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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/209

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d’y entrer, sur-tout le lendemain d’un dimanche ou d’une fête, parce que la matiere a eu le tems de s’amasser pendant qu’il n’y avoit aucune commotion dans l’air : c’est pour cela qu’avant que d’entrer dans la mine, ils y font descendre un homme vêtu de toile cirée ou de linge mouillé ; il tient une longue perche fendue à l’extrémité, à laquelle est attachée une chandelle allumée ; cet homme se met ventre à terre, & dans cette posture il s’avance & approche sa lumiere de l’endroit d’où part la vapeur ; elle s’enflamme sur le champ avec un bruit effroyable qui ressemble à celui d’une forte décharge d’artillerie ou d’un violent coup de tonnerre, & va sortir par un des puits. Cette opération purifie l’air, & l’on peut ensuite descendre sans crainte dans la mine : il est très-rare qu’il arrive malheur à l’ouvrier qui a allumé la vapeur, pourvû qu’il se tienne étroitement collé contre terre ; parce que toute la violence de l’action de ce tonnerre soûterrain se déploye contre le toict de la mine, ou la partie supérieure des galeries. Voilà, suivant M. Triewald, comment en Angleterre & en Ecosse on se garantit de cette vapeur surprenante. Dans d’autres endroits, les ouvriers en préviennent les effets dangereux d’une autre maniere : ils ont l’œil à ces fils blancs qu’ils entendent & qu’ils voyent sortir des fentes, ils les saisissent avant qu’ils puissent s’allumer à leurs lampes, & les écrasent entre leurs mains ; lorsqu’ils sont en trop grande quantité, ils éteignent la lumiere qui les éclaire, se jettent ventre à terre, & par leurs cris avertissent leurs camarades d’en faire autant : alors la matiere enflammée passe par-dessus leur dos, & ne fait de mal qu’à ceux qui n’ont pas eu la même précaution ; ceux-là sont exposés à être ou tués ou brûlés. On entend cette matiere sortir avec bruit, & mugir dans les morceaux de charbon même à l’air libre, & après qu’ils ont été tirés hors de la mine : mais alors on n’en doit plus rien craindre.

Les transactions philosophiques, n°. 318. nous fournissent un exemple des effets terribles, causés en 1708 par une vapeur inflammable de la nature de celle dont nous parlons. Un homme appartenant aux mines de charbon, s’étant imprudemment approché avec sa lumiere de l’ouverture d’un des puits pendant que cette vapeur en sortoit, elle s’enflamma sur le champ ; il se fit par trois ouvertures différentes une irruption de feu, accompagnée d’un bruit effroyable : il périt soixante-neuf personnes dans cette occasion. Deux hommes & une femme qui étoient au fond d’un puits de cinquante-sept brasses de profondeur, furent poussés dehors & jettés à une distance considérable ; & la secousse de la terre fut si violente, que l’on trouva un grand nombre de poissons morts qui flottoient à la surface des eaux d’un petit ruisseau, qui étoit à quelque distance de l’ouverture de la mine.

Nous trouvons encore dans les mêmes transactions, n°. 429. la relation de plusieurs phénomenes singuliers, opérés par une vapeur inflammable sortie d’une mine de charbon. Le chevalier J. Lowther fit ouvrir un puits pour parvenir à une veine de charbon minéral : quand on eut creusé jusqu’à quarante-deux brasses de profondeur, on arriva sur un lit de pierre noire qui avoit un demi-pié d’épaisseur, & qui étoit rempli de petites crevasses dont les bords étoient garnis de soufre. Quand les ouvriers commencerent a percer ce lit de pierre, il en sortit beaucoup moins d’eau qu’on n’avoit lieu de s’y attendre ; mais il s’échappa une grande quantité d’air infect & corrompu, qui passa en bouillonnant au-travers de l’eau qui s’étoit amassée au fond du puits qu’on creusoit : cet air fit un bruit & un sifflement qui surprit les ouvriers ; ils y présenterent une lumiere qui alluma sur le champ la vapeur, & produisit une flamme très-considérable

