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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/829

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doit y présider ; car étant une assemblée de l’Eglise universelle, il est d’une nécessité absolue que quelqu’un recueille les voix, & prononce les décisions du concile sur chaque question. Jesus-Christ est le chef de toute l’Eglise. Dans chaque église particuliere il est représenté par l’évêque ; mais il s’agit de savoir lorsque les évêques sont assemblés, quel est celui parmi eux qui doit être à leur tête. Les peres du concile de Chalcédoine nous l’apprennent dans la lettre synodale au pape Leon. Si enim, disent-ils, ubi sunt duo aut tres congregati in nomine ejus (Christi), ibi se Christus in medio eorum fore perhibuit, quantam circa quingentos viginti sacerdotes familiaritatem potuit demonstrare, qui & patriæ & labori suæ confessionis notitiam prætulerunt ? Quibus tu quidem, sicut membris caput præeras, in his qui tuum tenebant ordinem, benevolentiam præferens, imperatores vero fideles ad ordinandum decentissimè præsidebant, sicut Zorobabel & Jesus, ecclesiæ tanquam Jerusalem, ædificationem, circa dogmata renovare annitentes. Ce passage fait voir que les peres du concile de Chalcédoine distinguent deux sortes de présidences dans les conciles : l’une qui appartient aux pontifes, & l’autre aux princes. En effet le prince étant seul armé du glaive, & ayant seul la force coactive, il doit y présider afin que tout s’y passe d’une maniere conforme aux lois & aux canons dont il est le protecteur. Au reste pour ne parler ici que de la présidence hiérarchique, il paroît par ces paroles, sicut membris caput præeras in his qui tuum tenebant ordinem, qu’elle est déférée à l’évêque de Rome. Cela mérite cependant quelque explication. Il est bien vrai que dans le cas où le souverain pontife assiste en personne au concile, tous les canonistes reconnoissent pour incontestable le droit qu’il a d’y présider, comme étant l’évêque du premier siége, le centre de l’unité catholique, & le chef de toutes les églises : mais ils ne conviennent point également que cette prérogative dans les premiers tems ait passé aux légats. Plusieurs d’entr’eux ne font pas remonter l’origine de ce droit plus haut que le concile de Chalcédoine ; d’autres pensent que dès le concile de Nicée, les légats du pape ont présidé.

Parmi ces derniers se trouve M. de Marca, qui dans son fameux traité de concordiâ sacerdotii & imperii, lib. V. cap. iij. jv. v. vj. & vij. réduit la question de la prééminence du pape dans les conciles, à trois chefs principaux qu’il s’efforce de démontrer ; savoir à la prérogative de la séance, au droit de recueillir les voix, à la ratification de tout ce qui a été fait ; & il prétend que cette ratification ne nuit point à la liberté des suffrages qui est absolument nécessaire, mais il la compare au rapport qu’autrefois les consuls & qu’ensuite les princes faisoient au sénat, afin qu’il eût à prononcer, ensorte que le sénat néanmoins décidoit ce qu’il jugeoit à propos. Le souverain pontife, dit cet illustre prélat, exerce un droit semblable dans les conciles, ce qui n’empêche pas qu’on n’y joüisse de la liberté des suffrages. Il ajoûte, chap. vij. que cette prérogative passe à ses légats, & même nécessairement, puisqu’il est certain que les papes n’ont point été présens aux premiers conciles, & qu’ils se sont contentés d’y envoyer des légats. La comparaison que fait M. de Marca n’est point du tout exacte, & ne s’accorde pas avec ce que nous avons prouvé ci-dessus, que ce sont les empereurs qui ont convoqué les premiers conciles, & y ont invité les papes par leurs édits. De plus si on attribuoit ce droit de rapport dans les premiers siecles au souverain pontife, ce seroit lui donner par là une autorité suprème sur l’Eglise ; car ce droit de rapport faisoit partie de la souveraineté. Les termes de la loi royale renouvellée sous Vespasien, que cite M. de Marca, en sont une preuve authentique.

