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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/223

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turels qu’on ait présent à l’esprit. Que le passage, que l’impulsion de la charité suggere au Chrétien, de la perception d’un motif naturel, présent à l’esprit dans l’instant de l’action, à un motif surnaturel subséquent, ne rend pas, à parler exactement, l’action bonne, mais la rend avantageuse pour l’avenir. Que dans les occasions où l’action est de nature à suivre immédiatement la présence du motif, & dans ceux où il n’y a pas même de motif bien présent, parce que l’urgence du cas ne permet point de réflexion, ou n’en permet qu’une, sçavoir qu’il faut sur le champ éviter ou faire ; ce qui se passe si rapidement dans notre ame, que le tems en étant, pour ainsi dire, un point indivisible, il n’y a proprement qu’un mouvement qu’on appelle premier : l’action ne devient cependant méritoire, pour le Chrétien même, que par un acte d’amour implicite ou explicite qui la rapporte à Dieu ; cette action fût-elle une de celles qui nous émeuvent si fortement, ou qui nous laissent si occupés ou si abattus, qu’il nous est très difficile de nous replier sur nous-mêmes, & de la sanctifier par un autre motif. Que pour s’assûrer tout l’avantage de ses bonnes actions, & leur donner tout le mérite possible, il y a des précautions que le Chrétien ne négligera point ; comme de perfectionner par des actes d’amour anticipés, ses pensées subséquentes ; & de demander à Dieu par la priere de suppléer ce qui manquera à ses actions, dans les occasions où le motif naturel pourra prévenir le motif surnaturel, & où celui-ci pourra même ne pas succéder. Qu’il suffit à la perfection d’une action, qu’elle ait été faite par une habitude d’amour virtuel, telle que l’habitude d’amour que nous portons à nos parens, quand ils nous sont chers, quoique la nature de ces habitudes soit fort différente. Que cette habitude supplée sans cesse aux actes d’amour particuliers ; qu’elle est, pour ainsi dire, un acte d’amour continuel par lequel les actions sont rapportées à Dieu implicitement. Que la vie dans cette habitude est une vie d’amour & de charité. Que cette habitude n’a pas la même force & la même énergie dans tous les bons Chrétiens, ni en tout tems dans un même Chrétien ; qu’il faut s’occuper sans cesse à la fortifier par les bonnes œuvres, la fréquentation des sacremens, & les actes d’amour explicites ; que nous mourrons certainement pour la plûpart, & peut-être tous, sans qu’elle ait été aussi grande qu’il étoit possible, l’homme le plus juste ayant toûjours quelque reproche à se faire. Que Dieu ne devant remplir toutes nos facultés que quand il se sera communiqué intimement à elles, nous n’aurons le bonheur de l’aimer selon toute la plénitude & l’étendue de nos facultés, que dans la seconde vie ; & que ce sera dans le sein de Dieu que se fera la consommation de la charité du Chrétien, & du bonheur de l’homme.

Charité se prend encore, 1° pour l’amour que Dieu a porté de tout tems à l’homme ; 2° pour l’effet d’une commisération, soit chrétienne, soit morale, par laquelle nous secourons notre prochain de notre bien, de nos conseils, &c. La charité des conseils est la plus commune, il faut un peu s’en méfier ; elle ne coûte rien, & ce peut être aisément un des masques de l’amour propre. Hors de la Théologie, notre terme charité n’a presque point d’idées communes avec le charitas des Latins, qui signifie la tendresse qui doit unir les peres & les enfans.

Charité, (Hist. ecclés.) est aussi le nom de quelques ordres religieux. Le plus connu & le plus répandu est celui des freres de la Charite, institué par S. Jean-de-Dieu pour le service des malades. Leon X. l’approuva comme une simple société en 1520 ; Pie V. lui accorda quelques priviléges ; & Paul IV. le confirma en 1617 en qualité d’ordre religieux : dans le-

quel, outre les vœux d’obéissance, de pauvreté & de

chasteté, on fait celui de s’employer au service des pauvres malades. Ces Religieux si utiles ne font point d’études, & n’entrent point dans les ordres sacrés. S’il se trouve parmi eux quelque prêtre, il ne peut jamais parvenir à aucune dignité de l’ordre. Le bienheureux Jean-de-Dieu leur fondateur, alloit tous les jours à la quête pour les malades, criant à haute voix : faites bien, mes freres, pour l’amour de Dieu : c’est pourquoi le nom de fate ben fratelli est demeuré à ces religieux dans l’Italie. (G)

Charité de la sainte Vierge, ordre religieux établi dans le diocese de Châlons-sur-Marne par Gui seigneur de Joinville, sur la fin du xiij. siecle. Cet institut fut approuvé sous la regle de S. Augustin par les papes Boniface VIII. & Clément VI. (G)

Charité, (sœurs de la) communauté de filles instituée par S. Vincent-de-Paul, pour assister les malades dans les hôpitaux, visiter les prisonniers, tenir les petites écoles pour les pauvres filles. Elles ne font que des vœux simples, & peuvent quitter la congrégation quand elles le jugent à propos. (G)

Charité, (dames de la) nom qu’on donne dans les paroisses de Paris à des assemblées de dames pieuses qui s’intéressent au soulagement des pauvres, & leur distribuent avec prudence les aumônes qu’elles font elles-mêmes, ou qu’elles recueillent. (G)

Charité, (écoles de) en Angleterre : ce sont, dit M. Chambers, des écoles qui ont été formées & qui se soûtiennent dans chaque paroisse par des contributions volontaires des paroissiens, & où l’on montre aux enfans des pauvres à lire, à écrire, les premiers principes de la religion, &c.

Dans la plûpart de ces écoles de charité, les aumônes ou fondations servent encore à habiller un certain nombre d’enfans, à leur faire apprendre des métiers, &c.

Ces écoles ne sont pas fort anciennes ; elles ont commencé à Londres, & se sont ensuite répandues dans la plûpart des grandes villes d’Angleterre & de la principauté de Galles. Voici l’état des écoles de charité dans Londres & aux environs de cette capitale, tel qu’il étoit en 1710.

Nombre des écoles de charité, 88.
  des garçons, 2181.
des filles, 1221.
garçons habillés, 1863. en tout 2977.
filles habillées, 1114.
garçons non-habillés, 373. en tout 501.
filles non-habillées, 128.

Remarquez que sur le total il y a eu 967 garçons & 407 filles, qu’on a mis en apprentissage.

Il y a eu semblablement à Londres une association charitable pour le soulagement des pauvres industrieux, qui fut instituée sous la reine Anne pour donner moyen à de pauvres manufacturiers ou à de pauvres commerçans, de trouver de l’argent à un intérêt modique & autorisé par les lois. On fit pour cet effet un fonds de 30000 livres sterling.

Nous avons en France dans plusieurs villes, & sur-tout à Paris, grand nombre d’établissemens de la premiere espece ; car, outre les écoles pour les enfans des pauvres, conduites par les freres des écoles chrétiennes, combien de maisons, telles que l’Hôpital-général, la Pitié, les Enfans-rouges, &c. ou l’on éleve des enfans pauvres ou orphelins, auxquels, quand ils sont en âge, on fait apprendre des métiers ? (G)

Charité chrétienne, (Hist. ecclés.) Henri III. roi de France & de Pologne, institua pour les soldats hors d’état de le servir dans ses armées, un ordre sous le titre de charité chrétienne. Le manoir de cet ordre étoit en une maison du faubourg saint Mar-