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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/396

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& implorerent leur secours contre des princes payens dont ils étoient opprimés.

Il est certain que les Chrétiens de S. Thomas sont des peuples naturels ou originaires de l’Inde. On les appelle autrement Nazaréens ; mais comme la coûrume du pays a attaché à ce nom une idée de mépris, ils prennent celui de Mappuley, & au plurier, Mappuleymar.

Ils forment une tribu considérable, mais toûjours divisée par des factions & des inimitiés invétérées. Elle est dispersée depuis Calecut jusqu’à Travencor, occupant en certains endroits une ville entiere, en d’autres n’en occupant qu’un quartier.

Ils se regardent comme étrangers dans leur pays. Leur tradition est que leurs peres sont venus d’une contrée voisine de la ville de Meilapur, où ils étoient persécutés. Quant au tems de leur transmigration, ils l’ignorent, n’ayant ni monumens ni archives.

Ils attribuent leur conversion, discipline, & doctrine, à S. Thomas ; & il est dit dans leur breviaire que cet apôtre passa de leur pays à la Chine.

Nous n’entrerons point ici dans la question, si le S. Thomas fameux dans cette contrée est saint Thomas l’apôtre, ou quelqu’autre saint du même nom, ou un marchand Nestorien appellé Thomas ; nous observerons seulement que les savans, en particulier M. Huet, pensent que ce n’est point l’apôtre.

La suite de l’histoire de cette église n’est pas moins difficile à développer que son origine : nous lisons dans nos auteurs que le patriarche d’Alexandrie envoya des évêques aux Indiens, & en particulier S. Pantænus, S. Fromentius, &c. mais on ne sait si ce fut précisément à ces peuples. Baronius est pour l’affirmative ; le Portugais, auteur de l’histoire d’Ethiopie, donne au contraire ces missionnaires aux Ethiopiens. Le seul fait certain, c’est que depuis plusieurs siecles les Chrétiens de S. Thomas ont reçu des évêques du côté de Babylone ou de Syrie. Il y a encore aujourd’hui à Babylone une espece de patriarche qui continue cette mission.

On demande si leur apôtre leur ordonna quelques évêques dont l’ordre se seroit éteint dans la suite des tems, faute de sujets capables des fonctions épiscopales, ou si l’apôtre ne leur laissa point d’évêques ordonnés par ses mains : mais qui peut répondre à cette question ?

L’église de ces Chrétiens, à la premiere arrivée des Portugais, étoit entierement gouvernée par ces évêques étrangers.

Ils faisoient leur office en Chaldéen, selon les uns ; en Syriaque, selon d’autres : hors de-là ils parloient la langue de leurs voisins.

Ce furent vraissemblablement ces évêques qui introduisirent parmi eux la langue Chaldéenne & les erreurs répandues dans l’Orient dans les tems du Nestorianisme, de l’Eutychianisme, & d’autres hérésies.

Ce mêlange d’opinions, & l’interruption totale de l’ordre des évêques pendant plusieurs années consécutives, avoient mis leur religion dans une espece de chaos ; leur maniere de célebrer l’eucharistie, lorsque les Portugais arriverent chez eux, suffira pour en donner quelque idée.

On avoit pratiqué au-dessus de l’autel une espece de tribune ou galerie ; pendant que le prêtre commençoit en-bas l’office à voix basse, on fricassoit au-dessus un gateau de fleur de ris dans de l’huile & du beurre ; lorsque ce gateau étoit assez cuit, on le descendoit dans un panier sur l’autel, où le prêtre le consacroit. A l’égard des autres especes, au lieu de vin, ils usoient d’une eau-de-vie faite à la maniere du pays. Leurs ordinations n’étoient guere plus régulieres ; l’archidiacre, qui étoit quelquefois plus

respecté que l’évêque même, ordonnoit les prêtres.