Les voici : Ut ei senatum habere, relationem facere remittere, senatusconsultum per relationem, discussionemque facere liceat. M. de Marca n’appelle-t-il pas lui-même ce droit jus imperatorium, & n’est-il pas constant que sans ce rapport, le sénatusconsulte ne pouvoit avoir lieu ? Nous en avons un exemple dans Tacite, lib. XV. ann. c. 22. où après avoir rapporté le discours que Thraseas prononça au sénat, il ajoûte tout de suite ces paroles : magno assensu celebratæ sententia, non tamen setûm eâ de re perfici potuit, abnuentibus consulibus eâ de re relatum. Ce passage montre assez que quoique ce droit de rapport n’ôtât pas tout-à-fait la liberté des suffrages ; cependant celui de délibérer & de décider du tems de la république dépendoit de la volonté des consuls, & dans la suite, des empereurs, qui même en ont entierement privé le sénat. Novelle 78. de Léon surnommé le philosophe. Or il est manifeste que les conciles, surtout dans les premiers siecles, ne dépendoient en aucune façon de la volonté du pape. Ainsi réduisons le droit de présider à deux chefs ; au droit de tenir le premier rang dans la séance, & à celui de recueillir les voix : séparons-en celui de la ratification, puisque nous venons de voir que c’est pour concilier ce droit-là, avec la liberté du concile, que M. de Marca a imaginé le droit de rapport & la comparaison qu’il en fait. Le même M. de Marca veut prouver d’après l’histoire, que le droit de présidence a passé aux légats des souverains pontifes. Il soûtient qu’Osius évêque de Cordoue, présida en cette qualité au concile de Nicée. Il se fonde sur ce qu’Athanase appelle cet évêque l’ame & le chef des conciles, lib. de fugâ suâ & epistolâ ad solitarios ; & sur ce que Socrate, liv. I. ch. jx. de la version latine, ou ch. xiij. de l’original grec, en faisant l’énumération des prélats les plus distingués qui assisterent au concile, commence par Osius évêque de Cordoue, Vite & Vincent prêtres, & nomme ensuite Alexandre d’Egypte, Eustathe d’Antioche, Macaire de Jérusalem. M. de Marca ajoûte, que personne n’assista de la part du pape au second concile œcuménique, qu’il ne fut composé que d’évêques Orientaux, & qu’il ne devint général que par l’acquiescement de l’église d’Occident, à la décision de celle d’Orient ; que Cyrille présida au troisieme concile, & qu’il représentoit le pape Célestin I. comme l’annoncent les lettres de ce pontife adressées tant au clergé & au peuple de Constantinople, qu’à Cyrille lui-même.

D’un autre côté Simon Vigor, lib. de conciliis, cap. vij. prétend que la premiere place dans les conciles est dûe aux patriarches, & qu’ils y président tous conjointement ; mais que parmi eux la préséance est reservée au souverain pontife, de façon cependant que s’il est absent, ses légats ne succedent point à sa place, mais le second patriarche ; & au défaut du second, le troisieme. Ainsi ce ne fut point, selon lui, le pape Sylvestre qui étoit absent, qui présida au concile de Nicée ; ni Alexandre, patriarche d’Alexandrie, qui en quelque maniere étoit partie intéressée, puisqu’il s’agissoit d’Arius qu’il avoit le premier condamné dans un concile tenu dans son patriarchat. Cet auteur conclud que le concile fut présidé par Enstathe d’Antioche, & il le prouve par la lettre qu’écrivit le pape Felix III. à l’empereur Zenon, contre Pierre Fullon évêque d’Antioche. Cette lettre est conçûe en ces termes : Petrus primogenitus diaboli filius, & qui sanctæ ecclesiæ Antiochenæ se indignissime ingessit, sanctamque sedem Ignatii martyris polluit, qui Petri dextrâ ordinatus est, Eustathiique confessoris ac præsidentis trecentorum decem & octo patrum qui in Nicæa convenerunt, ausus est dicere, &c. Voyez tome IV. des conciles, p. 1069. Il faut avoüer que ces dernieres paroles sont favorables au sentiment de Vigor.