qui brûla pendant long-tems à la surface

de l’eau. On éteignit la flamme, & le chevalier Lowther fit remplir une vessie de bœuf de la vapeur, qu’il envoya à la société royale : on adapta un petit tuyau de pipe à l’ouverture de la vessie ; & en la pressant doucement pour faire passer la vapeur au-travers de la flamme d’une bougie, elle s’enflamma sur le champ comme auroit fait l’esprit-de-vin, & continua à brûler tant qu’il resta de l’air dans la vessie. Cette expérience réussit, quoique la vapeur eût déjà séjourné pendant un mois dans la vessie. M. Maud, de la société royale de Londres, produisit par art une vapeur parfaitement semblable à la précédente, & qui présenta les mêmes phénomenes. Il mêla deux dragmes d’huile de vitriol avec huit dragmes d’eau commune ; il mit ce mêlange dans un matras à long cou, & y jetta deux dragmes de limaille de fer : il se fit sur le champ une effervescence très-considérable, & le mêlange répandit des vapeurs très-abondantes qui furent reçues dans une vessie, dont elles remplirent très-promptement la capacité. Cette vapeur s’enflamma, comme la précédente, à la flamme d’une bougie. Cette expérience est, suivant le mémoire dont nous l’avons tirée, très propre à nous faire connoître les causes des tremblemens de terre, des volcans, & autres embrasemens soûterrains. Voyez les transactions philosophiques, n°. 442. pag. 282.

Par tout ce qui vient d’être dit, on voit de quelle importance il est de faire ensorte que l’air soit renouvellé, & puisse avoir un libre cours dans les soûterrains des mines de charbon de terre. De tous les moyens qu’on a imaginés pour produire cet effet, il n’y en a point dont on se soit mieux trouvé que du ventilateur ou de la machine de M. Sutton : on en verra la description à l’article Machine à feu. On vient tout nouvellement, en 1752, d’en faire usage avec les plus grands succès, dans les mines de charbon de Balleroi en Normandie.

Ce que nous avons dit de la vapeur inflammable qui sort des mines de charbon, est très-propre à faire connoître pourquoi il arrive quelquefois qu’elles s’embrasent au point qu’il est très-difficile & même impossible de les éteindre : c’est ce qu’on peut voir en plusieurs endroits d’Angleterre, où il y a des mines de charbon qui brûlent depuis un très-grand nombre d’années. L’Allemagne en fournit encore un exemple très-remarquable, dans une mine qui est aux environs de Zwickau en Misnie ; elle prit feu au commencement du siecle passé, & depuis ce tems elle n’a point cessé de brûler : on remarquera cependant que ces embrasemens ne sont point toûjours causés par l’approche d’une flamme, ou par les lampes des ouvriers qui travaillent dans les mines. En effet, il y a des charbons de terre qui s’enflamment au bout d’un certain tems, lorsqu’on les a humectés. Urbanus Hioerne, savant Chimiste Suédois, parle d’un incendie arrivé à Stokholm ; il fut occasionné par des charbons de terre qui, après avoir été mouillés dans le vaisseau qui les avoit apportés, furent entassés dans un grenier, & penserent brûler la maison où on les avoit placés.

Si on se rappelle que nous avons dit dans le cours de cet article, qu’il se trouve toûjours de l’alun dans le voisinage du charbon minéral, on devinera aisément la raison de cette inflammation spontanée, à quoi nous joindrons ce que Henckel dit dans sa Pyrithologie. Ce savant naturaliste dit que « la mine d’alun, sur-tout celle qui doit son origine à du bois, & qui est mêlée à des matieres bitumineuses, telle que celle de Commodau en Bohême, s’allume à l’air lorsqu’elle y a été entassée & exposée pendant quelque tems ; & pour lors non-seulement il en part de la fumée, mais elle produit une véritable flam-