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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/367

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maladies, soit internes, soit externes, concernant chaque branche de cet art, & faites par lui-même sous le titre de différens traités de Chirurgie. Cet ouvrage a été suivi jusqu’à présent en Angleterre ; & depuis qu’il a été publié en 1676, il a servi de fondement à plusieurs autres traités de Chirurgie.

« La Chirurgie se divise en speculative & en pratique, dont l’une fait réellement ce que l’autre enseigne à faire ».

La théorie de la Chirurgie doit être distinguée en théorie générale, & en théorie particuliere.

La théorie générale de la Chirurgie n’est autre chose que la théorie ou la science de la Medecine même. Cette théorie est unique & indivisible dans ses parties ; elle ne peut être ni sûe ni appliquée qu’autant qu’on en possede la totalité. La différence qui se trouve entre la Medecine & la Chirurgie, se tire uniquement de leur exercice, c’est-à-dire, des différentes classes de maladies, sur lesquelles chacune d’elles s’exerce. La Chirurgie possede toutes les connoissances, dont l’assemblage forme la science qui apprend à guérir : mais elle n’applique cette science qu’aux maladies extérieures. L’autre, c’est-à-dire la Medecine, possede également cette science ; mais elle n’en fait l’application qu’aux maladies intérieures : de sorte que ce n’est pas la science qui est divisée, mais seulement l’exercice.

En envisageant avec la moindre attention l’objet de ces deux arts, on voit qu’ils ne peuvent avoir qu’une théorie commune. Les maladies externes qui font l’objet de la Chirurgie, sont essentiellement les mêmes que les maladies internes qui font l’objet de la Medecine ; elles ne different en rien que par leur position. Ces objets ont la même importance, ils présentent les mêmes indications & les mêmes moyens de curations.

Quoique la théorie de la Medecine & de la Chirurgie soit la même, & qu’elle ne soit que l’assemblage de toutes les regles & de tous les préceptes qui apprennent à guérir, il ne s’ensuit pas que le medecin & le chirurgien soient des êtres que l’on puisse ou que l’on doive confondre. Un homme qu’on supposera pourvû de toutes les connoissances théoriques générales, mais en qui on ne supposera rien de plus, ne sera ni chirurgien ni medecin. Il faut pour former un medecin, outre l’acquisition de la science qui apprend à guérir, l’habileté d’appliquer les regles de cette science aux maladies internes : de même si on veut faire un chirurgien, il faut qu’il acquierre l’habitude, la facilité, l’habileté d’appliquer aussi ces mêmes regles aux maladies extérieures.

La science ne donne pas cette habileté pour l’application des regles ; elle dicte simplement ces regles, & voilà tout : c’est par l’exercice qu’on apprend à les appliquer, & par l’exercice sous un maître instruit dans la pratique. L’étude donne la science ; mais on ne peut acquérir l’art ou l’habitude de l’application des regles, qu’en voyant & revoyant les objets : c’est une habitude des sens qu’il faut acquérir ; & ce n’est que par l’habitude de ces mêmes sens, qu’elle peut être acquise.

L’Anatomie, la Physiologie, la Pathologie, la Seméiotique, l’Hygiene, & la Thérapeutique, sont en Chirurgie comme en Medecine, les sources des connoissances générales. L’Anatomie développe la structure des organes qui composent le corps humain. La Physiologie en explique le jeu, la méchanique, & les fonctions ; par elle on connoît le corps humain dans l’état de santé. On apprend par la Pathologie, la nature & les causes des maladies. La Seméiotique donne la connoissance des signes & des complications des maladies, dont le chirurgien doit étudier les différens caracteres. L’Hygiene fixe le

régime de vie, & établit les lois les plus sages sur l’usage de l’air, des alimens, des passions de l’ame, des évacuations, du mouvement & du repos, du sommeil & de la veille. Enfin la Thérapeutique instruit le chirurgien des différens moyens curatifs ; Il y apprend à connoître la nature, la propriété, & la façon d’agir des médicamens, pour pouvoir les appliquer aux maladies qui sont du ressort de la Chirurgie.

Toutes ces connoissances, quelques nécessaires qu’elles soient, sont insuffisantes ; elles sont la base de la Medecine & de la Chirurgie, mais elles n’ont pas une liaison essentielle avec ces deux sciences, c’est-à-dire, une liaison qui ne permette pas qu’elles en soient séparées : elles ne sont véritablement liées avec l’art, que lorsqu’il s’est élevé sur elles comme sur ses fondemens. Jusque-là ces connoissances ne doivent être regardées que comme des préludes ou des préparations nécessaires : car des hommes curieux peuvent s’orner l’esprit de connoissances anatomiques, par exemple, sans atteindre à la Chirurgie ni à la Medecine ; elles ne forment donc point ni le medecin ni le chirurgien ; elles ne donnent donc aucun titre dans l’exercice de l’art.

Outre les connoissances communes dont nous venons de parler, il faut que le chirurgien dans la partie de la Medecine qu’il se propose d’exercer, acquierre un talent particulier : c’est l’opération de la main qui suppose une longue suite de préceptes & de connoissances scientifiques. Il faut d’abord connoître la façon & la nécessité d’opérer, le caractere des maux qui exigent l’opération, les difficultés qui naissent de la structure des parties, de leur action, de l’air qui les environne ; les regles que prescrivent la cause & les effets du mal ; les remedes que ce mal exige ; le tems fixé par les circonstances, par les lois de l’œconomie animale, & par l’expérience ; les accidens qui viennent troubler l’opération, ou qui en indiquent une autre ; les mouvemens de la nature, & son secours dans les guérisons ; les facilités qu’on peut lui préter ; les obstacles qu’elle trouve dans le tems, dans le lieu, dans la saison, &c. Sans ces préceptes détaillés, on ne formeroit que des opérateurs aveugles & meurtriers.

Ces connoissances si nécessaires pour conduire la main, ne renferment pas toutes celles qui forment le chirurgien. L’opération dont elles sont la regle, & qui frappe le plus le vulgaire, n’est qu’un point dans la cure des maladies chirurgicales. La connoissance des cas qui l’exigent, les accidens qui la suivent, le traitement qui doit varier selon la nature & les différences de ces accidens : tous ces objets sont les objets essentiels de la Chirurgie. Qu’il se présente, par exemple, une fracture accompagnée d’une plaie dangereuse ; la réduction, quoique soûvent très-difficile, n’est qu’une très-petite partie du traitement de cette maladie : les inflammations, les étranglemens, la gangrene, les dépôts, les suppurations, les fontes excessives, la fievre, les convulsions, le délire ; tous ces accidens qui surviennent si souvent, demandent des ressources beaucoup plus étendues que celles qui sont nécessaires pour réduire les os à leur place naturelle. Un exercice borné, la connoissance de la situation des parties, l’industrie, & l’adresse, suffisent pour replacer des os. Mais des lumieres profondes sur l’œconomie animale, sur l’état où sont les parties blessées, sur les changemens des liqueurs, sur la nature des remedes, sont à peine des secours suffisans pour remédier aux accidens qui suivent ces fractures. Les connoissances spéculatives communes n’offrent que des ressources foibles & insuffisantes dans ces cas. Il est une théorie particuliere, puisée dans la pratique de l’art ; cette théorie qui est, si l’on ose le dire, une