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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/1080

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qu’il puisse être, qui ne fournisse autant de surfaces ou de parties que tout le globle de la terre en pourroit fournir. Voyez Particule, &c.

La divisibilité à l’infini d’une quantité mathématique se prouve de cette maniere : supposez AC, (Pl. de Géom. fig. 35.) perpendiculaire à BF, & une autre ligne telle que GH à une petite distance de A, aussi perpendiculaire à la même ligne : des centres CCC, &c. & des distances CA, CA, &c. décrivez des cercles qui coupent la ligne CH aux points ee, &c. plus le rayon AC est grand, plus la partie eG est petite ; mais le rayon peut être augmenté in infinitum, & par conséquent la partie eG peut être diminuée aussi in infinitum ; cependant on ne la réduira jamais à rien, parce que le cercle ne peut jamais devenir coïncident avec la ligne BF ; par conséquent les parties de toute grandeur peuvent être diminuées in infinitum.

Les principales objections que l’on fait contre ce sentiment sont, que l’infini ne peut être renfermé dans ce qui est fini, & qu’il résulte de la divisibilité in infinitum, ou que les corps sont égaux, ou qu’il est des infinis plus grands les uns que les autres : à quoi l’on répond que les propriétés de ce qui est fini, & d’une quantité déterminée, peuvent être attribuées à ce qui est fini ; qu’on n’a jamais prouvé qu’il ne pouvoit y avoir un nombre infini de parties infiniment petites dans une quantité finie. On ne prétend point ici soûtenir la possibilité d’une division actuelle in infinitum ; on prétend seulement que quelque petit que soit un corps, il peut encore être divisé en de plus petites parties ; & c’est ce qu’on a jugé à-propos d’appeller une division in infinitum, parce que ce qui n’a point de bornes est infini. Voyez Infini.

Il est certain qu’il n’est point de parties d’un corps que l’on ne puisse regarder comme contenant d’autres parties ; cependant la petitesse des particules de plusieurs corps est telle, qu’elle surpasse de beaucoup notre conception ; & il y a une infinité d’exemples dans la nature de parties très-petites, séparées actuellement l’une de l’autre.

M. Boyle nous en fournit plusieurs. L’or est un métal, dont on forme en le tirant, des fils fort longs & fort fins. On dit qu’à Ausbourg, un habile tireur d’or fit un fil de ce métal, qui avoit 800 pieds de long, & qui pesoit un grain ; on auroit pû par conséquent le diviser en 3600000 parties visibles. On se sert tous les jours pour dorer plusieurs sortes de corps, de feuilles d’or fort déliées, lesquelles étant battues, peuvent être rendues extrèmement minces ; car il faut 300000 de ces petites feuilles entassées les unes sur les autres pour faire l’épaisseur d’un pouce. Or on peut diviser une feuille d’un pouce quarré en 600 petits fils visibles, & chacun de ces petits fils en 600 parties visibles, d’où il suit que chaque pouce quarré est divisible en 360000. Cinquante pouces semblables font un grain. Donc un grain d’or peut être divisé en 18000000 parties visibles. M. Boyle a dissout un grain de cuivre rouge dans de l’esprit de sel ammoniac, & l’ayant ensuite mêlé avec de l’eau nette qui pesoit 28534 grains, ce seul grain de cuivre teignit en bleu toute l’eau dans laquelle il avoit été jetté. Cette eau ayant été mesurée faisoit 105,57 pouces cubiques. On peut bien supposer, sans craindre de se tromper, qu’il y avoit dans chaque partie visible de l’eau une petite partie de cuivre fondu. Il y a 216000000 parties visibles dans un pouce cubique. Par conséquent un seul grain de cuivre doit avoir été divisé en 22788000000 petites parties visibles. Le fameux Lewenhoeck a remarqué dans de l’eau où l’on avoit jetté du poivre, trois sortes de petits animaux qui y nageoient. Que l’on mette le diametre de la plus petite sorte de ces ani-

malcules pour l’unité, le diametre de ceux de la

seconde sorte étoit dix fois aussi grand, & celui de la troisieme espece devoit être cinquante fois plus grand. Le diametre d’un grain de sable commun étoit mille fois aussi grand, & par conséquent la grandeur du plus petit de ces animalcules mis en parallele avec un grain de sable, étoit comme les cubes des diametres 1 & 1000, c. à. d. comme 1 à 1000000000 : on voit pourtant ces petits animaux nager dans l’eau, ils ont un corps qui peut se mouvoir ; ce corps est composé de muscles, de vaisseaux sanguins, de nerfs, & autres parties. Il doit y avoir une différence énorme entre le volume de ces vaisseaux sanguins & celui de tout leur corps. Quelle ne doit donc pas être la petitesse des globules de sang, qui circulent continuellement dans ces vaisseaux ? De quelle petitesse ne sont pas aussi les œufs de ces animalcules, ou leurs petits, lorsqu’ils ne font que de naître ? Peut-on assez admirer la sagesse & la puissance du créateur dans de semblables productions ? Voy. Ductilité.

Dans les corps odoriférans, il est encore facile d’appercevoir une finesse très-grande de parties, & même telles qu’elles sont actuellement séparées l’une de l’autre : on trouve beaucoup de corps dont la pesanteur n’est presque point altérée dans un long espace de tems, quoiqu’ils remplissent sans cesse une grande étendue par les corpuscules odoriférans qui s’en exhalent.

Toute partie de matiere, quelque petite qu’elle soit, & tout espace fini quelque grand qu’il soit, étant donné ; il est possible qu’un petit grain de sable ou une petite partie de matiere soit étendue dans un grand espace, & le remplisse de maniere qu’il ne s’y trouve aucun pore dont le diametre excede quelque ligne donnée, si petite qu’on voudra.

En effet qu’on prenne, par exemple, une ligne cube de matiere, & qu’on la divise par tranches en petites lames, il est certain que l’on peut augmenter assez le nombre de ces lames pour pouvoir, en les mettant les unes à côté des autres, couvrir une surface aussi large qu’on voudra. Qu’on redivise ensuite chacune des petites lames en un grand nombre d’autres, on pourra placer ces nouvelles petites lames à telle distance si petite qu’on voudra les unes des autres, & en remplir de cette sorte un espace qui pourra être impénétrable à la lumiere, si les distances entre les lames sont moindres que les diametres des corpuscules de lumiere. Cela est démontré plus au long dans Keill, Introd. ad ver. Phys.

Voici maintenant d’une maniere plus détaillée les objections de ceux qui prétendent que la matiere n’est pas divisible à l’infini. Le corps géométrique n’est que la simple étendue, il n’a point de parties déterminées & actuelles, il ne contient que des parties simplement possibles, qu’on peut augmenter tant qu’on veut à l’infini ; car la notion de l’étendue ne renferme que des parties co-existantes & unies, & le nombre de ces parties est absolument indéterminé, & n’entre point dans la notion de l’étendue. Ainsi l’on peut sans nuire à l’étendue, déterminer ce nombre comme on veut, c’est-à-dire que l’on peut établir qu’une étendue renferme dix mille, ou un million, ou dix millions de parties, selon que l’on voudra prendre une partie quelconque pour un : ainsi une ligne renfermera deux parties, si l’on prend sa moitié pour une, & elle en aura dix ou mille, si on prend sa dixieme, ou sa millieme partie pour l’unité. Cette unité est donc absolument indéterminée, & dépend de la volonté de celui qui considere cette étendue.

Il n’en est pas de même de la nature. Tout ce qui existe actuellement doit être déterminé en toute maniere, & il n’est pas en notre pouvoir de le détermi-