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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/1026

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Mabillon n’a pû cacher son dessein, & il paroît évidemment qu’il a voulu défendre & soûtenir les titres de son ordre, que le P. Papebroeck avoit un peu noircis par ses soupçons ; & il est indubitable que l’endroit de son livre où il s’efforce de combattre ce qu’a donné M. Petit, est le centre de son ouvrage, d’autant plus que dans les dissertations jointes au pénitentiel, il y a des preuves assez fortes de ce que le savant Jésuite flamand ne faisoit que conjecturer. Voilà les blessures auxquelles il s’est crû obligé de remédier avec promptitude, opus esse existimavi diligentiâ. Ne m’en croyez pas, Monsieur (ce sont ses termes), hanc necessitatem probat operis occasio, l’occasion de cet ouvrage en prouve la nécessité ; & parce que les principaux efforts de ses adversaires, comme il les appelle, sont tombés sur le chartrier de S. Denis, & quoniam proecipuus adversariorum conatus in Dionysianum archivium exsertus fuerat, la nécessité de se défendre lui a fait enfanter ce dessein nouveau, pour procurer de l’utilité au public, nempè utilitas argumenti cum novitate conjuncta, atque defensionis necessitas. Cependant quiconque lira l’un & l’autre, remarquera facilement lequel des deux a plus de force & de solidité dans l’attaque ou dans la défense ; & pour vous le faire voir en deux mots, l’abbé Petit, dans ses notes sur Théodore, qui vivoit vers la fin du sixieme siecle, prétend que les exemptions de l’ordinaire & des souverains sont contraires à la discipline de l’Eglise ; il le justifie par une tradition exacte des peres & des conciles jusqu’à son tems : il soûtient par conséquent que ces sortes de priviléges ne sont pas légitimes. Celui de S. Denis, que le P. Doublet a publié, lui sert d’exemple ; il donne une copie de ce même titre, tirée d’un ancien manuscrit, qui contredit l’autre, & qui est conforme aux regles de l’Fglise. A cela le P. Mabillon répond que c’est une calomnie digne de réprimande, d’accuser ses confreres d’errer contre l’Eglise & la police des états, lorsqu’ils défendent des privileges, quoiqu’on leur ait montré qu’ils sont contraires aux canons de l’une & aux lois de l’autre. Il avoue le titre que produit M. Petit, mais il prétend que celui du P. Doublet en est un autre ; sur quoi il donne de mauvaises raisons : & pour montrer que celui qu’il défend, & pour lequel il a fait un si gros livre, n’est point contraire à l’Eglise, il ne rapporte ni passages des peres ni des conciles, mais une formule de Marculphe. Vous croyez peut-être, quoique ce ne soit pas une grande preuve, qu’elle parle en termes exprès, cependant c’est le contraire ; il n’est parlé que de juges médiats ou subalternes, avec une clause que ni le prince ni le magistrat ne pourroit détruire cette grace, nec regalis sublimitas, nec cujuslibet judicum sæva cupiditas refragare tentet ; & une preuve de cela est que dans un endroit de cette formule on y voit les mêmes expressions que dans le titre publié par M. Petit : statuentes ergo neque juniores, neque successores vestri, nec ulla publica judiciaria potestas, &c. Enfin pour derniere raison il rapporte uniquement un semblable privilége donné à Westminster par un Edoüard roi d’Angleterre, contre lequel assûrément les raisons du P. Papebroeck & de M. Petit ne perdent rien de leur force, aussi-bien que contre les autres titres. »

Il suffit que l’ouvrage du P. Mabillon ait eu beaucoup de réputation, pour qu’il se soit vû exposé à la critique & à de grandes contradictions, soit en France, soit dans les pays étrangers ; s’il avoit été moins savant, on l’auroit laissé pourrir dans l’oubli & dans l’obscurité. C’est ce qui a produit en 1703 & aux années suivantes, les dissertations si savantes & si judicieuses du P. Germon de la compagnie de Jesus.

