Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conserver, celui d’ἱερᾶς καὶ μεγάλης τέχνης, d’art grand & sacré.

Les prétendus vestiges de Chimie, apperçus dans les ouvrages de Moyse & de quelques philosophes & poëtes Grecs qui avoient voyagé en Egypte, ou qui avoient du moins vécu avec des voyageurs revenus de ce pays, sont tels que pour y voir notre art, il faut y être bien résolu avant que de les ouvrir. Ce fait de la calcination du veau d’or, par Moyse, qui a donné lieu à une dissertation de Stahl, où la partie critique n’a servi que de prétexte à la partie physique, ne prouve nullement que Moyse fût chimiste ; une simple connoissance ou secret d’ouvrier suffisoit pour l’exécuter. Cependant Borrichius apperçoit des traces très-évidentes de Chimie dans Orphée, Homere, Hésiode, Pindare, Sapho, Hippocrate, & Platon, Celui-ci, dit-il, n’a pas ignoré le grand principe de l’art, concors concordi adhæret, discordia rebellant. Il trouve dans cette sentence du Banquet le fondement solide de toute la doctrine chimique, & la théorie de toutes ses opérations ; ὅμοιον ὁμοίῳ ἀεὶ πελάζει, les semblables s’approchent toûjours des semblables ; la base de l’art se trouve encore, selon lui, dans cette autre sentence apportée par Démocrite d’Egypte, où elle étoit gravée dans le sanctuaire de Memphis, ἡ φύσις τῇ φύσει τέρπεται, la nature aime la nature ; ἡ φύσις τὴν φύσιν νικᾷ, la nature surmonte la nature ; ἡ φύσις τὴν φύσιν κρατεῖ, la nature commande à la nature. Il jureroit sur la foi de Michel Psellus, que Démocrite d’Abdere fut initié aux mysteres Egyptiens avec les autres prêtres, par le grand Osthanes, & que les ouvrages qu’il composa sur la teinture du soleil & de la lune, sur les pierres précieuses & sur la pourpre, ont été le fruit de cette initiation. Diogene Laerce, qui nous a laissé une liste qui paroît exacte des ouvrages de Démocrite, ne dit pas un mot des précédens ; mais n’importe, Borrichius a pour lui Diodore de Sicile, & Psellus. On croit, dit Diodore de Sicile, que pendant les cinq ans que Démocrite passa en Egypte, il y profita beaucoup dans l’Astrologie. Hic ne allucinemur, dit Borrichius, à propos de ce passage, intuendum Astrologiam jam olim duplicem fuisse superiorem illam ex stellarum cælestium deportatis in terras radiis pensant ; inferiorem autem ex lucentibus illis magnæ matris telluris syderibus, hoc est, splendidis metallorum glebis derivatam. Et hoc est quod modo ex Psello observatum nobis, Democritum scripsisse de tinctura Solis & Lunæ, id est, ut expressiori nomen elatum reddam de subtili coloratoque ex auro argentoque liquore. Et, pour achever ce tableau de la Logique de Borrichius & des littérateurs, il déduit de-là l’ancienneté de l’usage des mêmes noms pour les planetes & pour les métaux ; induction au secours de laquelle il appelle & les mysteres de Mitra, rapportés par Celse chez Origene, & Philostrate, qui raconte qu’Apollonius de Thiane ayant philosophé secretement avec le Brachmane larchas, en reçut en présent sept anneaux, stellarum septem nominibus insignitos, qu’il mettoit à ses doigts selon les jours de la semaine, & que Borrichius assûre, de son chef, avoir été faits des divers métaux, qui portent aujourd’hui les noms des planetes ; & Platon & Manilius, &c.