Ils étoient dans une infinité d’autres abus : les Portugais travaillerent à les réformer ; pour cet effet, ils eurent recours aux puissances séculiere & ecclésiastique : ils citerent les évêques de cette secte à des conciles assemblés à Goa ; ils les instruisirent, & même les envoyerent en Portugal & à Rome, pour y apprendre la doctrine & les rits de l’église Romaine : mais ces évêques, à leur retour, retombant dans leurs premieres erreurs, les Portugais, convaincus de l’inutilité de leurs précautions, les exclurent de leurs dioceses, & les remplacerent par un évêque Européen ; conduite qui les rendit très-odieux.

Dom Frey Aleixo de Menesès, archevêque de Goa, gouvernant les Portugais-Indiens par interim, & au défaut d’un viceroi, profita de cette occasion pour convoquer un concile dans le village de Diamper, où l’on fit un grand nombre de canons & d’ordonnances, & où l’on réunit les Chrétiens de S. Thomas à l’église Romaine. Il fut secondé dans ses opérations par les Jésuites ; mais après sa mort, la plûpart de ces nouveaux convertis devinrent relaps, & continuerent d’être moitié catholiques, & moitié hérétiques.

On a une histoire Portugaise de leurs erreurs, composée par Antoine Govea, de l’ordre de S. Augustin ; depuis traduite en Espagnol & en François, & imprimée à Bruxelles en 1609, sous le titre d’histoire orientale des grands progrès de l’église catholique, en la réduction des anciens Chrétiens, dits de S. Thomas.

Suivant cette histoire, les Chrétiens de S. Thomas, 1° soûtiennent avec opiniatreté les sentimens de Nestorius, & ne reçoivent aucune image, à l’exception de celle de la croix, qu’ils n’honorent pas même fort religieusement. 2°. Ils assûrent que les ames des saints ne verront Dieu qu’après le jour du jugement. 3°. Ils n’admettent que trois sacremens ; savoir le baptême, les ordres, & l’eucharistie, mêlant de si grands abus dans l’administration du baptême, qu’en une même église il y a différentes formes de baptiser, ce qui rend le baptême nul. Aussi l’archevêque Menesès rebaptisa-t-il en secret la plûpart de ces peuples. 4°. Ils ne se servent point des saintes huiles dans l’administration du baptême, & ils oignent seulement les enfans d’un onguent composé d’huile de noix d’Inde, sans aucune bénédiction. 5°. Ils ne connoissent pas même les noms de confirmation & d’extrème-onction. 6°. Ils ont horreur de la confession auriculaire, excepté un petit nombre d’entr’eux qui sont voisins des Portugais. 7°. Leurs livres d’offices fourmillent d’erreurs. 8°. Ils se servent pour la consécration, de petits gateaux faits à l’huile & au sel, & pétris avec du vin, ou plûtôt d’eau où l’on a seulement détrempé des raisins secs. 9°. Ils disent la messe rarement. 10°. Ils ne gardent point l’âge requis pour les ordres ; car ils font des prêtres à dix sept, dix-huit, ou vingt ans ; & ceux-ci se marient, même avec des veuves, & jusqu’à deux & trois fois. 11°. Leurs prêtres n’ont point l’usage de réciter le breviaire en particulier ; ils se contentent de le dire à haute voix dans l’église. 12°. Ils commettent la simonie dans l’administration du baptême & de l’eucharistie, pour lesquels ils exigent certaines sommes. 13°. Ils ont un respect extraordinaire pour leur patriarche de Babylone, qui est schismatique, & chef de la secte des Nestoriens ; ils ne peuvent souffrir au contraire qu’on nomme le pape en leurs églises, où ils n’ont le plus souvent ni curé ni vicaire ; c’est le plus ancien laïque qui préside alors à leurs assemblées. On a remarqué que, quand on leur parloit de se soûmettre à S. Pierre, ou à l’église de Rome, ils répondoient qu’à la vérité S. Pierre étoit le chef de celle-ci, mais que S. Thomas étoit le chef de leur église, & que ces deux églises étoient indépendantes