant eux il vaudroit autant dire que Dieu a produit les ténebres, le péché, & la mort, que de soûtenir que Dieu a créé des substances sensibles & matérielles, différentes de sa nature & de son essence : car la matiere n’est qu’une privation de la spiritualité, comme les ténebres sont une privation de la lumiere, comme le péché est une privation de la sainteté, & la mort une privation de la vie.

VI. Principe. De-là il s’ensuit que tout ce qui est, est esprit.

VII. Principe. Cet esprit est incréé, éternel, intellectuel, sensible, ayant en soi le principe du mouvement, immense, indépendant, & nécessairement existant.

VIII. Principe. Par conséquent cet esprit est l’Ensoph ou le Dieu infini.

IX. Principe. Il est donc nécessaire que tout ce qui existe soit émané de cet esprit infini. Les Cabalistes n’admettant point la création telle que les Chrétiens l’admettent, il ne leur restoit que deux partis à prendre : l’un de soûtenir que le monde avoit été formé d’une matiere préexistante ; l’autre de dire qu’il étoit sorti de Dieu même par voie d’émanation. Ils n’ont osé embrasser le premier sentiment, parce qu’ils auroient crû admettre hors de Dieu une cause matérielle, ce qui étoit contraire à leurs dogmes ; ils ont donc été forcés d’admettre les émanations, dogme qu’ils ont reçû des Orientaux qui l’avoient eux-mêmes reçû de Zoroastre, comme on peut le voir dans les livres cabalistiques.

X. Principe. Plus les choses qui émanent sont proches de leur source, plus elles sont grandes & divines ; & plus elles en sont éloignées, plus leur nature se dégrade & s’avilit.

XI. Principe. Le monde est distingué de Dieu comme un effet de sa cause, non pas à la vérité comme un effet passager, mais comme un effet permanent. Le monde étant émané de Dieu, doit donc être regardé comme Dieu même, qui étant caché & incompréhensible dans son essence, a voulu se manifester, & se rendre visible par ses émanations.

Voilà les fondemens sur lesquels est appuyé tout l’édifice de la Cabale ; il nous reste encore à faire voir comment les Cabalistes tirent de ces principes quelques autres dogmes de leur système, tels que ceux d’Adam Kadmon, des dix séphirots, des quatre mondes, des anges, &c.

Explication des Séphirots ou des Splendeurs. Les séphirots font la partie la plus secrete de la Cabale. On ne parvient à la connoissance de ces émanations & splendeurs divines, qu’avec beaucoup d’étude & de travail : nous ne nous piquons pas de pénétrer jusqu’au fond de ces mysteres ; la diversité des interprétations qu’on leur donne, est presque infinie.

Losius (Pomum Aristot. dissert. II. de Cabb. cap. ij.) remarque que les interpretes y trouvent toutes les sciences dont ils font profession : les Logiciens y découvrent leurs dix prédicamens : les Astronomes dix spheres : les Astrologues des influences différentes : les Physiciens s’imaginent qu’on y a caché les principes de toutes choses : les Arithméticiens y voyent les nombres, & particulierement celui de dix, lequel renferme des mysteres infinis.

Il y a dix séphirots ; on les représente quelquefois sous la figure d’un arbre, parce que les uns sont comme la racine & le tronc, & les autres comme autant de branches qui en sortent. On les range souvent en dix cercles différens, parce qu’ils sont enfermés les unes dans les autres : ces dix séphirots sont la couronne, la sagesse, l’intelligence, la force ou la sévérité, la miséricorde ou la magnificence, la beauté, la victoire ou l’éternité, la gloire, le fondement, & le royaume.

Quelques-uns soutiennent que les splendeurs (c’est le nom que nous leur donnerons dans la suite) ne sont que des nombres : mais, selon la pluspart, ce sont les perfections & les attributs de la divinité. Il ne faut pas s’imaginer que l’essence divine soit composée de ces perfections, comme d’autant de parties différentes ; ce seroit une erreur : l’essence de Dieu est simple ; mais afin de se former une idée plus nette de la maniere dont cette essence agit, il faut distinguer ses attributs, considérer sa justice, sa miséricorde, sa sagesse. Il semble que les Cabalistes n’ayent pas d’autre vûe, que de conduire leurs disciples à la connoissance des perfections divines, & de leur faire voir que c’est de l’assemblage de ces perfections que dépend la création & la conduite de l’univers ; qu’elles ont une liaison inséparable, que l’une tempere l’autre. C’est pourquoi ils imaginent des canaux, par lesquels les influences d’une splendeur se communiquent aux autres. « Le monde, disoit Siméon Jochaïdes (in Jezirah, cum not. Bittangel, pag. 185. & 186.) ne pouvoit pas être conduit par la miséricorde seule, & par la colonne de la grace : c’est pourquoi Dieu a été obligé d’y ajoûter la colonne de la force ou de la sévérité, qui fait le jugement. Il étoit encore nécessaire de concilier les deux colonnes, & de mettre toutes choses dans une proportion & dans un ordre naturel ; c’est pourquoi on met au milieu la colonne de la beauté, qui accorde la justice avec la miséricorde, & met l’ordre sans lequel il est impossible que l’univers subsiste. De la miséricorde qui pardonne les péchés, sort un canal qui va à la victoire ou à l’éternité » ; parce que c’est par le moyen de cette vertu qu’on parvient au triomphe ou à l’éternité. Enfin les canaux qui sortent de la miséricorde & de la force, & qui vont aboutir à la beauté, sont chargés d’un grand nombre d’anges. Il y en a trente-cinq sur le canal de la miséricorde qui récompensent & qui couronnent la vertu des saints, & on en compte un pareil nombre sur le canal de la force, qui châtient les pécheurs ; & ce nombre de soixante & dix anges, auxquels on donne des noms différens, est tiré du xiv.