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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 3.djvu/906

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auxquels il ne faut point avoir d’égard, pour découvrir & retrouver pleinement dans la connoissance conjonctive, l’identité ou ressemblance d’idées qui fait la connoissance intuitive. Ainsi pour retrouver la connoissance intuitive dans cette proposition, l’homme est animal, j’écarte de l’idée totale de l’homme les idées partiales, qui sont de surérogation à l’idée total d’animal ; telles que l’idée de capable d’admiration, l’idée de raisonnable, &c. & alors il ne reste plus dans l’idée d’homme, que les idées de végétal, de vivant, &c. qui forment l’idée d’animal, & qui sont communes à l’idée d’homme & à l’idée d’animal.

Ces réflexions aussi vraies que subtiles, sont tirées de la logique du P. Buffier.

La seconde sorte de convenance ou de disconvenance que l’esprit apperçoit dans quelqu’une de ses idées, peut être appellée relative ; & ce n’est que la perception du rapport qui est entre deux idées, de quelque espece qu’elles soient, substances, modes, ou autres. Ainsi deux est deux, trois est trois, ont un rapport de convenance, parce que dans ces deux propositions c’est le même objet formé par deux actes de l’esprit : toute la différence qui se trouve entre la convenance d’identité & la convenance de relation, c’est que l’une est une identité numérique, & l’autre une identité spécifique ou de ressemblance. La premiere se trouve marquée dans cette proposition, le cercle A est le cercle A ; & la seconde dans celle-ci, le cercle A est le même que le cercle B.

La troisieme espece de convenance ou de disconvenance, qu’on peut trouver dans nos idées, & sur laquelle s’exerce la perception de notre esprit, c’est la coéxistance, ou la non coéxistance dans le même sujet ; ce qui regarde particulierement les substances. Ainsi quand nous affirmons touchant l’or, qu’il est fixe, la connoissance que nous avons de cette vérité se réduit uniquement à ceci, que la fixité ou la puissance de demeurer dans le feu sans se consumer, est une idée qui se trouve toujours jointe avec cette espece particuliere de jaune, de pesanteur, de fusibilité, de malléabilité, & de capacité d’être dissous dans l’eau régale, qui compose notre idée complexe, que nous désignons par le mot or.

La derniere & quatrieme espece de convenance, c’est celle d’une existence actuelle & réelle, qui convient à quelque chose dont nous avons l’idée dans l’esprit. Toutes nos connoissances sont renfermées dans ces quatre sortes de convenance ou de disconvenance.

Avant d’examiner les différens degrés de notre connoissance, il ne sera pas hors de propos de parler des divers sens du mot de connoissance. Il y a différens états dans lesquels l’esprit se trouve imbu de la verité, & auxquels on donne le nom de connoissance.

1°. Il y a une connoissance actuelle qui est la perception présente, que l’esprit a de la convenance, ou de la disconvenance de quelqu’une de ses idées, ou du rapport qu’elles ont l’une à l’autre.

2°. On dit qu’un homme connoît une proposition, lorsque cette proposition ayant été une fois présente à son esprit, il a apperçu évidemment la convenance ou la disconvenance des idées dont elle est composée, & qu’il l’a placée de telle maniere dans sa mémoire, que toutes les fois qu’il vient à réfléchir sur cette proposition, il la voit par le bon côté, sans douter ni hésiter le moins du monde ; c’est ce qu’on appelle connoissance habituelle. Suivant cela, on peut dire d’un homme, qu’il connoît toutes les vérités, dont sa mémoire conserve le précieux dépôt, en vertu d’une pleine & évidente perception qu’il en a eue auparavant, & sur laquelle l’esprit se repose hardiment sans avoir le moindre doute ; que s’il n’en a pas une perception actuelle, du moins il a un sentiment intime d’avoir eû cette perception. En effet,

nos lumieres étant aussi bornées qu’elles le sont, & notre perception actuelle ne pouvant s’étendre qu’à peu de choses à la fois, si nous ne connoissions que ce qui est l’objet actuel de nos pensées, nous serions tous extrèmement ignorans, & nous ne pourrions nullement étendre nos connoissances.

Il y a aussi deux degrés de connoissance habituelle.

L’un regarde ces vérités mises comme en reserve dans la mémoire qui ne se présentent pas plûtôt à l’esprit qu’il voit le rapport qui est entre ces idées : ce qui se rencontre dans toutes les vérités dont nous avons une connoissance intuitive.

Le deuxieme degré de connoissance habituelle appartient à ces vérités, dont l’esprit ayant été une fois convaincu, conserve le souvenir de la conviction sans en retenir les preuves. Ainsi un homme qui se souvient certainement qu’il a démontré que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits, est assuré qu’il connoît la vérité de cette proposition, parce qu’il ne sçauroit en douter. Il ne faut pas s’imaginer que cette croyance, qu’on donne plus à la mémoire qu’à la perception de la vérité même, soit une connoissance mêlée de quelques nuages, & qui tienne le milieu entre l’opinion & la certitude. Cette connoissance renferme une parfaite certitude. Ce qui d’abord pourroit nous faire illusion ; c’est que l’on n’a pas une perception actuelle de toutes les idées intermédiaires, par le moyen desquelles on avoit rapproché les idées contenues dans la proposition lorsqu’on se la démontra pour la premiere fois. Par exemple, dans cette proposition, les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits ; quiconque a vû & apperçû clairement la démonstration de cette vérité, connoît que cette proposition est véritable, lors même que la démonstration lui est échappée de l’esprit, qu’il ne la voit plus, & qu’il ne peut se la rappeller ; mais il le connoît d’une autre maniere qu’il ne faisoit auparavant. C’est par l’intervention d’autres idées, que celles qui avoient accompagné sa démonstration, qu’il apperçoit la convenance des deux idées qui sont jointes dans la proposition. L’immutabilité des mêmes rapports entre les mêmes choses immuables, est présentement l’idée qui fait voir, que si les trois angles d’un triangle ont été une fois égaux à deux droits, ils ne cesseront jamais de l’être, parce que les essences des choses sont éternelles & immuables.

C’est sur ce fondement que dans les Mathématiques les démonstrations particulieres fournissent des connoissances générales. En effet, si la connoissance n’étoit pas si fort établie sur cette perception, que les mêmes idées doivent toujours avoir les mêmes rapports, il ne pourroit y avoir aucune connoissance de propositions générales dans les Mathématiques : car nulle démonstration Mathématique ne seroit que particuliere ; & lorsqu’un homme auroit démontré une proposition touchant un triangle ou un cercle, sa connoissance ne s’étendroit point au-delà de cette figure particuliere. Personne ne niera que M. Newton ne connût certainement que cette suite de propositions, qu’il avoit liées & enchaînées, ne fût véritable ; quoiqu’il n’eût pas actuellement devant les yeux cette chaîne admirable d’idées moyennes, par lesquelles il en avoit découvert la vérité. Mais parce que le simple souvenir n’est pas toujours si clair que la perception actuelle ; & que par succession de tems elle déchoit plus ou moins, dans la plûpart des hommes ; il me semble qu’il en résulte nécessairement que la connoissance démonstrative n’a pas la même vivacité d’évidence que la connoissance intuitive, comme nous l’allons voir.

On ne peut nier que l’évidence n’ait différens degrés ; & cette différence de clarté que je confonds ici avec l’évidence, consiste dans la différente maniere dont notre esprit apperçoit la convenance ou