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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/827

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arrivés depuis dans la Chrétienté. Lorsqu’elle n’obéissoit qu’à un souverain, il lui étoit facile d’ordonner par un édit aux évêques de s’assembler dans un certain lieu pour y tenir concile : mais depuis que l’empire a été divisé, & que le monde Chrétien s’est partagé en divers royaumes, cela est devenu, pour ainsi dire, impraticable : car les évêques étant soûmis à différens princes, dont l’un est indépendant de l’autre, il faudroit autant de convocations qu’il y a de souverains, qu’ils convinssent d’abord du lieu de l’assemblée, pour y convoquer ensuite les métropolitains & les évêques de leur royaume. Les inconvéniens qui auroient résulté de la difficulté de s’accorder entre eux, ont été cause que le droit de convoquer les conciles œcuméniques a été déféré au pape par l’usage & du consentement des églises. On a jugé convenable que celui qui occupe la chaire de S. Pierre, d’où naît l’unité sacerdotale, fût chargé du soin d’assembler l’Église universelle. Observons néanmoins à ce sujet que le pape ne peut pas convoquer un concile général, à moins que les princes Chrétiens n’y consentent ; premierement parce que les évêques sont sujets du prince, & par cette raison ne peuvent quitter leurs églises sans son consentement ; secondement parce que c’est le seul moyen de maintenir l’union entre le sacerdoce & l’empire, sans laquelle la société ne peut subsister. Le concours des deux puissances étant donc essentiel dans les choses qui regardent la foi, il en faut conclure que le consentement des princes Chrétiens est nécessaire toutes les fois qu’il est question de célebrer un concile œcuménique. Ajoûtez à cela que le consentement des princes représente celui des peuples ; car dans chaque état le prince est le représentant de la nation. Or ce consentement des peuples opere celui de toute l’Église, qui, selon la réponse de Philippe-le-Bel à une bulle de Boniface VIII. n’est pas seulement composée du clergé, mais encore des laïcs. Une autre observation à faire est que les princes Chrétiens n’ont pas perdu irrévocablement le droit de convoquer les conciles œcuméniques. En effet, comme ils sont obligés en qualité de magistrats politiques de veiller à ce que le bien de l’état, qui est intimement lié avec celui de la religion, ne reçoive aucune atteinte ; il résulte de-là que s’il arrivoit qu’ils convinssent unanimement de la tenue d’un concile, du lieu de l’assemblée, & qu’ils ordonnassent par leurs édits aux évêques leurs sujets de s’y trouver, pour lors le concile seroit convoqué légitimement ; un usage contraire, introduit par la seule difficulté de se concilier sur un même objet, n’ayant pû les faire décheoir de leurs droits.

On a même été plus loin pendant le schisme d’Avignon. La chaire de S. Pierre, quoiqu’indivisible, étant occupée dans ce tems-là par deux contendans, dont l’un sous le nom de Grégoire XII. siégeoit à Rome, l’autre à Avignon sous le nom de Benoît XIII. & aucun des deux ne voulant abdiquer le pontificat, ce qui étoit cependant le seul moyen de rétablir l’union & la concorde, les cardinaux se séparerent, tant de Grégoire que de Benoît ; & s’étant assemblés à Livourne afin de délibérer sur les mesures à prendre pour éteindre le schisme, & célébrer un concile, on éleva la question, si dans le cas où deux papes, au mepris manifeste de leur serment, diviseroient l’Église, & par une collusion frauduleuse entretiendroient le schisme, les cardinaux ne pourroient pas convoquer le concile. Sur cette question Laurent Rodolphe, célebre docteur ès droits, soûtint dans une dispute qui dura trois jours, que le concile convoqué dans ce cas par les cardinaux seroit légitime, M. Lenfant, hist. du conc. de Pise, liv. III. chap. vij. Gerson prouva la même chose dans son traité de auferibilitate papæ ab Eccles. savoir que dans un tems de schis-