Ces nouvelles disputes ont procuré un avantage, & ont engagé le P. Mabillon à publier en 1704 un supplément considérable à sa diplomatique ; & le P. dom Thierri Ruynart illustre associé du P. Mabillon, fit paroître alors contre leurs célebres adversaires, son livre ecclesia Parisiensis vindicata. L’année suivante M. Hickese, l’un des plus savans hommes de l’Angleterre, s’est aussi élevé contre le pere Mabillon, dans un ouvrage aussi nouveau & aussi singulier en son genre, que la diplomatique du P. Mabillon ; c’est dans ce qu’il a donné sous le titre de litteratura septentrionalis, publié en 1705 en trois volumes in-fol. où il prétend détruire les regles diplomatiques établies par le savant bénédictin. Les Italiens s’en sont aussi mêlés, mais plus foiblement que ceux dont nous venons de parler : ainsi un bon, un excellent ouvrage en produit de bons & de médiocres, comme il est aussi la source de bonnes & de mauvaises critiques ; c’est au public curieux à profiter de ce qu’il peut trouver d’utile jusque dans les moindres écrits qu’engendre une dispute.

On ne sauroit disconvenir que la diplomatique du P. Mabillon ne contienne d’excellentes & d’admirables recherches sur divers points de notre histoire ; l’homme judicieux fera toûjours plus d’attention à ce qu’il y trouvera d’excellent & d’utile, qu’aux fautes qui peuvent se rencontrer en un travail qui jusqu’en 1681 n’avoit pas été tenté : les Anglois & les savans de France n’ont pas laissé, au milieu des critiques qu’ils en ont faites, d’admirer, de respecter même la grandeur, la nouveauté & l’utilité du dessein. En effet, rien n’auroit contribué davantage à approfondir les endroits les plus secrets & les plus obscurs des premiers tems de notre histoire & de celle des autres nations, si l’on avoit pû compter avec certitude sur les regles qu’il a proposées pour discerner les véritables diplomes, & les distinguer sûrement de ceux qui ont des marques de fausseté.

Cette matiere est devenue à la mode chez presque toutes les nations, & chacune l’a traitée suivant son goût, & relativement à son histoire ou à des vûes particulieres. Wiltheim a donné en 1659 à Liege, le dyptycon Leodiense & Bituricense : Luing, cet allemand si laborieux, en a fait un ample recueil, tant d’Allemagne que d’Italie ; Rymer fit par ordre de la reine Anne, cette belle collection qui est connue sous le nom de l’éditeur : & pour revenir à notre France, combien André Duchéne en a-t-il publié dans les généalogies de plusieurs grandes maisons ? L’histoire des congrégations religieuses des provinces, des villes, a pour fondement ces sortes de diplomes ; c’est par-là que les Dupuy, les Ducange, les Godefroi, se sont distingués dans le monde savant, aussi-bien que Blondel, Baluze, Labbe & Martene ; & Aubert Lemire a éclairci bien des faits particuliers de l’histoire des Pays-bas, par les recueils qu’il a donnés de ces sortes de titres, quoiqu’on puisse lui en disputer quelques-uns.

Le laborieux pere Papebroeck est un de ceux qui en ont le plus savamment écrit. Avant lui Conringius & Heiderus, s’y étoient exercés en Allemagne, aussi bien que Marsham, dans la préface du monasticon anglicanum ; & Warthon, dans l’Anglia sacra, comme M. de Launoi l’avoit fait en France, en attaquant avec autant de courage que de hardiesse la plûpart des priviléges des abbayes, & de plusieurs communautés. Quelle perte pour ce dernier de n’avoir pû connoître un fait célebre, qui ne s’est développé que plus de quinze ans après la mort de ce célebre personnage ! On sait que sous le pape Innocent II. qui siégea depuis l’an 1130 jusques vers la fin de l’an 1143, il se tint un concile à Reims, où assista l’évêque de Châlons, qui avoit été auparavant abbé de S. Médard de Soissons. Ce prélat tou-