Borrichius finit cette discussion sur la Chimie des anciens Grecs par un aveu qui n’est point du tout à sa maniere, & qui lui a échappé je ne fais comment. Il croit que les anciens Grecs ne s’entendoient pas eux-mêmes, & qu’ayant pris à la lettre ce que les Egyptiens leur avoient délivré sur le ton d’oracle, ils l’avoient répandu sans y rien comprendre ; il lui paroît que ces Grecs libasse tantùm artem chimicam, non hausisse, si paucissimos excipias ; sed quantum in praxi chimica profecerit, sive Democritus, sive Homerus, sive Pitagoras, sive Pindarus, sive denique primus

Orpheus, non disputabimus, contenti in scriptis corumdem manifesta (ce manifesta est admirable) Chimia spectare vestigia ipsis forsan autoribus quæ ab Ægyptiis audierant non satis quandoque intellecta. Il ne seroit pas impossible absolument que Borrichius n’eût raison ; le soupçon du merveilleux suffisoit pour déterminer les poëtes Grecs à orner leurs compositions des logogryphes Egyptiens : ce galimathias une fois introduit dans la poësie s’y est perpétué ; telle est peut-être l’origine du rameau d’or de Virgile qui a l’air très-chimique, qui est chanté d’un ton très-chimique, mais où le poëte n’a apparemment rien entendu de tout ce que les Borrichius y voyent.

Au reste, ces oracles chimiques de l’Egypte, transmis jusqu’à nous de poëtes en poëtes, ne forment pas une tradition assez sûre pour prouver seulement que la Chimie existât en Egypte au tems où Diodore de Sicile, & tous ces Grecs dont on trouve le catalogue dans Diodore de Sicile, y voyagerent. Ni cet historien, ni Dioscoride son contemporain, & medecin de la fameuse Cléopatre, n’ont rien dit de relatif à cet art. Si d’un côté la dissolution assez prompte d’une perle considérable ne pouvant s’exécuter sans un menstrue dont la préparation semble supposer des connoissances de Chimie pratique, puisque le vinaigre n’opere point cette dissolution ; si cette dissolution, dis-je, supposée vraie, prouve dans Cléopatre ou dans son medecin, quelque progrès dans l’art : d’un autre côté, il est difficile de comprendre comment les Romains se sont rendus maîtres de ces contrées, & comment les Grecs y ont voyagé devant & après cette conquête, sans rien rapporter de cet art, & qu’ils ayent même ignoré qu’il y existât. Nous pourrions conclure de-là que la Chimie n’étoit pas encore en Egypte ; mais nous laissons ce point indécis. Pour en Grece, c’est un fait démontré ; car il n’en paroît pas l’ombre dans les anciens auteurs, soit Medecins, soit Pharmacologistes, tels que Théophraste, Dioscoride, Galien, ni dans ceux du moyen âge que nous appellons medicina principes. Comment un art qui promettoit tout en naissant de dévoiler aux hommes les secrets les plus cachés de la nature, auroit-il pû exister à l’insçû des philosophes ? Comment n’est-il pas arrivé alors ce qui est de tous les tems, & ce qui se remarque si sensiblement du nôtre, que l’ostentation des connoissances n’en ait pas répandu quelques mots techniques attrapés au hasard dans les compositions des poëtes, des orateurs, des romanciers ? Les hommes anciens n’étoient-ils donc pas comme ceux d’aujourd’hui ? Les écrivains n’employoient-ils que les termes dont ils sentoient toute la force ? Ne cherchoit-on point le relief des connoissances, soit réelles, soit apparentes ? Mais si l’on ne rencontre dans ces tems aucun mot de Chimie bien ou mal appliqué ; si ce qui fait dire aujourd’hui tant de sottises n’en a point fait dire plûtôt ; s’il n’y a pas une expression chimique ni dans Pline, ni dans Lucrece, ni dans Celse, n’est-ce pas que les Romains ont dû ignorer ce que les Grecs leurs maîtres ne savoient pas encore ? Car il faut compter pour rien ce que Pline dit de l’or que Caligula retira de l’orpiment ; ce peut n’être qu’une opération de Métallurgie sur un orpiment natif mêlé avec de l’or.

On fonde une derniere preuve de la Chimie des Egyptiens, sur l’immense richesse de ces peuples. On prétend qu’ils se l’étoient procurée par la transmutation des métaux, par l’œuvre divin ; comme s’il n’y avoit que cette voie d’accumuler des richesses, & que l’extrême difficulté de cette opération, pour ne rien dire de plus, ne dût point entrer dans le calcul de la certitude d’un fait dont l’autenticité n’est point historique. L’anecdote rapportée par le seul Suidas, que Dioclétien fit brûler tous les