me, lorsqu’il s’agit de juger le pape, le droit de convoquer le concile cesse de lui appartenir, comme étant partie intéressée, & que ce soin regarde les cardinaux & les évêques, conjointement avec les princes temporels. Dans le siecle suivant, lorsque les fameuses divisions du pape Jules II. & de Louis XII. éclaterent, cinq cardinaux, Bernardin de Carjaval, François de Borgia, René de Prié, Fréderic de S. Severin, & Guillaume Briçonnet, ne pouvant plus supporter l’ambition de ce pontife, & mécontens de ce qu’il ne tenoit pas de concile général, comme il avoit promis avec serment de le faire deux ans après son exaltation, l’abandonnerent dans son voyage de Rome à Bologne, se rendirent à Milan, & delà à Pise, où ils assemblerent un concile l’an 1511, sous le bon plaisir de Maximilien empereur & de Louis XII. Dans ce tems-là on agita de nouveau la question, si le pouvoir d’assembler l’Église appartenoit aux cardinaux, ou même à la plus petite partie d’entre eux. Philippe Décius de Milan, docteur ès droits, assez connu par ses écrits, se signala dans cette occasion, & devint par-là si agréable au roi Louis XII. qu’il en obtint une place de conseiller au parlement de Grenoble. On a sa consultation qui parut la même année 1511, & le discours qu’il publia ensuite pour la justification du concile de Pise. Dans ces deux ouvrages Décius, après avoir accumulé les uns sur les autres & textes & glossateurs, suivant la méthode de raisonner de son tems, conclud qu’il y a des cas où les cardinaux, même en plus petit nombre, sont en droit de convoquer un concile ; par exemple, si le pape & les cardinaux de son parti négligent ou refusent de le faire, quoique les besoins de l’Église le demandent. Il eût pris une voye plus simple pour rendre sensible cette vérité, s’il se fût restraint à dire, comme quelques-uns l’osent avancer, que depuis long-tems les cardinaux constituent le collége de l’église Romaine, & que le droit de convoquer le concile n’a pas tant été accordé à la personne du pape, qu’au siége qu’il occupe ; qu’ainsi dans les cas dont nous parlons, l’église Romaine à laquelle président les cardinaux qui lui sont demeurés fidelement attachés, peut inviter les autres évêques à s’assembler avec elle pour tenir concile.

Mais si ce droit appartient quelquefois aux seuls cardinaux, à plus forte raison un concile général peut-il en indiquer un autre, du consentement des princes, puisqu’il représente l’Église universelle, qui certainement a le pouvoir de s’assembler elle-même. Nous en avons un exemple illustre dans le respectable concile de Bâle, que la France a reçû solennellement, & dont Charles VII. a fait insérer les decrets dans la pragmatique sanction. Ce concile fut indiqué par ceux de Constance & de Sienne, c’est-à-dire que dans la session 24 du concile de Constance, du 19 Avril 1418, on indiqua le concile à Pavie, tome XII. des conc. pag. 257. Il y commença l’an 1423 ; mais à cause de la peste qui ravageoit Pavie il fut bien-tôt transféré à Sienne, où l’on convint le 19 Février 1424, que le prochain concile qu’on devoit assembler sept ans après en exécution du decret du concile de Constance, se tiendroit dans la ville de Bâle. Voyez tome XII. des conc. pag. 463. où l’on rapporte le decret du concile de Sienne, qui fut lû dans la premiere session de celui de Bâle.

Le droit de ceux auxquels il appartient de convoquer les conciles, selon les diverses circonstances, étant solidement établi, il faut expliquer la maniere dont se fait cette convocation. Les exemples dont nous nous sommes servis pour faire voir que les princes ont été en possession d’indiquer les conciles, prouvent en même tems qu’ils rendoient à ce sujet des édits par lesquels ils mandoient au concile les prélats, sur-tout l’evêque de Rome & ceux des princi-